ENTRETIEN AVEC YOKO KUNO POUR HANA ET ALICE MÈNENT L’ENQUÊTE (en salles le 11 mai 2016)

Posté le 9 mai 2016 par

Hana et Alice mènent l’enquête est la préquelle animée du film de Iwai Shunji réalisé en 2004. Pour mettre en images la rencontre des deux jeunes collégiennes, le cinéaste a entrepris un parti pris artistique audacieux, mêlant astucieusement diverses techniques, allant de l’animation traditionnelle à l’emploi de la 3D et du rotoscoping. Un mélange qui confère à l’ouvrage une fluidité de mouvements qui se marie à merveille avec le trait épuré des personnages. Nous avons rencontré Kuno Yoko, jeune animatrice talentueuse qui était en charge de ce département.

Vous vous êtes faite connaître avec le très beau clip Airy Me pour la chanteuse Cuushe, vidéo pour laquelle vous avez reçu des récompenses. Pouvez nous dire comment vous êtes arrivée dans le métier de l’animation, et quels sont les procédés que vous utilisez ?

La vidéo Airy Me pour l’artiste Cuushe est en fait mon film de fin d’études. J’avais d’ailleurs entrepris mes recherches d’emploi avant d’avoir terminé ce projet. J’ai intégré une agence publicitaire dans laquelle j’ai travaillé quelques temps à la sortie de l’université. Et c’est ensuite que le film a commencé à être primé. Cela n’a pas eu de réelle incidence sur la suite de mon parcours. Il se trouve que l’enseignant auprès de qui j’ai appris les techniques d’animation connaissait et était ami de longue date avec Iwai Shunji. C’est par l’intermédiaire de ce professeur, qui lui a parlé de mes travaux, que je fus contactée. Iwai Shunji cherchait quelqu’un de compétent sur la création animée sans pour autant être de plein pied dans l’animation de studio commercial. Il avait une approche différente, et il souhaitait quelqu’un qui puisse le suivre dans ces expérimentations. C’est de cette façon que je fus recrutée dans sa société et amenée à travailler sur son long métrage : Hana et Alice mènent l’enquête. En ce qui concerne mes projets personnels, je travaille actuellement en freelance. Je n’utilise pas la rotoscopie en général, seulement quand les conditions l’exigent. Je préfère m’appuyer sur des images de référence tournées en prises de vue réelles. Je ne m’en sers pas de base telle quelle pour recréer le mouvement, je souhaite animer des images réalistes dans une sensation de gravité. Je veux que ce soit juste dans la représentation du poids. Je travaille de manière dessinée, purement traditionnelle, la forme la plus primitive de l’animation.

Si j’en juge par vos travaux présentés sur votre tumblr, on sent l’influence dans votre graphisme de Tezuka Osamu, des artistes de la mouvance Flat art, et là je m’avance un peu, de l’illustrateur taïwanais James Jean. Comment vous êtes-vous forgée votre style et votre univers ? Quels sont les artistes qui comptent pour vous ?

Pour le travail de l’animation, le travail d’artistes comme Tezuka Osamu ou l’animateur et réalisateur Masaoka Kenzo sont des références importantes, dans le sens où leur dessin est porté par une souplesse, une sorte de légèreté dans leur mouvement et leur corporalité qui me plaît beaucoup. Il est vrai que je travaille dans une logique assez plate dans le graphisme, c’est lié je pense à l’intérêt que je porte au cinéma en prises de vue réelles. Je ne veux rentrer dans une tendance trop décorative où le dessin irait dans une tendance purement graphique. Je souhaite garder un lien avec le réel, même si on est sur une forme plus simplifiée ou plane et pas dans une représentation personnelle du trait qui s’exprimerait de manière purement graphique.

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Comment avez-vous rencontré le cinéaste Iwai Shunji ? Connaissiez-vous son travail auparavant ? Et aviez-vous vu le film live Hana et Alice ? Comment s’est déroulée votre collaboration ?

J’étais collégienne quand le premier film d’Hana et Alice est sorti en salles (2004). Je ne peux affirmer si je l’ai vu au cinéma, mais je me souviens bien l’avoir vu durant cette période. C’est un film qui m’a parlé, il a eu une réelle influence sur moi à cet âge-là. Je me souviens que Iwai Shunji, le réalisateur, avait produit à cette époque une version manga. Il s’était basé sur les images du film qu’il redessinait dans une technique de dessin proche de la rotoscopie. C’était un ouvrage en bichromie avec une dominante bleu claire assez jolie. Je savais déjà qu’il dessinait, et qu’il avait un talent graphique net. Donc quand je fus amenée à le rencontrer pour le projet, j’étais en mesure de comprendre ce qui l’avait amené vers l’animation et de saisir sa vision, la direction artistique et les techniques qu’il souhaitait utiliser.

Yu Aoi et Anne Suzuki dans Hana et Alice (2004)

Yu Aoi et Anne Suzuki dans Hana et Alice (2004)

Le film Hana et Alice semble avoir expérimenté une nouvelle méthodologie pour utiliser diverses techniques d’animation conjointement. Y avait-il dès le départ une idée précise des méthodes à employer ?

Au départ, le film devait reposer sur un modèle d’images presque exclusivement en CGI, basées sur des images tournées en prises de vue réelles. La création en volume 3D des images devait donc être le cœur de la conception graphique sur le film. Au fur et mesure de la production, le réalisateur a demandé l’emploi pour l’animation du rotoscoping en images dessinées. Un rendu graphique plutôt qu’un rendu en images de synthèse. Cette technique s’est ajoutée aux autres actuellement employées sur le film. En ce qui concerne le style graphique, il y avait une intention précise du réalisateur. Venant du cinéma traditionnel en prises de vue réelles, il voulait tenter des choses qui n’avaient pas été faites auparavant. Les personnages n’avaient pas de zone d’ombrage représentée de manière classique. Lorsqu’elles étaient filmées à contre-jour, le visage dans l’ombre, quel que soit l’angle de la caméra, le rendu était très plat. Un autre exemple : dans l’animation japonaise, il y a un motif qui revient souvent, celui de l’imitation d’effets de focales avec un travail de profondeur de champs en jouant sur les zones de netteté. Il préférait garder le même degré de netteté pour les différents plans dans l’image. On a donc un rendu qui joue sur d’autres équilibres.

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L’animation permet entre autres une lecture de l’image plus directe, rapide, qui comprend moins d’images qu’une prise de vue réelle. Comment en utilisant le rotoscoping êtes-vous parvenue à conserver cette sensation à l’écran ?

Je pense que les lignes directrices les plus connues utilisées dans cette technique de la rotoscopie sont le travail en full animation, c’est-à-dire retranscrire une image filmée sous forme de dessins en 24 ou 12 images/seconde, ce qui correspond par exemple à 12 poses/seconde. Cela donne un rendu très fluide de l’animation, un mouvement très riche. Et en raison du nombre conséquent de dessins utilisés subsiste dans la version animée une forme très crue que l’on perçoit dans l’image réelle. A l’exception de certaines séquences telles que la scène de ballet, ou celle où la jeune fille court au ralenti derrière le taxi, passages qui ont nécessité plus de dessins pour un rendu de qualité, nous sommes partis sur une ligne beaucoup plus restreinte, une animation plus limitée à 8 images/seconde. C’est une approche qui correspond plus aux critères utilisés dans l’animation au Japon. Je pense que nous sommes parvenus à une forme d’équilibre entre cette restriction, le caractère directe de l’image réelle en mouvement, et ce qui subsiste de cette sensation une fois retranscrit aux moyens de représentation graphique. Et enfin l’image de personnages animés, dessinés, ce qui nous amène à penser que nous avons à faire à des protagonistes graphiques. Je pense donc que l’on a trouvé un bon équilibre entre les deux, qui se démarque selon moi des différentes productions animées utilisant la rotoscopie à ce jour.

 

Vous êtes la responsable de l’animation en rotoscoping. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste cette technique ? Quels sont les avantages de cette technique et de quelle manière fut-elle utilisée dans le film ?

La rotoscopie est une technique de l’animation qui consiste dans un premier temps à filmer des acteurs en chair et en os, et de se servir ensuite des images photographiques pour les retravailler aux moyens de dessin en se basant sur le mouvement tel qu’il est saisi par la caméra. C’est une technique qui peut apparaître souvent un petit peu brute, dérangeante à certains égards par cet effet de réalité. Elle s’inscrit dans une forme de mimétisme de l’image photographique. C’est une technique qui, bien plus que de conserver le rendu photographique, tend à restituer fidèlement la forme et le fil du mouvement à l’image. C’est ce qui prévaut selon moi dans l’emploi de cette technique. Au Japon, il y a beaucoup de ressenti à propos du rotoscoping. Cette technique nous semble perturbante en raison de son caractère trop réaliste. Je pense en revanche que l’on peut jouer sur le degré de déformation et de l’approche graphique que l’on insuffle à ces personnages. Sur le film Hana et Alice, nous avons su rendre les mouvements très naturels, et il est possible de retrouver le jeu de comédien dans les attitudes conscientes et inconscientes du protagoniste animé, pour peu que l’on apporte un soin suffisamment précis aux lignes de contours. Ces traits que l’on va choisir, laisser vivre, extraire de ce matériau de la prise de vue réelle pour les conserver dans l’image animée. Mais aussi en faisant appel à des lignes de manière individuelle sur chaque photogramme qui vont sembler assez déformés en comparaison avec le mouvement d’origine. Il est possible malgré tout, dans cette continuité successive de mouvements, dans l’assemblage d’images, de parvenir à retranscrire quelque chose de très fidèle à la forme des corps qui se meuvent. Cette technique nous a permis de restituer l’intériorité de ces personnages féminins dans une optique à la fois très différente et consistante des stéréotypes que l’on retrouve dans l’animation japonaise.

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Quels sont vos futures projets personnels, ou en équipe ?

Je suis de nouveau freelance. Je réalise des séquences animées, je viens par exemple de terminer un générique pour une émission de la NHK. Je fais aussi des illustrations pour des pochettes de disques. Mon expérience sur le long métrage d’animation de Iwai Shunji m’a permis de recevoir plus de propositions, et j’ai pu voir de près des problèmes concrets qui se posent dans la production de films d’animation commerciaux au Japon. Voire comment il a réussi à concilier ses ambitions de cinéma, ses méthodes de création proches du cinéma indépendant avec les contraintes de l’animation, m’a donné envie de réaliser plus tard peut-être un long métrage d’animation.

 

Iwai Shunji vient de  réaliser un clip de Yen Town band, le groupe fictionnel de la chanteuse Chara, pour fêter les 20 ans de son film Swallowtail Butterfly. Il utilise pour cette vidéo la technique du rotoscoping. Avez-vous participé à la réalisation de ce projet ? Et si oui comment cela s’est déroulé ?

Ce clip fut produit après mon départ de la société de Iwai Shunji. Je n’y ai pas pris part directement. Apparemment, des artistes qui ont travaillé sur le film Hana et Alice, de même que des techniciens qui furent recrutés, ont participé à la réalisation de ce clip vidéo. Il est dans le prolongement des techniques employées sur le film.

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Si vous deviez garder une image, une scène d’un film que vous aimez, quelle serait-elle ?

C’est une scène de 2001 L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, cette scène où l’ossement jeté par le singe s’envole et se transforme par un effet de transition en un vaisseau spatial. C’est à la fois surréaliste et pourtant très limpide dans sa démonstration. Je trouve cela assez saisissant.

Entretien enregistré le 1er Avril 2016 chez @Anime par Martin Debat.

Traduction : Ilan Nguyen.

Photographie : Thomas Maksimowicz.

Remerciement à Aurélie Lebrun de Games of Com.

Hana et Alice mènent l’enquête de Iwai Shunji. Japon. 2015. En salles le 11/05/2016.

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