A l’occasion de la sortie de Hana et Alice mènent l’enquête, très jolie préquelle animée de son film réalisé en 2003, nous avons pu nous entretenir avec le trop rare Iwai Shunji. Figure marquante du cinéma indépendant japonais de ces 20 dernières années, il est, comme Somai Shinji en son temps, injustement boudé par les distributeurs et programmateurs de festivals en France et en Europe. C’est pourtant un auteur passionnant qui, au gré d’une filmographie foisonnante, porte un regard tendre et lucide sur la société japonaise contemporaine.
Le projet Hana et Alice a bien évolué, et sous de nombreuses formes depuis sa création en 2003. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film et de ses diverses adaptations ?
Pour revenir à la genèse du projet, il s’agit d’une commande de Nestlé Japon, qui est une marque de friandises connue notamment pour les biscuits Kit Kat. Ils m’ont proposé de réaliser un court métrage. Je ne voulais pas me contenter d’un simple court, je souhaitais développer ce projet pour faire d’autres films. En réalisant ce film publicitaire, j’avais déjà mûri l’idée d’un long métrage avec les mêmes personnages, et j’ai pu par la suite le mettre en œuvre. Les deux films sont sortis coup sur coup la même année. J’ai plus tard décidé de réaliser cette histoire Hana et Alice mènent l’enquête sous la forme d’un film d’animation. Je voulais raconter une histoire antérieure au film originel, qui raconte comment les deux jeunes filles se sont rencontrées au collège.
Vous êtes un peu une sorte de précurseur dans le transmédia au Japon. Outre Hana et Alice, d’autres films tels que All About Lily Chou-Chou qui a été rédigé conjointement avec les lecteurs d’un blog, ou Bandage depuis un projet radiophonique. D’où vient cet attrait pour les projets collaboratifs qui évoluent sur divers supports ?
Je travaille en effet sur différents médias. Ce n’est pas par choix, ni de ma propre initiative. Au Japon si vous souhaitez exercer le métier de réalisateur de films, il n’y a que deux possibilités. Soit vous travaillez pour de grosses compagnies, auquel cas vous ne disposez d’aucune liberté artistique. On est qu’un simple rouage de cette société et rien d’autre. L’unique alternative est de travailler comme cinéaste indépendant, ce qui implique que je doive faire moi-même les montages financiers de mes films. Et je suis donc obligé de travailler sur différents médias pour obtenir les budgets nécessaires à mes projets.
Quelles sont les raisons qui vous ont conduit vers l’animation ? Comment êtes-vous parvenu à traduire vos codes esthétiques et de mise en scène au moyen de l’animation ?
On me demande souvent pourquoi j’ai réalisé un film d’animation. Je m’intéresse à ce médium depuis très longtemps et j’en avais envie d’en réaliser un depuis tout ce temps. J’ai profité de l’occasion quand elle s’est présentée. J’ai même souhaité pendant un temps devenir mangaka. J’aime dessiner. En travaillant sur un film d’animation, j’ai bien compris que l’animation est avant toutes choses un travail de dessins. A l’instar d’un film en prises de vues réelles où ce sont les images filmées qui bougent, dans l’animation, ce sont les dessins. C’est extraordinaire de les voir se mouvoir. Une fois que l’on a goûté à ce plaisir, on a du mal à s’en passer. Depuis Hana et Alice mènent l’enquête, j’ai réalisé un nouveau film en prises de vues réelles. Il vient tout juste de sortir au Japon. En revenant au cinéma traditionnel (The Bride of Rip Van Winkle), j’ai compris que le jeu d’acteur était primordial et j’ai ressenti beaucoup de plaisir en filmant mes comédiens. Les deux médiums sont à la fois très complémentaires et très différents.
Comme l’avait fait remarquer l’animatrice Yoko Kuno, vous avez dessiné une adaptation manga du film Hana et Alice (2003). Et selon elle, vous avez un trait sûr et précis. Aviez-vous très en amont une idée de l’image et de la charte graphique de votre film d’animation Hana et Alice ?
Quand je réalise une œuvre, j’ai en tête des images assez précises de ce que je vais filmer. C’est mon imagination qui me pousse à créer. Je ne suis en revanche pas satisfait de les avoir, il faut pouvoir sans cesse se renouveler dans le travail de mise en scène. Quand on travaille dans le métier de l’audiovisuel depuis une vingtaine d’années, on a l’habitude de faire ses story-boards, et on a tendance à se répéter. Il faut savoir douter de ses propres capacités au risque de faire du surplace. J’essaie de me remettre en question et de réinventer ma mise en scène.
Comment, depuis la mise en chantier du film jusqu’au produit fini, le projet a-t-il évolué ?
En ce qui concerne les changements au cours de la production, je ne sais pas trop. Ce que je peux dire en revanche, c’est que j’ai dû effectuer du travail que je n’avais pas prévu de faire dans le processus de réalisation. Durant les trois derniers mois, j’ai effectué moi-même des corrections sur les animations au moyen du logiciel After Effects. J’ai redessiné beaucoup de visages, d’expressions faciales. J’ai travaillé sur des détails, les bouches, les yeux, les formes de visage. Je n’avais même pas le temps de dormir. C’est, je pense, en raison de ce travail acharné que je me suis tant attaché à ce projet. Réaliser un film d’animation diffère énormément du rôle que l’on a sur un plateau de cinéma. La majorité du travail incombe aux équipes d’animateurs et le réalisateur a au final peu de choses à faire. Il est présent, mais sa fonction consiste généralement à vérifier le travail des autres. Mais j’ai bien compris durant la production qu’il fallait que je participe activement à la conception du film.
Il y a une constante dans vos récits. Vous traitez vos histoires comme des chroniques, où le merveilleux s’immisce dans le quotidien de vos personnages. L’adolescence est-il selon vous un âge propice à traiter ce type d’aventures ?
Je ne pense pas que l’adolescence soit une phase de transition qui prépare les jeunes au monde des adultes. C’est pour moi une étape comme une autre dans la vie d’un homme. C’est un âge plein d’énergie, et c’est une période qui offre beaucoup de possibilités. C’est la société actuelle qui enferme ces jeunes avec une pression du passage vers la majorité.
Quel serait votre moment de cinéma ?
Je citerai le film Vivre de Kurosawa Akira et notamment cette scène qui débute dans le restaurant et qui se termine sur la balançoire. J’ai même regardé plusieurs fois cette séquence avec mon équipe pour la réalisation de Hana et Alice mènent l’enquête.
Entretien enregistré le 26 Avril 2016 chez @Anime par Martin Debat.
Traduction : Shoko Takahashi
Photographie : Martin Debat
Remerciement à Aurélie Lebrun de Games of Com.
Hana et Alice mènent l’enquête de Iwai Shunji. Japon. 2015. En salles le 11/05/2016.