Le film de la semaine – Ugly d’Anurag Kashyap, la cupidité et ses dérives

Posté le 27 mai 2014 par

Après avoir été présenté à Cannes, à Deauville et à Bruxelles, Ugly, le dernier film d’Anurag Kashyap, arrive enfin en salles. L’occasion de découvrir le bouleversant film du réalisateur de Gangs Of Wasseypur.

Le réalisateur/scénariste/producteur a une longue carrière derrière lui, mais c’est son diptyque Gangs Of Wasseypur (les critiques de la partie un et deux) qui l’a fait connaître, de par le désespoir dégoulinant dans chaque image, la réalisation maîtrisée, et la densité de son histoire.

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Avec Ugly, qui porte décidément bien son nom, Anurag Kashyap continue à explorer les tréfonds de l’âme humaine, et à promener sa caméra dans l’horreur et la crasse des bas-fonds de l’Inde, en partant cette fois-ci sur les traces d’une fillette disparue. L’enfant se fait enlever, dans la voiture de son père, alors qu’elle attend ce dernier, acteur raté qui est parti chercher un scénario pour un casting, chez un ami.

Cette disparition est aussi l’occasion, pour Anurag Kashyap, de dresser un panorama tétanisant de la cupidité humaine, de la jalousie et de la rancœur. Tous les personnages, en effet, cherchent finalement à profiter de la disparition de l’enfant, multipliant les demandes de rançon bidon, augmentant le prix demandé pour se sucrer au passage, ou autre coup bas, alors que la pauvre fillette reste introuvable. Finalement, au sein de ce marasme à pleurer, le seul protagoniste qui se soucie un tant soit peu de retrouver la disparue, est la pire ordure de cette collection de salopards : il s’agit du chef de la police, beau-père de la fillette, mais qui n’est avec sa mère que pour se venger de l’acteur raté qui le brimait quand ils étaient étudiants, qui a mis sa femme sur écoute, et qui ne voit d’abord ici qu’une opportunité de broyer son ancien rival. Mais, alors que tous les autres finissent par essayer de tirer leur épingle du jeu et à gagner quelques roupies, c’est le seul qui va continuer à la chercher.

 Ugly est cependant un film d’une densité passionnante et, sans se perdre dans les méandres de son scénarios, le réalisateur nous conduit vers d’autres pistes, d’autres lieux. En effet, ce n’est pas anodin si le père de notre disparue est un acteur raté. Grâce à cela, Anurag Kashyap glisse d’une part quelques touches d’humour, en début de métrage, avant que l’étouffement de ce récit atroce ne broie tout espoir chez le spectateur. Voir les policiers essayer de comprendre le métier de l’acteur raté et de son ami (directeur de casting), ou les entendre discuter des choix de pseudos est un moment assez irrésistible. Mais Anurag Kashyap utilise cet humour pour égratigner de l’ongle le cinéma indien. Ce n’est certes qu’une piste secondaire, et le réalisateur ne creuse pas trop profondément cette piste, mais sa volonté de souligner les difficultés d’être acteur ou l’incompréhension, pour le protagoniste lambda, du fonctionnement de l’industrie du cinéma, est évidente.

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L’Inde exposée par le réalisateur/scénariste est un endroit sale, étouffant, où il ne fait pas bon vivre. La caméra s’attache à l’horreur et à la crasse, comme elle l’avait déjà fait dans Gangs of Wasseypur, mais la réalisation est ici bien plus sobre, les moments où la musique envahissant l’écran étant bien plus rares – et, par conséquent, plus marquants. La police y multiplie les tabassages, la violence et la torture sont partout. Anurag Kashyap dresse un tableau sans aucune concession, et, s’il iconise le chef de la police, c’est pour mieux insister sur sa vilenie par la suite.

Les personnages sont écrits au cordeau, loin de toute caricature, et le scénario, tendu et épuré, évite toute longueur malgré une durée de plus de deux heures. Et, si le film glisse quelques touches d’humour au début (la conversation entre les flics et le père de la fillette, les policiers désirant comprendre comment fonctionne les castings ou dans quel film a joué notre acteur, est une séquence très drôle), Anurag Kashyap abandonne rapidement toute plaisanterie, pour s’enfoncer progressivement dans l’abomination. Ugly est ainsi une plongée progressive dans l’horreur, le film entraînant avec lui le spectateur, qui ne peut en ressortir indemne, et une intense parabole sur la cupidité la plus abjecte. Le métrage nous conduit progressivement jusqu’à la dernière image du film, point d’orgue d’une séance insoutenable et d’un des grands moments du festival, une image qui ne peut que hanter l’esprit du spectateur, durablement, insoutenable.

Yannik Vanesse

Ugly, d’Anurag Kashyap, en salle à partir du 28 mai 2014.