Entretien avec Kurosawa Kiyoshi à l’occasion de la sortie de Real

Posté le 25 mars 2014 par

Pendant nos pérégrinations deauvillaises, nous avions eu le plaisir de nous entretenir de nouveau avec Kurosawa Kiyoshi et de discuter de Real qui sort en salles aujourd’hui. 

Après Shokuzai, c’est votre deuxième travail d’adaptation de suite, qu’est-ce qui vous a accroché dans ce projet ?

Le dernier scénario original que j’ai tourné est Tokyo Sonata. Pendant quatre ans, suivant ce film, il n’y a aucun projet qui s’est présenté à moi. J’ai écrit beaucoup de scénarios, aucun n’a été retenu. Il se trouve qu’au Japon, il est plus facile de décrocher à la fois des financements et des opportunités auprès des producteurs quand c’est une adaptation d’une oeuvre non originale. Quand on m’a proposé Shokuzai, je n’étais pas spécialement enthousiaste, mais comme ça faisait quatre ans que je n’avais pas tourné, je me suis dit qu’il était quand même temps de me remettre au travail. Donc j’ai accepté, et de ce fait j’ai découvert un nouveau plaisir : celui de se réapproprier une oeuvre déjà existante et de l’arranger à sa sauce pour la mettre en image. Je me suis dit que c’était un exercice assez intéressant, alors quand on m’a proposé Real six mois plus tard, j’y suis allé plus motivé que pour Shokuzai.

real

Il est donc plus difficile de monter un projet original au Japon aujourd’hui ? 

Moi-même je ne sais pas pourquoi, mais il est effectivement plus difficile de mettre en scène un film tiré d’un scénario original. Les producteurs sont très frileux. C’est peut-être le contexte économique qui veut ça, mais quel que soit le projet original, une adaptation est toujours mieux acceptée. Je pense que c’est au niveau des investisseurs qu’il est très difficile de faire passer l’idée. On arrive encore à monter des projets originaux, avec généralement des petits budgets. Mais si on veut réaliser un film d’une certaine échelle, ça devient très compliqué. On entend dire, à moitié sur le ton de la plaisanterie, mais quand même, que les producteurs viennent voir les réalisateurs en leur disant :  » voilà, j’ai un nouveau roman que je voudrais que tu adaptes, il est vraiment nul, mais je me demandais si tu ne pourrais pas en faire quelque chose? » (rires) . Cela reflète bien l’état du cinéma japonais actuel.

Et vous, vous avez aimé le roman Real ? Le roman original est très intéressant, je l’ai plutôt aimé. Par contre, c’est un roman très complexe au niveau de l’intrigue donc je me suis dis tout de suite en le lisant que le travail d’adaptation à l’écran allait être très difficile. C’est à la fois positif comme négatif. Le roman est très littéraire, il y avait beaucoup de zones difficiles à comprendre de mon point de vue. Mais en dehors de ça, l’idée centrale du livre, qui est donc de pénétrer dans l’esprit de quelqu’un d’autre et d’y découvrir une partie de son propre passé oublié, m’a vraiment passionné et donné envie d’accepter le projet.

Real redimensionné

Vous parliez de se réapproprier l’oeuvre, quel a été votre cheminement ?

Se réapproprier une oeuvre n’est pas toujours un gros effort. Pour ce projet là, la difficulté était de faire avec les nombreux allers-retours entre passé et présent. Pour moi le cinéma, même s’il se déroule dans le passé, doit faire avancer l’intrigue. Réorganiser toute la narration a été très compliqué pour Real.

Certains aspects du films sont totalement ancrés dans la science-fiction, comment avez-vous travaillé cette partie ? A vrai dire, j’ai toujours eu envie de faire un film de science-fiction, sauf que j’ai bien conscience qu’il est déjà difficile de monter des histoires originales et que ce soit validé par la production. Quand il s’agit de SF avec eux, c’est impossible donc je ne m’imaginais pas le faire finalement. Du coup quand on m’a proposé Real, j’ai abordé tout ça avec un grand enthousiasme et une grande motivation.

real

On pense beaucoup à Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais, le film a t-il été une influence pour vous ? Et si non, quelles étaient-elles? Je n’ai pas vu le film de Resnais. Je ne me suis pas senti particulièrement inspiré par d’autres films, par contre j’ai conscience que certains films récents traitent du même sujet, notamment Inception de Christopher Nolan et Shutter Island de Martin Scorsese. Je trouve qu’ils ont des thèmes communs.

Le fantastique s’insinue tout doucement dans le quotidien, comment avez-vous travaillé cela visuellement ? Ces incursions dans le fantastique sont effectivement très progressives, au départ elles sont même imperceptibles. A vrai dire, après avoir terminé le film et en ayant recueilli quelques réactions, je me suis rendu compte que tous mes efforts pour implémenter des éléments très discrets de ce changement, étaient un peu vains : soit les spectateurs n’y prêtaient pas attention, soit ils ne s’y intéressaient carrément pas ! Ce qui était important pour eux, c’était ce qui allait arriver aux personnages. Je me suis dis que j’avais fait beaucoup d’effort pour pas grand chose.

Il y a une évolution dans le fantastique, et tout ce qui est donc imperceptible se matérialise à la fin, avec ce monstre. C’était important pour vous de personnifier les souvenirs, les craintes et les regrets des personnages ? C’était indispensable pour moi. Il se trouve que dans le roman, la séquence n’existe pas. Le plésiosaure apparaît de façon symbolique mais pas concrètement.  Ça bouclait la boucle du périple psychologique des personnages. Quand je l’ai soumis aux producteurs, ils étaient très réticents, mais je tenais vraiment à cette séquence. Le film perdait tout son sens sans. J’ai beaucoup bataillé pour la scène.

Interview et retranscription réalisées par Jérémy Coifman à Deauville le 8 mars 2014

Grand merci à Matilde Incerti  pour l’organisation. 

Real de Kurosawa Kiyoshi en salles le 26 mars 2014.

Semaine spéciale Real de Kurosawa Kiyoshi : Critique, entretien, Podcast.

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