Le film de la semaine – Patema et le monde inversé de Yoshiura Yasuhiro

Posté le 18 mars 2014 par

Après une catastrophe écologique, la terre se trouve séparée en 2 mondes inversés ignorant tout l’un de l’autre. Dans le monde souterrain, Patema, 14 ans, adolescente espiègle et aventurière, rêve d’ailleurs. Sur la terre ferme, Age, lycéen mélancolique, a du mal à s’adapter à son monde totalitaire.

Le hasard va provoquer la rencontre des 2 adolescents en défiant les lois de la gravité.

Yoshiura Yasuhiro fait partie de cette nouvelle génération de réalisateurs au sein du paysage de l’animation japonaise qui auront su acquérir en autodidacte leur bagage technique et se seront immédiatement fait remarquer par des œuvres personnelles plutôt que de suivre le traditionnel parcours et gravir les échelons dans les grands studios à la manière de leurs aînés prestigieux comme Miyazaki. L’exemple le plus marquant de ces dernières années est bien évidemment Shinkai Makoto, responsable de travaux impressionnant avant d’accéder à des budgets plus nantis.
Yoshiura Yasuhiro aura effectué un parcours similaire avec deux court-métrages remarqués et notamment Pale Cocoon en 2006 où l’on devine déjà son attrait pour les postulats de SF alambiqués à la Philip K. Dick et dont certains thèmes annoncent déjà ce Patema. Même lorsqu’il rentrera dans un moule plus classique avec la série Time of Eve , il imposera sa patte en étant scénariste et réalisateur (avant d’en tirer un film plus tard) mais aussi par le format novateur de diffusion d’ONA (Original Net Animation) entièrement produit et diffusé sur le web et remplaçant peu à peu celui des OAV (Original Video Animation) destiné à la vidéo et bien connu des amateurs de japanimation des années 80/90. Patema obéit à cette même révolution des media pour dévoiler son univers puisqu’à l’origine quatre épisodes servant de prologue au film furent diffusés sur le web et un manga fut publié. Présenté au festival d’animation d’Annecy où il reçut un accueil triomphal, c’est donc la première œuvre de Yoshiura à bénéficier d’une sortie en France, en salles qui plus est. Le postulat de Patema est assez proche de celui d’Upside Down sorti l’an passé et narrant dans un futur proche la coexistence de deux communautés à la gravité inversée. Si Upside Down donnera une aussi charmante que sirupeuse comédie romantique, Patema tout en empruntant cette voie exploite de manière plus poussée cet argument. Suite à une expérience scientifique tentant d’exploiter la gravité comme énergie, une catastrophe a ravagé le monde, le divisant en deux populations distinctes s’ignorant l’une l’autre. Chez les inversés terrés sous terre, on a un peuple paisible mais maintenant néanmoins le secret quant à ce qui existe à la surface.
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C’est là que réside notre héroïne Patema, jeune adolescente passant son temps à explorer les limites de cette cité souterraine dans l’espoir de découvrir un jour le ciel bleu qu’elle ne connaît qu’à travers la photo que lui a légué Labos, son ami et mentor disparu. Si les habitants d’Aïga peuvent eux respirer au grand air, leur société totalitaire et lobotomisante instaure un climat de terreur et de soumission. Là aussi, le jeune Age ne s’épanouit pas et son caractère rêveur le soumet aux brimades de ceux qui l’encadrent. Lui aussi a perdu un proche avec son père mystérieusement disparu en ayant voulu défier les limites de son monde en fabriquant une machine volante. Lever les yeux vers le ciel est une métaphore de liberté courant tout au long du film, puisque permettant à Age de voir Patema et justement symbole de faiblesse dans le cadre totalitaire d’Aïga où l’abandon de soi est interdit. Ce type d’opposition sociétale n’est pas nouvelle dans les récits de SF et Yoshiura en tire des différences schématiques assez classiques notamment dans la caractérisation du monde totalitaire d’Aïga oppressant, arpenté par des gardes masqués et aux tenues sombres (évoquant une atmosphère lorgnant sur Jin Roh (1999), ce qui est peu surprenant vu que  Oshii Mamoru est une des influences de Yoshiura) mais aussi de l’esthétique plus tortueuse et steampunk pour l’univers souterrain paradoxalement plus libre. Le réalisateur trouve donc son originalité à travers la vraie sensibilité dont il imprègne le récit mais aussi de la grande inventivité visuelle dont il fait preuve pour exploiter au mieux ces mondes aux gravités inversées.
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Cela se fera d’abord par la caractérisation des personnages, l’aventureuse Patema se trouvant soudain démunie dans cet Aïga où elle est terrorisée d’être aspirée par le ciel. Le sentiment de vide est vertigineux, Yoshiura créant un sentiment de malaise constant par une alternance de plongée et contre plongée où s’alternent les point de vues des deux héros. Pour Age, son existence morne se manifeste par de longues rêveries où il scrute le ciel l’œil vide. En se liant à Patema, ce ciel signifie  soudain un horizon auquel s’accrocher et une raison de vivre pour lui en la retenant. La découverte du monde inversé est synonyme de découverte mais aussi de danger pour Patema, ainsi exposée à un extérieur dangereux. A l’inverse, lorsque Age se rendra à son tour dans la cité souterraine, cette gravité sera pour lui symbole d’un lieu où il a pied, un lieu d’espoir symbolisé par les sentiments qu’il a pour Patema et le poussera à la sauver. Yoshiura adopte constamment le point de vue du personnage qui guide l’action émotionnellement. Lorsque Patema et Age sont réunis, cela s’alterne constamment en plongée et contre-plongée afin de trahir le plus troublé des deux jusqu’à cette merveilleuse séquence vers la fin où ils se font face pour la première et que le réalisateur nous laisse simplement deviner un probable premier baiser en s’éloignant d’eux. Lorsqu’ils seront isolés chacun dans le monde de l’autre, le réalisateur optera toujours pour la vision de celui hors de son territoire, nous faisant partager la terreur et fragilité de Patéma dans les froides geôles d’Aïga et au contraire rendant Age plus imposant et plus fort malgré son rapport inversé dans le monde souterrain. Le sentiment de déséquilibre est permanent mais plus ou moins menaçant selon l’environnement, l’opposition entre eux tenant plus aux hommes et à leurs errances qu’à la différence de gravité.
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Une thématique passionnante qui s’exprime par la haine viscérale et violente que voue le méchant du film aux Inversés et qu’il cherche à exterminer sans les connaître. Dommage cependant que le méchant soit si caricatural mais la mise en scène de Yoshiura rattrape vraiment cet écueil, notamment un final virevoltant et spectaculaire qui nous fait totalement perdre nos repères, confondant les lieux et gravités dans un chaos impressionnant. Aux rayons des quelques défauts on déplorera une musique symphonique électro un peu passe-partout quand un beau thème romantique aurait d’autant plus magnifié l’aventure. Le manque de moyens se ressent parfois aussi dans l’usage très télévisuel d’image figée ou de silhouette immobile permettant d’économiser de l’animation, cela donne parfois de belles compositions de plan et à d’autres moments le procédé est un peu voyant. Une belle œuvre néanmoins, sensible et originale qui annonce sans doute l’éclosion d’un talent majeur de l’animation japonaise.
Justin Kwedi.
Patema et le monde inversé, de Yoshiura Yasuhiro, en salles depuis le 12 mars 2014.
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