Le Film de la semaine – La Belle et la Bête de Christophe Gans : Un manque de souffle

Posté le 11 février 2014 par

La Belle et La Bête, conte maintes fois adapté sur tous les supports possibles et imaginables, ressort le 12 fevrier 2014 dans une nouvelle monture cinématographique produite par Pathé, sous l’égide de Christophe Gans, avec la belle Léa Seydoux et la bête Vincent Cassel.

Passionné de culture asiatique depuis son plus jeune âge, Christophe Gans, l’auteur de l’honorable adaptation du jeu vidéo Silent Hill, l’homme qui nous a fait découvrir le grand Mark Dacascos avec Crying Freeman et Le Pacte des Loups, nous revient finalement, huit ans après son dernier long métrage, avec cette adaptation de La Belle et La Bête, fort d’un budget de plus de 40M€. De quoi donner libre cours à toutes ses plus folles ambitions, lui qui a toujours connu la frustration de ne pas pouvoir aller au bout de ses projets, comme le préquel de Vingt mille lieues sous les mers, ou l’adaptation du jeu vidéo Onimusha.

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Gans reprend librement la version du conte publiée en 1740 par Madame de Villeneuve, et non la version publiée en 1757 par Madame Leprince de Beaumont, histoire de se différencier des deux adaptations les plus connues : celle de Jean Coteau sortie en 1946, et celle des studios Disney sortie en 1992. Son film se situe en 1810, alors que le père de Belle (André Dussolier) perd sa fortune après le naufrage de ses navires et se retrouve obligé d’aller vivre à la campagne avec ses six enfants. Car oui, dans cette version, Belle n’a pas un frère mais trois, en plus de ses deux harpies de sœurs. Ici l’antagoniste ne sera pas un rustre prétendant comme pouvaient l’être Avenant ou Gaston, mais un véritable brigand lancé à la poursuite de l’un des frères. Pour le reste, on retrouve les grandes lignes du conte avec le père qui tombe malencontreusement sur le château de La Bête et vole l’une des précieuses roses peuplant son vaste domaine enchanté, et Belle qui se sacrifie en devenant prisonnière de La Bête, pour sauver sa famille de la dette contractée par le père.

En épousant, dès le début, le point de vue de Belle, Gans donne une résonance métaphorique plus importante à son émancipation. C’est à travers ses yeux que l’on explore le domaine enchanté, que l’on apprend à voir au-delà des apparences, que l’on découvre la naissance de l’amour et du désir. En plongeant son héroïne dans les secrets et les mystères du château, Gans crée, par l’intermédiaire de flashbacks, une mythologie autour de la malédiction de La Bête, jadis prince respecté. On retrouve alors certaines particularités de l’univers miyazakien dont Gans dit s’inspirer, lorsqu’il reprend par exemple le symbole du Dieu Cerf de Mononoke Hime, ici représenté par la proie inaccessible que le prince, si présomptueux, tente tant bien que mal de chasser, faisant fi des avertissements lancés par sa princesse. Un conflit entre sa fierté et son amour qui entraînera le prince vers l’issue tragique et maudite que l’on connait tous.

Tous les éléments sont donc présents pour justifier la démesure visuelle orchestrée par Gans et Pathé. Il y a bien longtemps qu’un film français supposé à grand spectacle n’avait pas eu cette prestance technique, digne d’un blockbuster hollywoodien. Gans met un point d’honneur à rendre sa Bête impressionnante, en se reposant sur la voix sauvage de Vincent Cassel. Un soin tout particulier est apporté aux costumes et aux décors, que Gans n’hésite pas à mettre en valeur par de grands travellings ou plans d’ensemble, en s’appuyant sur des effets numériques pour la plupart très réussis. Le domaine enchanté, caché aux yeux des hommes par une forêt infranchissable, rappelle encore une fois l’univers de Miyazaki. On décèle d’ailleurs certaines similarités avec Laputa et ses robots gardiens (Le Château dans le Ciel), notamment lors de l’immense climax final.

la belle et la bête

Le problème de cette adaptation, c’est qu’elle n’atteint jamais la profondeur de l’œuvre du maître de l’animation japonaise. La première scène, où l’on voit Belle prendre la place du narrateur pour raconter son histoire à ses enfants, indique d’emblée quel sera le cœur de cible. Pour autant, les films de Miyazaki (son dernier mis à part) ont beau être avant tout destinés aux enfants, ils disposent d’une écriture riche qui parlera bien souvent aux adultes. Ce qui est loin d’être le cas ici, où tout semble simplifié et codifié à l’extrême. Gans n’arrive pas vraiment à se positionner entre la poésie gothique de l’œuvre de Cocteau et la fantaisie des studios Disney. Il déroule ses péripéties de façon très programmatique et laisse l’émotion au placard.

Si le couple principal s’avère convaincant et porte le film sur ses épaules, tout ce qui repose au second plan est pour le moins inintéressant. Les deux sœurs jouées par Audrey Lamy et Sara Giraudeau sont absolument insupportables, les trois frères ne dépassent pas le stade de l’archétype, le méchant fourbe et lâche interprété par Eduardo Noriega (étrangement doublé en français…) se révèle sans saveur, les « petits chiens », censés remplir le quota « mignon » du film, sont sous-exploités et n’amuseront que les moins de 12 ans. Cette accumulation de maladresses pointe les limites d’une grosse production certes imposante, mais à laquelle il manque un supplément d’âme, laissant cette impression de belle coquille un peu vide, malgré toute la bonne volonté de Christophe Gans.

Avant tout destinée aux enfants, La Belle et La Bête version 2014 est très léchée visuellement mais bien trop sage pour convaincre totalement. Même si Gans nous offre sa propre vision du conte, en approfondissant la mythologie autour de La Bête, et en donnant plus de corps au personnage de Belle, cette adaptation manque tout simplement de souffle, d’émotion et de magie. Ceci-dit, le cinéma français ne propose que trop rarement ce genre d’ambitieux spectacle, il faut donc saluer la démarche.

Nicolas Lemerle.

La Belle et la Bête de Christophe Gans, en salles le 12 février 2014.