Le Film de la semaine – Le Vent se lève de Miyazaki Hayao : Il faut tenter de vivre

Posté le 21 janvier 2014 par

Film testament, œuvre fourmillante, Le Vent se lève de Miyazaki Hayao laisse une drôle d’empreinte, pourtant encore vive, longtemps après le visionnage.

C’est la fin d’un cycle pour les studios Ghibli.La retraite annoncée de Miyazaki laisse orphelins des millions d’admirateurs et pose la question de l’avenir d’un studio qui perd l’un de ses deux fondateurs, véritable institution au Japon et dans le monde entier. Il laisse derrière lui une œuvre considérable et une pression énorme à des jeunes pousses pas encore arrivée à maturité (Goro, son fils et Yonebayashi Hiromasa, réalisateur d’Arrietty et le petit monde des chapardeurs). La notion d’héritage est omniprésente dans ce dernier film, angoisse permanente qui marque chaque plan de son sceau. Le Vent se lève est comme une injonction de Miyazaki à son studio de continuer sans lui, de s’élever encore plus haut. Ghibli, nom arabe pour le Sirocco, vent du désert, doit continuer sa course malgré tout. Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Ces vers de Paul Valéry comme un leitmotiv, une façon de se convaincre plus que de convaincre les autres. Le Vent se lève est le film d’un homme qui doute encore, s’interroge sur son œuvre, sur l’impact qu’il a laissé au monde.

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 Miyazaki choisit le biopic, mêlant le destin de son personnage à celui de son pays, en se livrant totalement. Le film narre le destin d’Horikoshi Jiro, créateur du fameux avion Zero, sur une vingtaine d’années. Surtout, il mêle sa vie à celle de Jiro, y incorpore ses souvenirs, ses rêves, jusqu’à qu’on ne puisse plus discerner le sujet de l’auteur. Le Vent se lève est donc autant une introspection douloureuse que l’évocation d’un destin hors norme. Jiro est un rêveur, qui par défaut (il est myope) choisit d’être ingénieur en aéronautique et coupe court à ses rêves de devenir pilote. Le biopic évoquera sa quête de perfection, son parcours personnel et professionnel dans un Japon qui tente lui aussi de se lever.

Cette première vision du Vent se lève se révèle quelque peu trompeuse. On attendait peut-être autre chose, une invocation du merveilleux plus grande, un lyrisme plus échevelé, un vent qui nous transporte vers des cimes encore non atteintes. Le film marche au contraire contre le vent, touche la sphère de l’intime avec pudeur, sans effusion. Il y a cette scène du tremblement de terre de Kanto en 1923. Le ventre de la terre gargouille, le sol prend des allures de mer agité, le chaos règne. Pourtant le fantastique ne fait pas irruption dans le récit, déjouant nos attentes. C’est bien un terrible séisme, au cours duquel Jiro rencontrera sa future femme. Plutôt que de se faire le film dans sa tête, autant se laisser porter par le vent.

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On comprend maintenant pourquoi Miyazaki était réticent à l’idée d’adapter le manga qu’il était en train d’écrire : le récit est d’une noirceur assez incroyable. Lui qui pense que l’animation doit être destinée aux enfants avant tout déjoue encore une fois les attentes. Le vent se lève est un film adulte, aux thématiques très dures et aux plages de respiration finalement très rares. Il y a bien ces scènes oniriques dans lesquelles Jiro s’imagine en compagnie de Caproni, autre figure réelle de l’aviation ou une escapade estivale à la campagne, mais il y a toujours un rappel à l’ordre, un réveil brutal. Miyazaki a un regard assez lucide et critique sur son pays et sur lui-même. Le vent se lève narre l’histoire d’un pays en crise, politique et économique, cherchant à tout prix à rattraper son retard technologique, s’embourbant dans les conflits et les impasses politiques. Les autres films abordaient évidemment le sujet, mais Le vent se lève l’attaque de front dans des scènes assez courageuses (le personnage allemand qui parle de la politique incohérente du Japon).

La noirceur ne s’arrête pas au contexte politique, et trouve son cœur dans la description que Miyazaki fait de lui-même durant toute la durée du long métrage. Il dresse un parallèle entre la vie de ce rêveur qui a fini par construire des engins de morts et sa vie de dessinateur. Le vent se lève est le questionnement permanent de Miyazaki, l’expression de ses regrets infinis. Là où dans ses autres films le rêve avait une portée positive, il se révèle ici une échappatoire vaine. Jiro/Miyazaki se rend compte qu’il a poursuivi des chimères durant toute sa vie. Tellement absorbé par son obsession qu’il en a peut-être oublié l’essentiel. Le maître semble pris d’un grand vertige au crépuscule de son œuvre. Seul face au précipice, il expose ses doutes au monde et sa peur de faire le grand saut. Le vent se lève, il faut tenter de vivre, Miya-San.

Jérémy Coifman.

Le vent se lève, de Miyazaki Hayao, En salles le 22 janvier 2014.