Entretien avec Kore-eda Hirokazu à l’occasion de la sortie de Tel Père, tel fils

Posté le 27 décembre 2013 par

C’est dans un hôtel cosy du centre parisien que nous avons rencontré pour la deuxième fois Kore-eda Hirokazu, toujours aussi humble et discret. On parle de Spielberg, de son rapport à l’enfance, de lien du sang… et de Victor Lopez.

Vous avez reçu le prix du jury au festival de Cannes, on vous rend hommage à Marrakech, ce genre de reconnaissance ça vous touche, ça peut être un moteur pour vous?

Oui, ça me touche beaucoup. Par exemple, entendre son nom présenté par le président du jury, c’est quelque chose d’incroyable, ça m’a procuré un plaisir incroyable et le choc est encore présent en moi. C’est toujours très émouvant.

Steven Spielberg, via Dreamworks, a acheté les droits pour faire un remake de votre film. De quel œil voyez-vous cette version américaine?

Le plus important pour moi est que le président du jury, M. Steven Spielberg est un homme que je respecte infiniment. Il a aimé mon film, il est venu en personne me le dire. Il m’a dit qu’il allait acheté les droits du film et qu’il respecterait l’esprit du film original. De mon côté, je lui ai dit qu’il pouvait faire ce qu’il voulait, que je le laissais libre. J’ai vraiment confiance en lui, je suis dans cet état d’esprit actuellement.

Même si ce n’est pas lui qui réalisera le film, voyez-vous un rapprochement entre votre cinéma et le sien?

Je pense que ce qui nous rapproche est qu’il raconte l’histoire d’enfants rejetés par leurs parents. Il a une forme de sympathie pour ce genre de personnage. Il sait saisir l’état d’insatisfaction et d’incertitude de ces enfants. Et de ce côté-là, je pense que nous sommes assez proches.

Dans vos films, vous implémentez beaucoup de votre vécu, de vos souvenirs. Dans Tel père, Tel Fils on prend le point de vue d’un homme en conflit intérieur. Est-ce que ce film est encore plus autobiographique que les autres?

Vous avez tout à fait raison. Je n’ai pas eu de problème d’échange d’enfant, mais les questions posés par le père, sur le développement de l’enfant, sur la souffrance de voir le temps qui passe et le peu de temps qu’il a à consacrer à son fils, ce sont le genre de questionnement que je peux avoir avec mon enfant. Je me demande souvent ce qui me lie à ma fille, est-ce que c’est les liens du sang ? le temps que je passe avec elle ? C’est en ce sens mon film le plus autobiographique, ou plutôt celui qui se rapproche le plus de mes propres questionnements.

Tel-père-tel-fils

Pour le rôle du père, vous avez choisi Fukuyama Masaharu, qui n’est pas un choix évident quand on connaît sa carrière. Comment est-il arrivé sur le projet?

Ce n’est pas moi qui l’ait choisi, c’est lui ! Un jour, j’ai reçu une lettre de lui qui me disait : »J’aimerais beaucoup tourner dans l’un de vos films, entrer dans votre monde. » Je l’ai donc rencontré et il m’a plu. J’ai donc écrit le personnage de Ryota en pensant à lui.

Il vous a donné certaines idées pour le personnage ? On sait que vous adaptez parfois les personnages en fonction des idées des acteurs, notamment avec les enfants.

Oui, j’ai tenu compte de certaines de ses suggestions, comme je le fais souvent. D’ailleurs, c’était la même chose pour les trois autres acteurs adultes qui jouaient les parents. En fonction de ce qu’il me disait, j’adaptais, je transformais.

Avec I Wish et Tel Père, Tel Fils, on a l’impression que votre cinéma se fait plus lumineux, est-ce que c’est anecdotique ou ça vous semble être une évolution de votre cinéma ?

(rigolant) C’est pas tellement mal d’être devenu plus lumineux, c’est pas grave ! Avec mes trois premiers films, j’étais catégorisé comme le cinéaste de la mort. Mais petit à petit je me suis distancié par rapport à ça. Mais bon, oui, on peut dire que mon cinéma est plus lumineux maintenant, mais c’est pas mal je trouve.

Oui, c’est très bien ! 

Le contraire est d’ailleurs plus fréquent, on s’aggrave, on devient plus sérieux, moi c’est contraire, tant mieux.

tel père tel fils

Dans I Wish, vous parliez de la famille monoparentale, dans Tel Père, Tel Fils vous abordez les liens du sang. Vous semblez bien conscient des changements de la société japonaise et d’une certaine manière, ces deux films peuvent être qualifiés de progressiste.  C’est pour faire contrepoids à une certaine radicalisation et un conservatisme au Japon ?

Je me sens pas progressiste, ni radical, ni conservateur d’ailleurs. J’essaye d’exprimer ce qu’il se passe actuellement au Japon. Il y a de plus en plus de famille monoparentale, je ne suis pas spécialement progressiste en montrant cela, c’est une réalité. Je raconte des histoires avec les modèles actuels japonais.

Les liens du sang sont très importants au Japon, non ?

En fait, cette histoire d’enfant échangé, c’est avant tout pour exprimer le dilemme de cet homme qui se demande si les liens du sang sont le plus important. Quand il y a eu ces nombreux cas d’échange d’enfants dans les années 80, dans 99% des cas on faisait l’échange dans l’autre sens pour respecter le lien du sang. Je pense que la société a changé et que maintenant, le pourcentage ne serait pas aussi élevé qu’il y a 40 ans, ce serait peut-être 70%. Cependant, il faut constater que le système d’adoption ne fonctionne pas encore au Japon. Ce qui montre bien que oui, les liens du sang ont encore la vie dure. Par contre dans le film, j’essaye de montrer qu’il faut réfléchir au temps qu’on passe avec son enfant, ce que ça veut dire. Il y a une autre alternative. Élever un enfant qui n’a pas son sang, c’est bien aussi. On le voit de plus en plus au Japon avec les remariages, les familles recomposées, mais on ne peut pas éliminer complètement ces liens du sang.

Je me dois de vous poser cette question, sinon je vais me faire gronder à la rédaction. Lors d’une précédente interview avec nous en 2012 à Vesoul, mon collègue Victor Lopez et vous aviez parlé de Madame X de David Lowell Rich (à lire et voir ici). C’était votre premier souvenir de cinéma. Après l’entretien, il vous avait envoyé le DVD, l’avez-vous reçu ?

Oui ! Je l’ai vu et bien reçu. Je me souviens de cet entretien, grand souvenir nostalgique…

Il va être super content d’entendre ça ! 

Merci beaucoup, et remerciez-le bien de ma part!

Puis un dernier petit mot pour nos lecteurs, qui attendent le film avec impatience…

Bonsoir (en français), je m’appelle Kore-eda Hirokazu, mon film que vous pourrez voir à Noël parle d’un problème familial. Cela semble partir d’un fait divers sensationnel – cet échange d’enfant – mais le vrai point de départ, ce sont mes propres questionnements. Quand je vois mon enfant grandir, je me demande ce qui me relie à cet enfant. J’espère que vous pourrez le voir à Noël ! Allez y précipitez-vous.

Merci beaucoup

Merci à vous.

Propos recueillis et retranscription réalisée par Jérémy Coifman.

Traduction par Catherine Cadou.

Un grand merci à Matilde Incerti et Jérémie Charrier.

Tel Père, Tel Fils en salles le 25/12/2013.

Imprimer


Laissez un commentaire


*