En ouverture de Kinotayo 2013 est projeté Wara no Tate de Miike Takashi, l’occasion de revenir sur la critique de Nicolas Debarle.
Que peut bien valoir le dernier opus de ce cinéaste qui a su depuis vingt ans enchaîner film sur film, passer par une grande diversité de genres et marquer le cinéma japonais d’un goût immodéré pour l’ultra-violence ? Soyons honnêtes, Shield of Straw (Wara no Tate, « Bouclier de paille »), polar certes fringant et soigné, n’a pas la magie ni l’étincelle caractéristiques d’un long métrage signé Miike Takashi. Objectons d’emblée le fait que la filmographie particulièrement dense du cinéaste s’est toujours présentée en dents de scie, avec ses hauts et ses bas, et ne s’apparente pas vraiment à une longue suite de chefs-d’œuvre. Admettons toutefois que les films de Miike ont tous plus ou moins pour intérêt le fait de provoquer, de choquer, de faire bouger les lignes ; que la plupart de ses œuvres, les premières en particulier, possèdent quelque chose d’hors-norme, de monstrueux, de jamais vu. Pousser le cinéma – et le spectateur, par la même occasion – jusqu’en ses limites, tel fut il y a encore peu de temps le crédo du cinéaste. Inclassable, révolté, visionnaire, le cinéaste a su s’imposer comme un véritable chantre du chaos.
À cet égard, Shield of Straw pourrait passer, ou aurait pu passer, pour un film de la maturité. Après avoir revisité un grand classique du cinéma japonais, en 2011, avec Hara-Kiri : Death of a Samurai, Miike semble amorcer une nouvelle période dans sa carrière : le fait d’être reconnu dans la sélection officielle du festival de Cannes lui donne l’opportunité de s’assagir et de prendre son temps. Un jour ou l’autre il fallait bien que l’enfant terrible du cinéma japonais devienne grand. Malheureusement, son projet d’adapter un roman à succès de Kazuhiro Kiuchi aboutit sur peu de choses : un simple thriller convenu, policé, sans heurts ni accrocs.
Une personnalité particulièrement riche et influente offre une très importante somme d’argent à quiconque assassinera en retour le criminel présumé de sa fille. Préférant s’en remettre aux mains de la police, celui-ci est transféré à Tokyo sous bonne escorte afin d’y être jugé. Le périple cependant se voit perturbé par un bon nombre de déséquilibrés attirés par la récompense promise.
Il serait injuste de ne pas reconnaître dans Shield of Straw une grande maîtrise de la mise en scène. Miike sait parfaitement doser ses effets et parvient à soutenir le rythme de son film du début à la fin. Se calquant sur l’itinéraire des personnages et chacune de ses étapes, les séquences s’enchaînent avec souplesse : on compte peu de temps mort dans la mesure où le film obéit à un schéma implacable (chaque séquence conduit à l’élimination d’un policier) pour lequel tout est savamment calculé. Trop, peut-être ? En comparaison avec la spontanéité de la plupart des précédents films de Miike, cela ne fait aucun doute. La subtilité de la mise en scène qui représente le point fort du long métrage repose en réalité sur un scénario qui, bien trop systématique, passe à côté de ses promesses et esquive ses nombreuses possibilités.
À l’exception de deux séquences plaisamment pimentées (celle se déroulant sur l’autoroute et celle du shinkansen), Shield of Straw manque de véritable consistance : les relations psychologiques qui peu à peu se trament entre les personnages n’entretiennent qu’un faible rapport avec le sujet même du film, tandis que de son côté, l’action s’amenuise tout doucement au fil du récit au point de ne plus vraiment surprendre au cours des dernières séquences.
Si, au final, le film apparaît comme un divertissement de bonne facture, il est plus que probable qu’il peinera à convaincre les fans de Miike. Il semble bel et bien que le fait d’être reconnu aujourd’hui à Cannes ait ôté au cinéaste ce qu’il avait de plus cher, son inventivité… Mais ne désespérons pas : jusqu’ici, Miike a toujours réussi à se renouveler.
Nicolas Debarle.
Wara no Tate de Miike Takashi, projeté en ouverture du festival Kinotayo 2013. Informations ici
Le 11/06/13 par Jeremy Coifman