25 Novembre 1970 : le jour où Mishima choisit son destin de Wakamatsu Kôji arrive enfin dans les salles françaises le mercredi 27 novembre 2013. Il nous livre sa version et sa vision du destin hors norme de Mishima Yukio, figure ô combien ambivalente et passionnante. On peut légitimement se demander ce que peut apporter cette évocation de la vie de l’écrivain par rapport au flamboyant biopic de Paul Schrader. Avec Wakamatsu aux commandes, on peut en avoir une petite idée.
Il est difficile de passer après Paul Schrader et son film de 1985 (la critique ICI),Wakamatsu Koji l’a bien compris et ne cherche en aucun cas à marcher sur les traces du biopic. D’emblée, il reprend ses marques, son style. Esthétiquement, le film est dans la continuité d’United Red Army et Le Soldat Dieu. Ce dernier segment de sa trilogie sur l’ère Showa est formellement très soigné. Rares sont les films tournés en numérique et qui s’en sortent avec autant de brio. À défaut d’avoir des moyens, Wakamatsu soigne le tout.
Dans un style très réaliste, Wakamatsu colle au plus près des personnages, jouant sur les décors que ses peu de moyens lui fournissent. Un paysage désert, une maison et ses moindres recoins, une table. Le réalisateur ne se renie pas, continue de poursuivre son combat. Dans cette optique de frapper fort, il entrelace le récit avec des images d’archives (l’assassinat en direct de Asanuma Inejiro, les manifestations étudiantes, les émeutes de Shinjuku), il filme la révolte, comme à l’accoutumée. En outre, il y a peu de musique. Quand la partition de Philip Glass achevait de rendre la version de Schrader ultra romanesque, Wakamatsu assène quelques accords jazzy au piano. Le thème, aussi entêtant que celui de Glass, marque bien la détermination de Mishima Yukio.
On ne pouvait pas s’attendre à autre chose, le film de Wakamatsu transpire la rébellion. L’engagement politique du réalisateur est toujours aussi important et sa rage n’est pas estompée, malgré son âge avancé. 25 Novembre 1970 : le jour où Mishima choisit son destin est le pendant de United Red Army. Wakamatsu s’intéresse à l’autre camp. Ceux qui défendaient l’impérialisme à tout prix, ceux qui voulaient réprimer les manifestations étudiantes, la droite fascisante. Son Mishima est un film sur l’endoctrinement, sur le pouvoir d’attraction qu’avait cet écrivain talentueux devenu symbole pour des jeunes un peu perdus. Le pouvoir de fascination que dégage Mishima est incroyable. Arata Iura (qui jouait déjà dans United Red Army et Le Soldat Dieu) est sensationnel.
Wakamatsu ne se concentre que sur les dernières années de la vie de l’écrivain. Ce qui l’a décidé à choisir son destin. Son culte du corps et de la beauté n’est qu’esquissé, son œuvre balayée, on est bien dans le film politique pur. Reste une incroyable tension sexuelle entre Mishima et Morita, son fidèle disciple, qui sous-entend l’homosexualité de l’écrivain. Mais peu importe, Wakamatsu Koji est aussi résolu que son alter égo à l’écran.
On comprend bien pourquoi Wakamatsu peut se reconnaître en Mishima. Rejetant le système en bloc, il prôna la rébellion. Bien qu’elle ne soit pas pour les mêmes raisons, cette lutte est l’essence même de la vie du réalisateur comme celle de l’écrivain. Comme pour Schrader en son temps, la vision de Mishima est quelque peu ambiguë, entre fascination totale et rejet.
Wakamatsu fait son film comme Mishima tente son coup d’état, avec la force du désespoir. A 76 ans, il n’a pas abandonné la lutte et harangue les jeunes Japonais à coup d’images d’archives, comme Mishima motive sa petite armée à continuer son combat. Cette fièvre, cette rage, cette lucidité aussi (la scène finale magnifique), finissent de faire de 25 Novembre 1970 : le jour où Mishima choisit son destin, une dernière grande œuvre, sincère et poignante.
Jérémy Coifman.
25 Novembre 1970 : le jour où Mishima choisit son destin de wakamatsu Kôji. 2012. Japon. En salles le 27/11/2013.