Bilan : L’Étrange Festival 2013

Posté le 18 octobre 2013 par

Bilan de L’Étrange Festival 2013, qui s’est tenu au Forum des Images à Paris du 5 au 15 septembre.

Créée en 1993, L’Étrange Festival n’a de cesse chaque année de nous présenter des films « différents », où le fantastique, l’horreur, le mystère, le drame, la comédie se côtoient sur les écrans du Forum des Images de Paris, durant la première quinzaine de septembre.

Entre avant-premières, hommages, nuits thématiques, carte blanche, découverte de pépites méconnues et inédites, L’Étrange nous permet de visionner une grande variété de courts et longs métrages de toutes époques, dans les meilleures conditions possibles, alors même qu’une bonne partie de la programmation n’a pas eu ou n’aura jamais l’honneur d’avoir une sortie en salles sur notre territoire.

Cette 19ème édition ne déroge pas à la règle. Fréderic Temps et son équipe se sont démenés pour nous offrir une programmation de qualité, dans le seul but de nous faire voir autre chose que ce que l’on voit au cinéma habituellement. Si la Compétition Internationale présentait principalement des films produits ces deux dernières années, le festivalier pouvait également trouver son bonheur parmi les autres sélections. Entre les avant-premières de films très attendus comme Snowpiercer, le Transperceneige, le nouveau Bong Joon-ho, les documentaires inédits, les hommages aux James Bond Girls Caroline Munro et Martine Beswick, les cartes blanches à Albert Dupontel et Jello Biafra, la compétition de courts métrages, les différentes pépites restaurées et peu connues en France, ou encore le focus sur Stephen Savadian, réalisateur de films érotiques dans les années 80, il y en avait vraiment pour tous les goûts.

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UNE SÉLECTION ASIATIQUE ENTRE HOMMAGE ET OUVERTURE

Parmi la vingtaine de films présentés en Compétition Internationale, cinq films asiatiques avaient la possibilité de remporter le Prix Nouveau Genre et le Prix du Public. Ce qui frappe d’entrée, c’est la propension qu’ont les réalisateurs de ces films à tirer leurs inspirations cinématographiques hors de leur continent, tout en rendant hommage au cinéma de leur pays. Leur présence dans un festival qui cherche avant tout à faire ressortir l’essence et l’amour d’un certain cinéma de genre, venu de tous horizons, paraît donc logique.

Dans trois genres différents (l’action pure, le polar tendu et l’horreur cauchemardesque), le sud-coréen Ryoo Seung-wan, avec The Agent, l’indien Anurag Kashyap, avec Ugly, et l’indonésienne Upi Avianto, avec Belenggu, nous rappellent que le cinéma américain reste une source d’inspiration pour une grande partie des cinéastes à travers le monde.

On retrouve par exemple dans The Agent, toute l’ampleur d’un film d’action hollywoodien, alliée au savoir-faire sud-coréen, là où Ugly témoigne de la volonté du cinéma indien de se démarquer de l’empire bollywoodien, sans pour autant en oublier ses racines. L’histoire de The Agent prend d’ailleurs place à Berlin, et implique aussi bien des espions nord-coréens et sud-coréens, que des agents du Mossad, de la CIA, des Russes et des extrémistes anticapitalistes. Un cachet international, une métropole tentaculaire, des personnages forts et une intrigue à tiroirs, qui offrent un terrain de jeu formidable pour 2h de scènes d’action brillamment mises en scène, magnifiquement découpées et surtout parfaitement lisibles et rythmées. On reste moins convaincu par l’histoire d’enlèvement d’Ugly. Si une bonne partie du film s’avère efficace, adoptant une narration typiquement hollywoodienne tout en s’appuyant admirablement sur la réalité sociale terriblement fataliste et éprouvante d’une Inde filmée sans fard, la dernière demi-heure s’égare en voulant suivre trop de directions à la fois, ne sachant pas sur quel pied danser, si bien qu’on finit par se désintéresser du sort de la petite fille enlevée et du déroulement de l’enquête. De son côté, Belenggu nous plonge dans une atmosphère mystérieuse à la David Lynch, et une intrigue qui nous ressert ce qu’on a déjà vu chez Martin Scorsese ou Richard Kelly. La réalisatrice indonésienne pompe allègrement ses modèles sans aucune subtilité et sans jamais trouver son identité propre. Malgré une direction artistique de bonne facture, la mise en scène est tellement forcée et l’acteur principal joue tellement mal que ça en devient ridicule. Et ce n’est pas son twist final, devinable au bout de quinze minutes, qui change la donne.

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Heureusement, la qualité de la sélection asiatique est vite rattrapée par les deux petites bombes que sont Confession of Murder de Jeong Byeong-gil et Why don’t you play in Hell? de l’infatigable Sion Sono, grand habitué de l’Étrange puisqu’une bonne partie de sa filmographie y a été présentée. Thriller sud-coréen dans la plus pure tradition du genre pour l’un, hommage parodique aux films de yakuzas pour l’autre, ces deux longs métrages se veulent avant tout des déclarations d’amour au cinéma de leur pays respectif, celui-là même qui leur a donné envie de faire ce métier avec passion, celui-là même qui constitue la base de ce qu’est, aujourd’hui, L’Étrange Festival.

A partir d’un pitch absolument génial — un serial-killer qui publie, après l’expiration du délai de prescription, un livre autobiographique dans lequel il s’attribue la responsabilité de meurtres commis quinze ans plus tôt — Jeong Byeong-gil s’amuse avec les codes du genre pour nous livrer un film dopé à l’adrénaline, qui enchaîne les rebondissements avec un entrain démesuré. Jouant astucieusement sur les apparences, Confession of Murder surprend en permanence par son caractère outrancier, voire complètement over the top, et son second degré assumé, à l’image de la course-poursuite très cartoonesque sur l’autoroute, où les personnages sautent d’une voiture à une autre sans aucun souci de vraisemblance. Parfois hilarant tellement ça part loin dans le délire, parfois hyper prenant par la force et la tension qui se dégagent de certains affrontements, Confession of Murder, en profite au passage pour épingler gentiment l’absurdité de certaines institutions en Corée du Sud.

Un cinéma outrancier que n’aurait pas renié Sion Sono. Ayant terminé son cycle Fukushima, le Japonais fou retrouve son énergie débridée pour nous servir tout simplement l’un des films les plus funs de l’année. Beau, amusant, émouvant, furieux, stimulant, Why don’t you play in Hell?, qui a reçu au passage le très convoité Prix du Public, brasse des centaines d’idées dans une sorte d’énorme pastiche ultra-référencée (jusqu’au choix des acteurs), véritable déclaration d’amour au cinéma japonais, à la pellicule et à la rage de filmer. On y retrouve beaucoup de son Love Exposure, la même folie douce chez les personnages, les mêmes situations complètement décalées et irrésistiblement drôles. Rarement au cinéma, la violence se sera autant mêlée à l’art. On attend du coup avec impatience les prochains projets du maître, avec notamment un film qu’il décrit lui-même comme « un Mad Max en 600 millions de fois plus rapide », et un autre film s’inscrivant dans le genre du Kaijū Eiga. Sion Sono est de retour aux affaires et ça va faire mal !

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FILMS ATTENDUS ET ÉTRANGES DÉCOUVERTES

Le Sion Sono était très attendu par le public du festival, tout comme le nouveau film de Bong Joon-ho, qui est d’ailleurs venu personnellement présenter son adaptation du Transperceneige, en compagnie de l’un des auteurs du roman graphique d’origine, Jean-Marc Rochette. Cette histoire de train lancé à pleine vitesse autour du globe, dernier refuge de l’humanité suite à la glaciation totale de la planète, était un sujet en or pour le réalisateur sud-coréen, maître dans l’art de traiter les rapports humains dans des situations extrêmes. Gros film de science-fiction post-apocalyptique au casting international, Snowpiercer surprend en permanence, scène après scène, wagon après wagon, aussi bien dans sa construction narrative que dans sa mise en scène, et nous emmène à peu près partout où on ne s’attend pas. Une claque visuelle à tomber par terre, dont le propos dépasse rapidement la vulgaire lutte des classes promise par la bande annonce pour aller vers quelque chose de beaucoup plus fort, profond, remuant et quasi-abstrait, redéfinissant et questionnant les fondements de l’humanité. Tout juste pourrait-on lui reprocher une ou deux séquences de dialogues explicatifs en trop, mais ce n’est vraiment pas grand-chose tant le film se démarque aisément de ce qui nous a été proposé jusqu’à maintenant dans un genre très exploité ces dernières années.

Dans une moindre mesure, le cinéaste chinois Lu Chuan devait confirmer tout son potentiel après le suffocant et éprouvant City of Life and Death. Son dernier film, The Last Supper, est une sorte de relecture de La Cène, comme son titre l’indique, se déroulant pendant la Guerre Chu-Han qui eut lieu à la fin de la Dynastie Qin. Film en costumes divisé en deux parties centralisées autour du fameux banquet, The Last Supper impressionne surtout par l’énorme soin esthétique apporté à l’image et au choix des cadres, moins par sa construction narrative bancale, qui pourrait en laisser plus d’un au bord de la route.

A côté de ces grosses productions, il y a aussi ces petits films qui nous font découvrir de nouveaux cinéastes, souvent inconnus en France. C’est le cas de Miss Zombie, du réalisateur japonais Hiroyuki Tanaka, dit « Sabu ». Son pitch de départ, à savoir l’intrusion d’une jeune femme transformée en zombie (mais à un stade où elle est encore inoffensive) au sein d’une famille japonaise et de son entourage, donne au film une ambiance étrange. Le noir et blanc très contrasté met en valeur l’influence qu’a cette femme zombie sur les membres de cette famille, réveillant chez eux les pulsions les plus malsaines. S’appuyant énormément sur le son, ce qui donne au film un rythme lancinant assez hypnotique, Sabu croise le destin de cette famille qui peu à peu perd son humanité, avec celui de cette femme zombie, dont la fibre humaine n’est pas complètement morte et va s’éveiller par petites touches, notamment au contact du fils. Une œuvre intrigante, répétitive par moment, mais dont la poésie morbide ne laisse pas indifférent.

Miss Zombie, Sabu

L’Étrange Festival ne serait pas l’Étrange Festival sans ses nuits thématiques, regroupant tous les warriors qui se sont déjà regardés cinq ou six films dans la journée mais qui ne sont pas encore rassasiés. Personnellement, au vu de mon programme chargé le lendemain, je ne suis resté que pour le premier film de la « Nuit Bad Girl », à savoir 009-1: the End of the Beginning, adaptation en film live d’un manga datant des années 60 par Koichi Sakamoto. Un bon nanar de tradition japonaise dans la pure lignée d’un Machine Girl, mélange d’action à l’américaine avec les moyens d’un épisode de Plus Belle la Vie, et de romance érotico-soft. Débile et crétin au possible, le film aurait été « irregardable » dans d’autres conditions qu’une nuit à l’Étrange, mais bizarrement la salle s’est bien marrée, et l’ambiance a surtout été stimulée par la présentation de la belle Mayuko Iwaza, toute mignonne dans un costume rouge ultra-moulant, semblable à celui qu’elle porte dans le film. Une agréable surprise parmi tant d’autres à l’Étrange Festival.

L’Asie était donc fièrement représentée dans cette 19ème édition, mais le reste de la sélection valait également le coup d’œil. Parmi les films non-asiatiques, s’il fallait en ressortir un seul, ce serait l’excellente comédie Ghost Graduation (Promocion Fantasma en VO) du très prometteur réalisateur espagnol Javier Ruiz Caldera. Prenez les meilleurs films de John Hugues, The Breakfast Club et Sixteen Candles en tête, saupoudrez-les d’un peu de Ghostbusters, et vous obtenez un film de campus qui retourne complètement le film de fantôme. Un hommage hilarant aux glorieuses comédies américaines des années 80-90, dans un style typiquement hispanique, avec ce fantastique tellement bien dosé et cette âme enfantine qui ne s’épuise jamais.

Quentin Dupieux Wrong Cops

Wrong Cops

Dans les autres bons moments de cette 19ème édition, on pourrait citer le retour en force de Quentin Dupieux avec son désopilant Wrong Cops, l’intéressant The Station, très inspiré par The Thing de Carpenter et le Alien de Ridley Scott, l’inquiétant We are what we are, remake d’un film mexicain, et son ambiance malsaine qui a choqué la bourgeoisie deauvillaise, ou encore le thriller typiquement britannique Wasteland, qui rappelle le Guy Richie des débuts. On retrouve ainsi des films aux inspirations diverses, puisant dans les ressources cinématographiques de leur pays tout en dépassant les frontières, mais toujours en adoptant un style propre déjà très marqué. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de voir le film récompensé par le Prix Nouveau Genre, The Major de Yuri Bykov (encore une fois, j’avais déjà raté Headhunters et Bullhead les années précédentes).

Cette année encore l’Étrange Festival ne déçoit pas, et il faut donc saluer les efforts d’une équipe soudée qui continue de soutenir, en surmontant chaque difficulté, un cinéma stimulant et différent, un cinéma aux propositions osées et aux idées fortes. On ne peut que trépigner d’impatience dans l’attente d’une 20ème édition qui s’annonce d’ores et déjà épique.

Nicolas Lemerle

À écouter également, notre Podcast revenant sur le festival !

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