Le film de la semaine : Room 514 de Sharon Bar-Ziv – Casuality of War

Posté le 6 octobre 2013 par

Premier film de l’acteur israélien Sharon Bar-Ziv, Room 514 enferme son spectateur avec une enquêtrice militaire sous pression pendant une heure trente dans un décor unique. Un film de dispositif qui tient son ascétisme jusqu’au bout… mais pourquoi, au fait ?

Il est souvent des acteurs qui passent derrière la caméra comme des nouveaux convertis religieux, motivés par un besoin démonstratif tendant à prouver par un dogmatisme accru que leur place est bien parmi cette nouvelle communauté. De religion, pourtant, il en est fort peu question dans Room 514, film sur la police militaire israélienne, dans lequel  le conflit israélo-palestinien passe finalement au second plan face au culte que voue son cinéaste, l’acteur Sharon Bar-Ziv, à son dispositif de mise en scène asphyxiant, oppressant, et implacable jusqu’à sa dernière minute.

De l’enquête d’Anna sur les agissements d’une brigade de terrain, les loups, dans les territoires occupés, on ne saisit d’abord que des bribes, des fragments d’information jusqu’à la confrontation avec un officier gradé qui aurait commis des actes de violence inutiles sur des civils palestiniens. L’acte en lui-même n’a finalement que peu d’importance. Nous sommes loin d’Outrage et Redacted, les modèles du genre signés Brian De Palma, pourtant eux aussi très maniéristes, mais s’intéressant autant aux faits (un viol), qu’au contexte qui le produit (le Vietnam et l’Irak) et à la manière de le montrer (les témoignages et la reconstitution des points de vue par l’enregistrement de sources vidéos). Ici, les faits ont moins d’importance que l’idée générale qu’ils soulèvent (l’implication d’acte de violence sur le terrain face à l’idéalisme et aux valeurs supposées de l’armée) et le contexte n’est finalement qu’accessoire pour cette problématique (le film pourrait se passer dans n’importe quelle zone occupée, avec n’importe quelle armée).

Deux choses surtout intéressent le cinéaste dans cette affaire : les implications politiques qu’entraîne l’enquête d’Anna, démontant des rouages complexes d’impunité au sein de l’armée, et le cheminement de son personnage principal face à ses découvertes progressives. On pourrait penser que Bar-Ziv, afin de présenter les interrogatoires qui constituent la majeure partie du film, aurait opté pour une mise en scène objective, calquée sur la non-intervention d’un Depardon dans 10ème chambre – Instant d’audience, accentuant ainsi le caractère réaliste du film, apparemment tiré de faits réels observés par le réalisateur durant son service militaire. Mais à une reproduction d’un enregistrement neutre du réel, qui se serait manifesté par l’utilisation d’un cadrage fixe et unique, monolithique, le cinéaste préfère une caméra portée, vacillante, scrutant au plus prête les visages de ses protagonistes, et en premier lieu celui d’Anna. La mise en scène est elle-même heurtée, composée de coupes brusques et de raccords dans l’axe, suggérant la progression par à coup de l’enquête et des découvertes de l’enquêtrice.

Le réaliste est alors un leurre : Room 514 est avant tout un film mental, captant sur la surface du visage d’Anna, toujours en mouvement, toujours en gros plan, les fluctuations de son état intérieur. Le premier interrogatoire est d’ailleurs trompeur. La caméra se fixe sur Anna, retardant le moment de montrer celui qu’elle interroge. On pense alors à un effet de suspension, mais on se rend compte qu’il n’en est rien : c’est uniquement une manière de montrer la focalisation du film sur son personnage féminin. Le plan précédent nous avait déjà mis sur la voie : une image en noir et blanc, qui reviendra par intermittence et comme des respirations hors de l’espace clos de la salle d’interrogatoire, reflétant l’état mental d’Anna.

Prisonnier d’une pièce, prisonnier de la conscience d’Anna, le spectateur n’a que très peu l’occasion de s’oxygéner, et est aussi captif du film qu’Anna l’est de son enquête, puis finalement de l’armée, qu’elle souhaite quitter alors même qu’elle s’enfonce dans des rouages de plus en plus inextricables. Quatre éléments du film rappellent l’extérieur mais aucun ne sort véritablement le film de son enfermement. Dédramatisant le premier interrogatoire, le téléphone d’Anna sonne pour une discussion quotidienne avec sa mère, qui reviendra à plusieurs reprises. Mais jamais on ne verra cette femme, au point que l’on se demande même si cet appel n’est pas une mise en scène afin de mettre en confiance le témoin interrogé.

Un autre personnage non-militaire apparait au milieu du film : la future femme d’un collègue d’Anna avec qui elle a une aventure. Obligée de mentir à cette dernière, Anna voit alors dans cet acte une petite trahison à son idéal, en même temps qu’il démasque l’hypocrisie de son ami, incapable de l’épauler dans son enquête. On ne sort alors réellement de la chambre 514 que pour de rares scènes de bus, filmées proche des acteurs et ne dévoilant rien de l’extérieur, et par des plans de la vue de la fenêtre d’Anna, en noir et blanc, sous-tendant l’idée d’un possible suicide, thématique très présente dans le film. L’extérieur est un leurre, un mensonge, et n’existe finalement pas : la seule issue étant la mort.

On le voit alors, la maîtrise de Sharon Bar-Ziv, de ses moyens et de son écriture cinématographique fait de Room 514 un huit-clos efficace et tendu, mais sa rigueur formelle, son implacable rationalité et la conscience totale de ses effets empêchent trop souvent l’émotion de réellement s’épanouir. L’implication des acteurs, et en premier lieu Asia Naifeld et Rafi Kalmar, qui incarne le général apportant une touche de réelle ambiguïté à la fin du film, confère une touche d’humanité à cet exercice de style réussi mais systématique.

Victor Lopez.

Room 514 de Sharon Bar-Ziv. Israël. 2013. En salles le 09/10/2013.

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