Critique Preview : Le Vent se lève, il faut tenter de vivre (Kaze Tachinu) de Miyazaki Hayao – l’éternel réveur

Posté le 6 octobre 2013 par

Au fil des ans, Miyazaki Hayao a su construire un univers original qui lui vaut depuis quelques temps déjà la reconnaissance internationale. Nul besoin de prouver aujourd’hui qu’il est devenu l’un des plus grands maîtres du cinéma d’animation. Si son dernier opus, Le Vent se lève, il faut tenter de vivre (Kaze Tachinu), est déjà sorti au Japon le 20 juillet dernier, les fans du monde entier doivent attendre quelques mois encore avant de découvrir ce nouveau venu dans les productions Ghibli.

Miyazaki, à première vue, s’avance là où on ne l’attendait pas. S’étant jusqu’ici exclusivement consacré au genre merveilleux ou fantastique au point d’en avoir fait sa marque de fabrique, le cinéaste puise pour la première fois de sa carrière dans la veine réaliste. Le Vent se lève n’est rien d’autre en effet que le biopic de Horikoshi Jirô, le concepteur de l’avion de chasse Zéro ayant servi dans l’armée japonaise lors de la Guerre du Pacifique.

Particulièrement réussie d’un point de vue graphique, la première partie du film frappe par un souci du réalisme particulièrement développé. Les images non seulement fourmillent de détails plus remarquables les uns que les autres, mais délivrent une atmosphère subtile, originale et soignée. Il semble évident que le cinéaste se soit inspiré du style caractéristique des estampes japonaises de la fin d’Edo et se soit appliqué à en moderniser les traits en y insérant des éléments d’origine occidentale (trains, avions, etc.), symboles de l’industrialisation massive menée par le Japon depuis la seconde moitié du XIXème siècle. Par-delà les histoires professionnelle et sentimentale de Horikoshi Jirô, il s’agit bel et bien pour le réalisateur de brosser le portrait d’une époque en se référant aux principaux évènements survenus au Japon jusqu’à l’éclatement de la seconde guerre mondiale. Créateur, pourrait-on dire, de mythes modernes, Miyazaki s’efforce de traduire par des images fortes une période des plus troublées de l’histoire de son pays.

Malgré tout, un film de Miyazaki ne saurait être un film de Miyazaki sans un minimum de fantaisie. On note à cet égard la très belle séquence d’ouverture qui introduit le film sur une tonalité onirique, saisissante et pleine de promesses. Le personnage, enfant, rêve qu’il s’envole à bord d’un avion imaginaire pour parcourir sa région natale en rase-motte, avant que le ciel ne s’emplisse de formes noires et bizarres, tout à la fois mécaniques et organiques, précipitant Jirô dans une terrible chute. L’essentiel du récit est déjà là ; le film dès lors ne cessera d’alterner les séquences de veille aux séquences de rêve, comme pour souligner les liens tissés entre l’un et l’autre monde.

Là où Ponyo traitait avant tout du phénomène de l’eau, Princesse Mononoke ou Totoro de celui de la forêt, Le Vent se lève se préoccupe, comme son titre l’indique, de la nature du vent. Il est intéressant de remarquer comment Miyazaki, parvenu sur ce point au sommet de son art, réussit à capter l’essence d’un élément qui par principe est invisible et non représentable. Capable de pousser les objets (chapeau, parasol, avion en papier, etc.) comme sous l’effet d’une invisible présence, le vent réunit les personnages, les invite à se rencontrer, à se retrouver et à communiquer entre eux. Il est une sorte de trait d’union entre les êtres, ce qui les relie et leur permet d’aller toujours de l’avant. D’un autre côté, comme il faut s’y attendre, le vent comporte en lui une part d’ombre, tragique et effrayante, ce dont la première séquence du film est révélatrice, tout comme celle du grand tremblement de terre du Kantô représenté comme une sorte de tremblement de l’air. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre », nous dit le film en citant Paul Valéry : s’il s’agit en effet de vivre avec le vent, de s’en nourrir, de se laisser guider par lui, il s’agit également de se tenir face à lui, contre lui, de lui résister et de s’y opposer. Au loin, la rumeur gronde, il paraît que la guerre est inévitable…

Toute cette effervescence, hélas, ne tient pas ses promesses. Au lieu de s’élancer, le rythme de la seconde partie du film tend en réalité à s’estomper. Les séquences semblent parfois longues, répétitives et présentent peu d’inventions graphiques… Devenu ingénieur et après un séjour en Allemagne, le personnage s’efforce malgré ses échecs à réaliser son rêve et à concevoir le meilleur avion jamais construit. S’enfermant de plus en plus dans son propre monde imaginaire, il ignore les troubles politiques de son époque et peine à comprendre que son œuvre est bien moins attendue comme un progrès de la science et des techniques aériennes que comme une arme de guerre efficace et dévastatrice. On le comprend, Jirô se définit avant tout comme un artiste – l’égal de Miyazaki, assurément. Son rêve le mène vers l’idéal, mais la réalité finit par le rattraper.

Avec la montée du militarisme et l’apparition du nazisme, l’arrière-plan du film prend une nouvelle tournure et, lourd de menaces, finit par virer au cauchemar. Tout cela, cependant, Miyazaki refuse de le représenter et se contente de le suggérer au moyen de longs dialogues parfois redondants… Pourquoi ne pas avoir repris à ce stade du récit le motif des ombres amorcé dans la séquence d’ouverture ? Pourquoi la représentation de la guerre est-elle purement et simplement évincée du film alors que celle du tremblement de terre de 1923 ne l’est pas ? Répondant aux exigences d’une sensibilité naïve, ce qui dans le passé lui avait mieux réussi, Miyazaki évite de prendre position quant à l’attitude du Japon au cours de la seconde guerre mondiale et confère à son film une troublante ambiguïté. Peut-on imaginer un film d’animation allemand qui évoquerait la conception du char Panzer sans en montrer une seule fois les horreurs dont celui-ci a été capable ?…

Partagé, on le sent, entre sa passion pour l’aviation (les fans de Miyazaki se sentiront ici en terrain connu) et le refus d’aborder de front la question de la guerre et de la militarisation (alors que ce sujet ne lui est pas inconnu, comme le prouvent des films comme Nausicaä ou Le Château dans le ciel, à la différence près que ces derniers n’impliquaient aucun engagement réel), Miyazaki peine à trouver le ton juste pour boucler son histoire et laisse planer le doute sur le bien-fondé de son entreprise. Le romantisme relativement banal et convenu, qui caractérise le récit dès lors que le personnage se marie, finit par l’emporter sur le réalisme de la première partie. En se concentrant sur la relation amoureuse du personnage, le film manque d’évoquer ce à quoi il s’était destiné depuis les toutes premières séquences.

Pari risqué pour Miyazaki, qui en partie rate le coche, Le vent se lève nous prouve cependant que le réalisateur rechigne à traiter des sujets faciles, quitte à déplaire à un certain nombre de ses fans. Ainsi, bien loin du produit commercial sans goût ni saveur, le film a le mérite de rendre le cinéaste plus humain que jamais : un éternel rêveur pétri de contradictions.

Nicolas Debarle.

Le Vent se lève, il faut tenter de vivre (Kaze Tachinu) de Miyazaki Hayao. Japon. 2013. En salles le 15/01/2014.

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