Critique du Jeu de Rôle L’Appel de Cthulhu

Posté le 12 novembre 2012 par

S’il n’est pas surprenant qu’East Asia se penche sur des jeux de rôles comme Manga no Densetsu, Les Errants d’Ukyio ou encore Devastra – Réincarnation, découvrir en ce lieu un article sur l’Appel de Cthulhu pourrait laisser perplexe. Et pourtant, ce Grand Ancien du jeu de rôle y a parfaitement sa place. Pour le comprendre, suivez le guide. Par Yannik Vanesse.

 

Après plusieurs critiques de jeux de rôle, les lecteurs commencent peut-être à être familiarisés avec ce loisir et les règles de base qui le régissent. Les autres devraient prendre quelques minutes, le temps de lire l’introduction de la critique de Manga no Densetsu, qui les explique en détails.

Ceci fait, un autre point mérite quelques éclaircissements. L’Appel de Cthulhu, en effet, n’est pas une création originale, mais s’inspire des écrits d’un des plus grands maîtres de l’épouvante, Howard Phillips Lovecraft. Cet homme a créé, à travers une série de nouvelles originales et terrifiantes, ce qu’on appellera par la suite le Mythe de Cthulhu et des Grands Anciens. Ces créatures, inhumaines et effroyables, d’une puissance dépassant l’entendement, sont emprisonnées ou vivent éloignées de l’humanité, mais certains cultes et créatures dégénérées cherchent à les faire revenir. Lovecraft a de même créé des villes, à présent très connues, comme Dunwich et surtout Arkham, qui sont le théâtre de bien des horreurs, et d’ouvrages impies, comme le Necronomicon.

Cet univers glauque et terrifiant fut très tôt adapté en jeu de rôle, et il en est à l’heure actuelle à sa sixième édition. En effet, un jeu de rôle ne reste jamais figé. Au fil d’extensions détaillant des règles ou des points précis de son univers, ou des éditions s’adaptant aux désirs de nouveaux joueurs, ou compilant divers ouvrages précédentes, un jeu de rôle progresse, se développe, se transforme.

En pensant à Lovecraft et à Cthulhu, c’est surtout l’Amérique des années vingt qui vient cependant à l’esprit. En effet, Arkham s’y trouve, et nombre de nouvelles de Lovecraft s’y déroulent.

Mais il serait dommage de penser que le Mythe de Cthulhu se limite aux États-Unis, comme il est facile de le voir en lisant le sublime ouvrage de base de l’Édition 30ème anniversaire (ce n’est pas pour rien que l’Appel de Cthulhu fait partie des Grands Anciens du jeu de rôle). Cette édition de toute beauté, nantie d’illustrations magnifiques, certaines provenant des ouvrages précédents, et de petits encarts sur des extensions sélectionnées et décrites en quelques lignes, permettant de rêver et d’imaginer le contenu de ces ouvrages de qualité, débute avec la nouvelle de Lovecraft donnant son nom au jeu. Et, dans cette histoire effrayante, quelques allusions à la Chine sont présentes. Y résident ainsi les chefs immortels du culte de Cthulhu. De même, en se plongeant dans l’histoire de l’univers – le background – on découvre d’autres références à l’Asie. Ainsi, nombres de goules y sont domiciliées, notamment en Inde et aux Philippines.

Une des extensions détaille ainsi plusieurs sites historiques, les passant à travers le prisme du Mythe. Chacun de ces lieux s’avère ainsi riche en idées de scénarios et de campagnes pour un Gardien (le nom du maître de jeu à Cthulhu) désireux de surprendre ses joueurs. Ce livre, c’est Terra Cthulhiana. Derrière ce nom se dissimule un tome impressionnant. Nanti d’illustrations superbes – une constante dans ce jeu -, de vieilles photographies mettant bien dans l’ambiance, il s’attache à décrire des sites peu connus difficiles d’accès. Ne serait-ce qu’historiquement, l’ouvrage est passionnant, les auteurs s’étant grandement documenté en préalable ! Mais, quand le texte bascule dans le paranormal, le Gardien ne peut que jubiler en percevant toutes les possibilités d’histoires qui lui sont offertes. Terra Cthulhiana est, fort intelligemment, divisé en gros chapitres représentant chacun un continent. L’amateur de mythe eastasien sera aux anges, car les lieux décrits sont particulièrement intéressants et riches en possibilités d’histoires. Le lecteur peut ainsi lire une longue description d’un étrange site cambodgien où de très nombreux temples, envahis d’une dense végétation, augurent de la fin du monde. Un temple indien entièrement taillé dans la roche le fera rêver, mais ce n’est rien comparé au mystère de Krakatau, immense volcan, reflet d’effroyables catastrophes passées et sans doute à venir. Mais quand le lecteur découvre au fil des pages tout ce qu’il a besoin de savoir et même plus, sur le mythique et dérangeant Plateau de Leng, il ne peut que frissonner. Ce plateau, fréquemment cité dans le Mythe, n’est sans doute pas de notre monde, mais il est possible de le rejoindre par le Tibet. Le texte, comme tous les autres, est passionnant et enrichi de photographies en noir et blanc mettant dans l’ambiance, mais le fait qu’il s’agisse de Leng ne peut laisser indifférent. De même, Shamballa essaie – et parvient – à concilier religion et mythe pour décrire cette ville symbolique, plus une utopie, un but, qu’un véritable lieu. Quelques autres sites viennent ainsi enrichir le lecteur en connaissances historiques et en adaptation à l’univers de Lovecraft, le tout avec brio et intelligence.

L’Appel de Cthulhu est aussi réputé pour ses scénarios. Au fil de ses six éditions, ce jeu s’est vu affilié à de nombreuses histoires, certaines mythiques, qui ont fait rêver et terrifier ses joueurs. Les Masques de Nyarlathotep, Par-delà les montagnes hallucinées ou Terreur sur l’orient express sont des noms connus de tous les rôlistes. L’amateur de Cthulhu se déroulant en Asie se voit offrir un matériau des plus intéressants. Les Ombres de Leningrad emmène ses joueurs aux confins de la folie, alors que leur enquête sur la mort d’un peintre leur fait découvrir une dimension étrange se dissimulant dans des tableaux, leur fait combattre yétis et cultes étranges. Une histoire particulièrement éprouvante et tout simplement géniale !

De son côté, Les Horreurs venues de Yuggoth et autres contes propose quatre histoires, dont deux se déroulant sur le continent asiatique. Ces deux histoires, ainsi que la première, non asiatique, peuvent être reliées entres elles, des rêves que font les investigateurs (nom des personnages joueurs à Cthulhu) durant ces scénarios étant liés, mais ils peuvent aussi aisément être maîtrisés séparément. Un Gardien désirant faire jouer ces quatre histoires à la suite sera assuré d’envoyer ses joueurs dans des endroits reculés et exotiques, chacun de ces lieux étant à lui seul une aventure particulièrement difficile – surtout dans les années vingt. Alors, en ajoutant les horreurs lovecraftiennes, il est aisé d’imaginer que les personnages auront fort à faire pour préserver leur vie – et leur santé mentale.

Si le Gardien relie les scénarios, il devra donc envoyer ses joueurs, tout d’abord, en Amazonie, avant qu’ils ne puissent aller en Asie. Ce premier scénario voit les personnages partir à la recherche d’un trésor perdu dans la jungle, protégé par un peuple d’hommes-serpents extraterrestres. Cette aventure est passionnante et assez libre, comme le sont les autres de l’ouvrage. Le second scénario utilise un mécanisme peu usité en jeux de rôle mais souvent exploité au cinéma, le flashback. Dans Les Feux de Sumatra, les joueurs se réveillent, enchaînés à la paroi d’une grotte, et amnésiques, alors qu’une dangereuse créature approche. Les investigateurs doivent ainsi se libérer rapidement et fuir jusqu’à la ville indienne la plus proche, explorant cette colonie hollandaise à la recherche de leur mémoire d’abord, puis essayer d’empêcher l’arrivée d’abominations diverses. Le final s’avérera littéralement dantesque, entre le feu apocalyptique et les visions de cauchemars. Un scénario qui demandera un peu de préparation mais, pour peu qu’il soit correctement mis en scène avec des joueurs réceptifs, risque de les marquer durablement. Terreur sur le toit du monde emmène ensuite tout ce joli monde au Tibet, ce qui n’est pas aisé dans les années vingt ! Les joueurs sont cependant nantis d’un exceptionnel laisser-passer, et, en recherchant pourquoi un de leurs amis est devenu fou, ils seront confrontés à un moine dément et à un spectre tibétain diablement dangereux. Ce scénario s’avère dépaysant dans tous les sens du terme, et passionnant !

Mais si un Gardien recherche le dépaysement le plus total, Étranges époques 1 et 2 est un choix des plus judicieux. Cet ouvrage se propose de mettre en scène des histoires lovecraftiennes à différentes périodes historiques, passées et même futures, présentant chaque fois des personnages pré-tirés – c’est à dire déjà créés (comme souvent, mais dans le cas de ces histoires aux postulats plus fermés, cela se révèle encore plus judicieux). Deux s’intéressent à l’Asie. Le Mariage de maître Wu se situe dans la Chine antique – au sixième siècle. Les investigateurs appartiennent à la maisonnée de maître Wu, un vieux marchand, et sont chargés d’aller chercher la fiancée de ce dernier, noble dame désargentée qu’il n’a jamais rencontrée et qui vit dans une province lointaine. Tout ne se passera pas comme prévu, et les joueurs vont devoir se montrer retors pour survivre, entre brigands et démons chinois.

La boîte aux bandes de fer permet d’incarner des rōnins dans le Japon médiéval. Ces derniers vont se retrouver confrontés à des yakuzas et à un Oni particulièrement féroce et vindicatif. Ce scénario, riche en action et en scènes cauchemardesques, dépaysera tout autant qu’il provoquera l’engouement auprès de joueurs amateurs de Lovecraft et des chanbaras. Ces deux scénarios présentant des pistes pour continuer à jouer dans ces univers particuliers, ils sont l’occasion de créer des campagnes de longue haleine particulièrement surprenantes et originales.

Ainsi, l’amateur d’horreur lovecraftienne pourra aisément mettre en scène des histoires de très grande qualité en Asie. Avec force plans, illustrations et photos pour mettre dans l’ambiance, sublimement écrits, les scénarios proposés méritent amplement le détour.

Tout comme l’Appel de Cthulhu en général, d’ailleurs. Certes, les règles complexes et simulationnistes surprennent un peu dans un jeu à ce point basé sur l’ambiance. Cependant, si les auteurs proposent nombres de cas de figures pour couvrir toutes les situations de manière réelles et crédibles, la plupart des règles sont optionnelles et, finalement, un maître de jeu peut aisément épurer le système et ne garder que le D100 devant faire en dessous d’une compétence, et ajouter, au fur et à mesure, quelques petites règles, selon les besoins et les envies. Ainsi, il peut approfondir les subtilités du système progressivement, ce qui est d’ailleurs conseillé dans l’ouvrage.

Si Sandy Petersen (qui a aussi grandement contribué au jeu de rôle Runequest) a créé l’Appel de Cthulhu (en 1983), nombreuses sont les personnes à avoir participé au développement du jeu, comme Lynn Willis en 1998 (qui a aussi aidé à la création de Runequest et a contribué au développement de la nouvelle édition de Stormbringer), pour la version originale, ou Christian Grussi et Guilhem Arbaret pour la version française. En effet, les auteurs  ne se contentent pas de traduire les ouvrages américains, loin s’en faut. Ils adaptent le système, ajoutent des textes – passionnants, comme certains sur Lovecraft et les auteurs qui se sont inspirés de lui présents dans le livre de règle – et créent même entièrement des extensions. Aucune ne concerne l’Asie, pour l’instant, mais ils ont par exemple créé un ouvrage détaillant la ville de Lyon à la sauce Mythe de Cthulhu qui laisse rêveur.

Yannik Vanesse.

Verdict : L’Appel de Cthulhu est l’un des meilleurs jeux de rôle existants. Etant l’un des plus anciens, il a su évoluer et s’adapter sans rester bloqué dans ses tics du passé, tout en s’encrant dans un univers passionnant, créé par l’un des plus grands auteurs d’horreur. Les ouvrages sont magnifiques et passionnants, les scénarios diablement intéressants, et le jeu permet de s’essayer à de nombreux types de parties – action, ambiance, enquête… – dans des thèmes bien différents. En effet, les parties se déroulant en Asie seront bien différentes de celles se passant à New-York. Tout amoureux du jeu de rôle se doit d’essayer l’Appel de Cthulhu, un incontournable à tous points de vue.

L’Appel de Cthulhu est un jeu de rôle disponible aux éditions Sans détour.

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2 commentaires pour “Critique du Jeu de Rôle L’Appel de Cthulhu”

  1. « Howard PHILIPS Lovecraft », for Cthulhu’s sake ! Sinon, chouette article sur un chouette jeu !

  2. Oops, en fait, j’ai été trop vif : c’est même « PHILLIPS »…

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