La troisième édition du festival du cinéma en ligne Asian Connection nous proposait comme deuxième film coréen de la sélection, Barbie, de Lee Sang-woo, réalisateur méconnu de films à petits budgets. Rien d’innocent ou de doucereux dans ce Barbie, mais un film des plus noirs, basé sur un fait divers réel des années 1990, dont la réussite doit beaucoup à la mise en scène efficace et au talent de ses jeunes acteurs. Par Aiko Serialwriter & Julien Thialon.
Que dire de Lee Sang-woo ? Ancien assistant du maître invétéré, mais détesté en son sein, Kim ki-duk, ses films les plus connus entre guillements sont Father is a dog et Mother is a whore, deux drames abordant les thèmes les plus bouleversants possibles. Barbie n’échappe pas à la règle avec l’histoire de ce père et sa fille américains venant acheter l’une des deux sœurs d’une pauvre famille coréenne décomposée à des fins bien plus sombres qu’il n’y paraît. Un tournage rapide (16 jours à temps plein avec quelques séjours aux urgences pour les plus affaiblis), un budget minimaliste (moins de 10 000 dollars, long métrage pour la première fois subventionné, acteurs non rémunérés), mais un casting de choix avec la performance remarquable de Jo Yong-Seok dans l’incarnation du père retardé et l’émouvante Soon-Young jouée par Kim Sae-Ron (The man from nowhere, Une vie toute neuve d’Ounie Leconte diffusé dans les salles françaises), 12 ans, bourrée de talent.
Pourquoi Barbie, pourquoi ce titre qui pourrait sembler incongru ? Barbie est la poupée aux mensurations parfaites, aux apprêts de mannequin, c’est un idéal féminin impossible. Comme le dit Soon-Young à sa petite sœur au début du film, « personne n’est aussi beau et aussi mince ». Barbie, c’est une Amérique rêvée et inaccessible, l’Amérique dont rêve Soon-Ja, la petite sœur égoïste et jalouse de Soon-young, parfaite incarnation du « famille, je vous hais », qui brûle d’être adoptée par le riche Américain à la place de sa sœur. Mais quand on confronte le rêve à la réalité, celle-ci se révèle sordide et d’un cynisme absolu.
Cependant, au-delà de cette critique aiguë de l’exploitation – jusque dans la chair de leurs habitants – des pays émergents par les pays riches, c’est aussi une magnifique histoire qui montre que l’amour peut exister, y compris dans une famille aussi atypique que celle de Soon-young, et qu’un lien d’amitié peut se créer, y compris entre deux personnes ne parlant pas la même langue. Soon-Young fait tout ce qu’elle peut du haut de ses douze ans pour assumer le rôle de chef de famille ; le père retardé de Soon-Young et Soon-Ja aime ses filles, et les défend contre l’oncle sans scrupules qui ne songe qu’à les échanger contre monnaie sonnante et trébuchante ; Barbie l’américaine se lie d’amitié avec Soon-Young la coréenne, malgré le père de Barbie qui lui ordonne de garder ses distances avec elle, et pour cause.
Et l’image finale de Soon-Ja, agitant joyeusement le drapeau américain alors qu’elle quitte sa famille et son pays, est déchirante de cruauté inconsciente et d’innocence sacrifiée. La Barbie américaine n’est quant à elle plus la pure Barbie qu’elle était à son arrivée, complice malgré elle, ne voulant plus jouer avec sa poupée, modèle d’utopie. Les eldorados sont des mirages, et si dramatique que soit le contexte, si anormale que soit la famille, la place de chacun est, d’abord, auprès des siens.
Aiko Serialwriter & Julien Thialon.
Verdict : Un film réaliste qui se laisse regarder et qui doit beaucoup au naturel de ses jeunes acteurs. À voir pour la critique sociale et la peinture réaliste d’une Corée attirée par l’argent facile, et pour son message philosophique et paradoxal.
Barbie est prévue le 25/10/2012 dans les salles coréennes.