Kotoko de Tsukamoto Shinya (DVD Import)

Posté le 9 octobre 2012 par

Tsukamoto Shinya, acclamé dans les années 1990 pour ses films cultes comme Tetsuo et Tokyo Fist, a connu des années 2000 plus discrètes même si le moite et pervers Snake of June a fortement marqué les esprits. En 2010, il est revenu sur la scène internationale avec Tetsuo: The Bullet Man, un échec critique et public. Tsukamoto a enchaîné par Kotoko, récompensé en 2011 du prix du « meilleur film » lors de la compétition Orrizonti du Festival du Film de Venise ; Orrizonti récompense les nouvelles tendances du cinéma, ce qui fait sourire dans le cas de Tsukamoto, actif depuis près de trente ans. Par Marc L’Helgoualc’h.

Kotoko, une jeune femme célibataire (interprétée par la chanteuse Cocco), vit seule avec son bébé. Elle peine à pouvoir l’élever normalement en raison d’un désordre mental persistant. Elle voit les personnes en double ce qui l’empêche de distinguer le réel de l’imaginaire. Elle souffre également d’un syndrome de persécution, surtout quand les gens, pourtant bien intentionnés, s’approchent de son bébé. Les bastonnades que Kotoko inflige à ses voisins l’obligent à déménager régulièrement. Sa folie prend une tournure plus inquiétante lorsqu’elle devient incapable de s’occuper sans danger de son enfant, s’imaginant l’étrangler ou le jeter du haut d’un immeuble. L’assistance sociale décide donc de lui retirer l’enfant, qui sera élevé par la sœur de Kotoko. Un jour, Kotoko est abordée par Tanaka (interprété par Tsukamoto Shinya), un écrivain à succès à la fois inquiet et fasciné par le comportement de la jeune femme. Une relation amoureuse violente va bientôt naître. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Les films de Tsukamoto sont souvent inclassables, ils ne se limitent pas à un genre bien défini, ce qui ne veut pas dire tomber dans le n’importe quoi. Kotoko traite d’un sujet très casse-gueule : la folie vue du point de vue de la folle, avec ici l’obsession d’une mère pour son fils. Tetsuo et Tetsuo II sont certes des films fous mais pas sur la folie. Il existe de nombreux films sur la folie : citons Une Femme Sous Influence de John Cassavetes, Répulsion de Roman Polanski et même The Shining de Stanley Kubrick. Mais ces films ne montrent pas vraiment ce qui se passe dans l’esprit du fou, à part dans quelques scènes. Pour Kotoko, Tsukamoto a vraiment développé tout un univers propre à la folie. C’est pourquoi il a fait appel à la chanteuse Cocco, célèbre au Japon mais inconnue en Occident. Kotoko est tout autant un film de Tsukamoto que de Cocco, comme l’explique le réalisateur dans un entretien disponible dans le DVD. Un entretien qui éclaire beaucoup sur ce film étrange et décousu.

La chanteuse Cocco dans le rôle de Kotoko, mère sous hallucinations.

Cocco a vendu plus de deux millions de disques au Japon, surtout à la fin des années 1990. Or, elle a véritablement connu des problèmes d’autodestruction, automutilation, dépression et autres troubles mentaux. Tsukamoto, grand admirateur de la chanteuse, l’avait déjà contactée à l’époque de Vital en 2004. Pour ce film, il s’était inspiré du monde de Cocco pour le confronter à son personnage principal. Celle-ci avait également composé  » Blue Bird « , la chanson du générique (mise en clip par Tsukamoto lui-même). Sept ans plus tard, une collaboration plus poussée a vraiment lieu. Tsukamoto a une idée en tête : s’entretenir avec Cocco pour qu’elle lui explique ses troubles mentaux, sa vision du monde et l’univers qu’elle s’est créé : d’après le réalisateur, « le but de ce film est de s’approcher au plus près de la personnalité de Cocco ». À partir de ces entretiens, Tsukamoto a écrit son script avant de tourner le film avec une équipe réduite et une distribution d’amateurs – parmi lesquels la sœur et le fils de Cocco. On sent Tsukamoto le cul entre deux chaises : réaliser un film cohérent ou sublimer Cocco en la filmant à outrance, parfois jusqu’au malaise (ou l’ennui), comme dans les scènes où la chanteuse fait ce qu’elle sait faire le mieux : chanter, chanter et encore chanter. Kotoko donne l’impression que Tsukamoto s’est laissé submerger, vampiriser, par son actrice. Comme si Josef von Sternberg avait raté ses films avec Marlène Dietrich, ce qui n’est heureusement pas le cas.

Une famille joyeuse et épanouie. En apparence.

Malgré cette omniprésence de l’univers de Cocco, plusieurs scènes ne sont pas sans rappeler les précédents films de Tsukamoto : les visions doubles de Kotoko évoquent le thème du doppelgänger de Gemini tandis que les scènes de punching ball humain font échos à celles de Tokyo Fist mais avec un côté auto-parodique et grotesque qui prête à sourire. Surtout, le film reprend un thème central du réalisateur : la difficulté pour les personnes de communiquer, que ce soit pour un couple (Tokyo Fist, Snake of June) ou pour une mère et son fils (Kotoko). Avec chaque fois l’arrivée d’une tierce personne, d’un médiateur, pour débloquer cette situation… parfois en l’empirant. On constate enfin une évolution chez Tsukamoto : l’habituel décor urbain oppressif fait place aux paysages champêtres plus paisibles d’Okinawa (où habite Cocco) mais qui, paradoxalement, ne calment pas la frénésie de violence du personnage principal.

Tsukamoto Shinya au second plan et dans le flou. Littéralement.

Conclusion : Tsukamoto Shinya s’est incontestablement investi dans Kotoko, mais sa fascination avérée pour son actrice-muse Cocco l’a submergé et empêché de livrer un film cohérent et captivant de bout en bout. Le sujet de la folie n’est pas un prétexte pour perdre ainsi pied. Le spectateur a la sensation que c’est Tsukamoto qui s’est fait diriger par Cocco et non l’inverse. D’où ce film bicéphale qui ne sait pas vraiment où donner de la tête. Kotoko offre pourtant de bonnes scènes, mais égarées au hasard d’un ensemble qui tient plus du découpage aléatoire que d’un montage soigné et réfléchi. Les plus indulgents prétexteront un film expérimental intimiste et exigeant. Libre à eux.

Marc L’Helgoualc’h.

Verdict :

Kotoko est disponible en DVD/Blu-ray depuis le 08/10/2012 chez Third Window Films (sous-titres anglais). Le DVD comprend un entretien de 22 minutes avec le réalisateur Tsukamoto Shinya.

Pour plus d’information et achetez le film, voir le site officiel de Third Window ici !

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