The King of Pigs de Yeun Sang-Ho (Paris Cinéma)

Posté le 3 septembre 2012 par

Un budget maigre, trois personnages rejetés par la communauté et une animation raide sont des éléments peu convaincants pour appeler le public à rentrer dans une salle obscure. Mais, le pas franchi, l’expérience récompense le courage. The King of Pigs par Alexandra Bobolina.

L’animation et la Corée du Sud forment un couple surtout quand il s’agit de sous-traitance. Beaucoup de studios étrangers, essentiellement japonais mais aussi européens et américains, profitent des prix bas dans le pays pour réaliser différentes étapes de la production. Contrairement au cinéma de prises de vue réelles, le cinéma d’animation du pays ne jouit pas de la vitalité de l’industrie ni de la bonne disposition du public. C’est une explication au fait que Yeun Sang-Ho a dû réaliser son film avec un budget très limité : 100 000 euros (le budget d’un long-métrage d’animation européen varie autour de quelques millions d’euros). L’économie des moyens sur le plan visuel est évidente mais, face au film fini, elle semble être un choix esthétique et non une contrainte. La dureté du scénario se reflète dans les images brutes et contribue à la sensation de malaise provoquée par l’évolution de l’histoire.

Après une scène d’introduction avec un des protagonistes adulte, l’action se déplace rapidement dans le contexte principal du film : une quinzaine d’années auparavant dans un lycée où règnent la violence et l’anarchie. Ou plutôt une anarchie face aux adultes et une hiérarchie bien établie et peu convenable dans les rangs des étudiants. C’est l’autorité disproportionnée des « chiens » sur les « cochons ». Les violences seront surtout subies par trois garçons, unis par l’amitié ou par leur situation défavorisée par rapport à leurs camarades. La recherche d’un échappatoire les rapprochera à vie, plus qu’ils ne l’auraient soupçonné.

L’animation crue, destinée aux adultes, n’est un genre ni classique ni populaire mais elle a fait ses pas vers la maturité. La Vie pour 9.99 dollars (de Tatia Rosenthal, 2008), Princesse (d’Anders Morgenthaler, 2006), Valse avec Bachir (d’Ari Folman, 2008), ont tous à leur époque été salués pour leur courage et leur originalité. Le choix de cette technique, quelles qu’en soient les motivations artistiques, engendre toujours un effet d’absorption du choc de la violence. En même temps, la subjectivité extraordinaire que seule l’animation peut attribuer à une réalité renforce la gravité des thèmes.

Dans The King of Pigs, l’animation est un medium qui, seulement de manière très discrète, suggère l’humeur qui règne. Les images semblent presque privées d’élan émotionnel, tellement elles sont neutres et peu élaborées. Ce qui à la base a été une contrainte, faute d’argent, se transforme en outil de la mise en scène et souligne le sentiment d’indifférence et de passivité que les événements transmettent. Selon les mots du réalisateur, la priorité du travail des animateurs a été les expressions des visages pour construire des personnages complexes et crédibles. Et effectivement ces caractères sont bien plus humains, même beaucoup plus développés, que la plupart des personnages dessinés, produits par l’industrie japonaise, par exemple.

Lors du déroulement du film, il n’y a presque jamais de jugement ou de parti pris, pas de solution, donc pas de morale non plus. Le spectateur est harcelé par les images sans issue presque comme le sont les lycéens – des cochons. Le concept de l’adolescence comme âge insouciant est complètement fouillé et contesté dans un monde où le cercle vicieux de la violence se répand dans tous les liens et rapports.

Yeun Sang-Ho s’inspire selon ses propres mots, d’oeuvres comme Mystic River de Clint Eastwood et Himizu, le manga de Furuya Minoru. Et avant ceux-là, à l’origine il y a un rêve, autant que des expériences réelles. Au final la gravité de son sujet est bien tangible : la vie adolescente sans pitié, sans repère, sans appui, est montrée comme le départ vers une vie adulte, elle aussi dans une lutte sans issue. Ainsi, Yeun Sang-Ho conçoit une œuvre difficile à digérer, forte et franche, une réussite du cinéma d’animation non conventionnel.

Alexandra Bobolina

Verdict :

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