5 centimètres par seconde, le parfum de la mélancolie selon Makoto Shinkai

Posté le 7 juillet 2012 par

On poursuit notre retour sur lœuvre de Makoto Shinkai à l’occasion de la sortie de Voyage vers Agartha en vidéo  avec 5 centimètres par seconde, une OAV qui est sa production la plus accomplie. Par Justin Kwedi.

Makoto Shinkai atteint avec 5 centimètres par seconde le rang d’artiste majeur de l’animation japonaise actuelle au même titre que Mamoru Hosoda. Pour ce qui est seulement sa troisième production, l’artiste trouve déjà une forme d’accomplissement. Toutes les œuvres de Makoto Shinkai traitent de l’éloignement entre les individus et la manière dont les liens parviennent à le surmonter. Dans son premier court-métrage, (produit et réalisé entièrement seul, une prouesse) Voices of a Distant Star, l’auteur narrait la correspondance entre un garçon resté sur Terre et son amie en mission spatiale dont le voyage, de plus en plus lointain, rendait les échanges toujours plus espacés dans le temps. Dans son magnifique La Tour au-delà des nuages, c’est un contexte politique explosif qui sépare deux amours d’enfance dont l’amour ténu ne survit plus que par le monde des rêves. Ces deux premières œuvres usaient d’éléments de science-fiction et de surnaturel pour amplifier cette notion d’éloignement et l’emphase des sentiments. 5 centimètres par seconde surprend en proposant un cadre réaliste aux antipodes de l’uchronie de La Tour au-delà des nuages ou de l’odyssée de Voices of a Distant Star. Makoto Shinkai offre ici, à travers trois courts récits formant une même histoire, la plus belle des variations sur son thème de prédilection.

Essence de fleurs de cerisier

Cette première histoire baigne dans la douce exaltation et la mélancolie des premiers émois amoureux. Akari et Takaki sont deux jeunes enfants chétifs et introvertis que l’amour de la lecture va rapprocher. Malheureusement, lors du passage du primaire au collège, Akari déménage et change d’établissement. La narration use de tous les artifices pour exacerber la tristesse ambiante. Les flashbacks inscrivent cette enfance commune inséparable dans une imagerie rêvée en forme de paradis perdu, la voix off épistolaire d’Akari exprime la ténacité fragile d’un lien qu’on ne souhaite pas voir se rompre et le monologue intérieur de Takaki dévoile son dépit et sa solitude grandissante désormais. Shinkai imprègne un spleen grandissant en faisant justement tenir cette distance à une triste normalité lorsque les intempéries ralentissent le train qui conduit Takaki à Araki pour d’éphémères retrouvailles. Ce bref moment ensemble offrira une aussi belle qu’empruntée et brève romance adolescente pleine de promesses impossibles à tenir. Ce segment d’introduction est déjà un pur joyau.

Cosmonaute

Après l’éloignement physique de la première histoire, c’est la toute aussi douloureuse distance des sentiments qui est explorée dans ce second segment. On retrouve Takaki quelques années plus tard en troisième année de lycée. Il n’est pourtant ici qu’une silhouette distante, objet des émois de Kanae, une camarade folle amoureuse de lui. Nous suivons ainsi les manœuvres incertaines de celle-ci pour attirer son attention, son indécision à se déclarer faisant un parallèle à celle concernant son avenir. Après la première histoire, nous savons que le cœur de Takaki appartient à une autre, ce qui n’en rend que plus triste les efforts de Kanae qui ressent progressivement le fossé entre eux malgré leur amitié. Une nouvelle fois, Shinkai trouve le ton juste en usant d’un ton plus réaliste où la répétition du quotidien rend faussement accessible à notre héroïne des sentiments réciproques durant les moments passés avec Takashi. L’imagerie estivale imprègne de sa langueur les promenades à scooter ou l’apprentissage du surf, contrebalançant par son ton lumineux la tristesse ambiante.

5 centimètres par seconde

Cette dernière histoire illustre l’éloignement causé par la vie elle-même. Tous nos personnages sont désormais adultes. Takaki ne vit que dans le souvenir de son amour d’enfance, Kanae ne l’a pas oublié non plus et Akari, si elle chérit cette romance adolescente, a décidé d’aller de l’avant. Shinkai fait tourner toute cet ultime segment autour du moment où Takaki et Akari se croisent et se reconnaissent dans la rue et suspend le récit à leur réaction potentielle. L’ensemble forme un grand kaléidoscope où se bousculent les images (et donc souvenirs) des précédentes histoires tandis que les voix off expriment les états d’âmes de chacun. Takaki n’a jamais renoncé à retrouver Akari, quitte à négliger le présent pour ce passé de plus en plus flou et idéalisé, quand Akari l’a conservé dans un coin de son esprit sans renoncer à vivre.

Le romantisme dans sa forme la plus idéalisée se confronte donc au monde réel et c’est un peu Makoto Shinkai qui s’éloigne de l’amour absolu de ses premières œuvres. Le contexte réaliste ramène à une acceptation et un renoncement « ordinaires » alors que les histoires extraordinaires des autres films autorisaient la croyance et l’emphase romanesque la plus prononcée, le summum étant atteint avec la flamboyante conclusion de La Tour au-delà des nuages. Shinkai évite donc de se répéter par cette lecture finale très différente où on choisira à sa guise entre la maturité désormais sereine ou les durs mais si beaux tourments de la passion. Plus qu’un choix pour Shinkai, c’est d’ailleurs un propos qui se fait plus universel en parlant à l’amoureux adolescent, à l’amoureux éconduit ou à l’adulte nostalgique.

Verdict :

Justin Kwedi.

5 centimètres par seconde de  Makoto Shinkai, disponible en vidéo édité par Kazé.


 

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