Voyage vers Agartha de Makoto Shinkai (DVD)

Posté le 4 juillet 2012 par

Voici la suite et fin de notre cycle consacré à Makoto Shinkai avec son tout dernier opus aussi brillant que les précédents. Makoto Shinkai revient ici avec un nouveau film se rapprochant en apparence des thématiques du studio Ghibli. Renie-t-il pour autant ses idées  personnelles ? Par Justin Kwedi.

 

 

Nouvelle production de Makoto Shinkai, Le Voyage vers Agartha représente une étape essentielle de son œuvre. Le réalisateur s’était révélé au grand public à travers des récits creusant constamment le même sillon, avec une maîtrise et une emphase émotionnelle toujours plus prononcée. Son premier court-métrage Voice of Distant Star narrait ainsi les amours contrariés de deux adolescents séparés d’un bout à l’autre de la galaxie. Plus ambitieux encore, le film La Tour au-delà des nuages reprenait ce motif de la séparation en amplifiant le cadre (un futur alternatif), la portée de la séparation de ces amoureux (l’âge adulte, le monde réel et celui des rêves) et surtout son romantisme avec une conclusion en forme d’accomplissement sentimental époustouflant. 5 centimètres par seconde, l’OAV qui suivit, semblait voir Shinkai incapable de se détacher de cette imagerie en exploitant une nouvelle fois ces mêmes éléments de manière presque autiste. Il réalisait pourtant là son chef-d’œuvre, dont les trois sketchs le montrait faisant ses adieux à ce passé récent (l’histoire Fleur de cerisier est la quintessence du romantisme dépressif à la Shinkai) et ouvrir la voie au futur avec une conclusion plus adulte où une résignation plus amère prenait le pas sur le romantisme.

Makoto Shinkai se remet donc grandement en question avec Le Voyage vers Agartha où il parvient à maintenir ses préoccupations tout en les renouvelant dans une tonalité plus universelle. Grand admirateur d’Hayao Miyazaki et des œuvres du studio Ghibli, Shinkai cherche ici à en retrouver l’équilibre miraculeux entre accessibilité et thématiques personnelles. Plus précisément, c’est la magie du Château dans le Ciel (1986) qu’il cherche à retrouver, celui-ci étant son Ghibli favori et la dernière grande œuvre de la japanimation à réunir totalement ce mélange de grande évasion et de réflexion sous-jacente. Pour le plus voyant, on remarquera l’esthétique du film très proche de l’univers de Ghibli dans la description du monde d’Agartha et Shinkai qui cite des pans entiers du studio. La rencontre entre les jeunes héros et le Quetzalcóatl du monde d’Agartha les dominant de sa taille et de son allure étrange reprend celle de Pazu et Shiita avec le robot pacifiste à leur arrivée sur Laputa dans Le Château dans le Ciel. Le départ en mission de Shin à cheval évoque, lui, l’envolée épique de celui d’Ashitaka au début de Princesse Mononoké. L’histoire en elle-même est archétypale du genre avec la collégienne solitaire Asuna qu’une rencontre avec un jeune homme mystérieux, Shun, venu d’un autre monde va entraîner dans une grande aventure.

On pourrait alors craindre que Shinkai ait troqué sa personnalité pour une tonalité plus identifiable et commerciale mais il n’en est rien. Après avoir prouvé qu’il était un artiste singulier avec ses précédentes œuvres, il s’agit ici pour Shinkai de montrer qu’il peut être un vrai conteur d’histoires qui plierait ses thèmes à la progression du récit et non plus l’inverse. Shinkai a désormais également fondé son propre studio, ce qui lui permet d’offrir un visuel toujours identifiable mais désormais plus ample. Ses thèmes de prédilection sur la distance et la solitude s’expriment à nouveau au cœur de ce récit d’aventures mais dans une veine très différente. La tonalité adolescente et le spleen seront véhiculés par le personnage d’Asuna qui est magnifiquement caractérisée en quelques vignettes. Collégienne timide et sans vrais amis, elle est également livrée à elle-même dans son foyer où, entre un père décédé et une mère prise par son métier d’infirmière, elle est le plus souvent esseulée.

Cette solitude s’exprime d’ailleurs dans son seul vrai plaisir lorsqu’elle est sur une colline environnante pour capter des sons avec son poste de radio, jusqu’au jour où elle entendra un chant mystérieux venu d’Agartha amenant avec lui l’étrange Shun. La grande aventure à suivre sera donc pour elle un moyen de s’évader de cet isolement et de s’ouvrir aux autres. Shinkai quitte le pur enjeu romantique des précédentes œuvres pour quelque chose de plus universel qui se manifestera avec le personnage du professeur Morisaki. Lui aussi veut rejoindre Agartha pour se guérir d’une séparation et d’une solitude plus concrète en en appelant au Dieu de ce monde pour exaucer le vœu de ressusciter sa femme disparue. Shinkai revisite donc sa thématique sous l’angle plus adulte révélé par la conclusion de 5 centimètre par seconde et une nouvelle fois plus que la réunion, l’enjeu sera surtout d’accepter la séparation.

Ce thème du deuil traverse l’ensemble du récit à des degrés divers : Asuna espère revoir Shun qui a amené une ouverture à son quotidien étroit, Shin vit lui dans l’ombre de son frère et cache la douleur qu’il ressent de sa disparition et bien sûr Morisaki n’accepte pas le décès de son épouse. La puissance dramatique dont est capable Shinkai émeut constamment dans l’expression des fêlures de ses héros qui s’abandonneront tous à un moment ou un autre à la douleur qui les ronge (le magnifique flashback sur le passé de Morisaki notamment). Cette acceptation de la mort en tant que cycle naturel de la vie s’exprimera d’ailleurs de manière très poétique à travers le destin de la petite créature Mimi qui accompagne Asuna et qu’on suppose longtemps comme simple élément« kawaï » avant de symboliser de manière bouleversante la problématique du récit.

Tous ces éléments s’insèrent avec une aisance narrative parfaite par Shinkai qui délivre un récit d’aventures picaresque fantasy plus qu’à la hauteur de son modèle Ghibli (et supérieur à tous les Ghibli récents). L’univers d’Agartha, terre de désolation d’un savoir oublié et brisé par la violence des hommes s’avère des plus mystérieux et foisonnant. La beauté la plus irréelle côtoie l’ordinaire le plus chaleureux (la longue séquence dans le village) ainsi que le cauchemardesque le plus prononcé avec notamment  les terrifiantes créatures de l’ombre que sont les Izoku. Shinkai s’approprie finalement ces figures bien connus du récit épique et familial (l’amorce de romance platonique entre Asuna et Shin typiquement Ghibli, la relation père fille entre Asuna et Morisaki) en y insérant une noirceur et une tristesse qui n’appartiennent qu’à lui. Le climax en forme de douloureuse catharsis est ainsi des plus intense et révélateur avec au bout du chemin sans doute la sérénité retrouvée pour chacun.

Makoto Shinkai en s’ouvrant au plus grand nombre touche au cœur à nouveau et se réinvente superbement.

Justin Kwedi.

Verdict :

Le Voyage vers Agartha de Makoto Shinkai, disponible en DVD et Blu-Ray, édité par Kazé, depuis le 04/07/2012.

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