Jeonju Digital Project de Yu Lik-Wai, Sogo Ishii, Bong Joon Ho (DVD)

Posté le 28 juin 2012 par

Le Jeonju International Film Festival (JIFF) est un festival coréen où sont présentés chaque année près de 200 films indépendants depuis l’an 2000, date de sa création. Le festival comporte une sous-section, le Jeonju Digital Project, dans laquelle sont proposés trois courts-métrages avec un budget s’élevant à 50 000 000 KRW (soit environ 35 000 euros) pour chaque réalisateur. Spectrum Films nous offre ici l’édition 2004 en DVD et la qualité est au rendez-vous ! Par Julien Thialon.

Avant Influenza, BONG Joon-ho avait déjà tout d’un grand. Son premier long métrage réalisé en 2000, Barking Dogs Never Bite, était déjà très prometteur, mais c’est bien le chef-d’œuvre Memories of Murder trois ans plus tard qui propulsait le cinéaste au devant de la scène, lui donnant une renommée mondiale. The Host (énorme carton au box-office coréen) en 2006 et Mother en 2009 viendront par la suite confirmer tout le bien qu’on pense du réalisateur. Mais comme de plus en plus de cinéastes asiatiques, BONG Joon-ho avait commencé dans les années 90 par des courts-métrages (Memories in My Frame, White Man et Incohérence).

En 2004, le réalisateur retourne vers ses premiers essais cinématograhiques dans le cadre du Festival coréen de Jeonju avec Influenza au cahier des charges exigeant (budget limité, thèmes singuliers, etc.). Le court présente différentes séquences de quelques minutes choisies à travers les indénombrables caméras de surveillance de Séoul. Toilettes, parkings, distributeurs à billets, magasins et quais de gare sont les lieux choisis par BONG Joon-ho pour nous faire découvrir les divers méfaits de M. Cho et consorts dans la capitale coréenne. D’un point de vue technique, ne vous attendez donc pas à une séance 3D bourrée d’effets spéciaux. Plans fixes avec vue en contrebas sont au rendez-vous et c’est largement suffisant car il vous faudra sans doute un second visionnage pour visualiser tous les détails qui se cachent derrière chaque séquence.

On pourra y voir en guise d’introduction plutôt gentillette les déambulations dans les toilettes publiques de M. Cho, probablement ivre, présentant une super glu face au miroir mais également devant des personnes en train de faire leurs besoins naturelles… Il sera appréhendé quelques heures plus tard sur le quai de la gare par la police. C’est ce que l’on voit en premier plan, mais le second plan est tout aussi important. Dans cette même séquence, on y verra une autre personne s’amuser avec des aérosols, les enflammant en pleine gare.

Au fur et à mesure, les séquences deviennent de plus en plus violentes : une femme agressée en plein magasin dans l’indifférence la plus totale de la personne attablée au comptoir, trop affamée et attirée inexorablement par la télévision ; une autre agression cette fois à coup de batte et de marteau dans un parking, l’homme se faisant rouler dessus, inconscient, par sa propre voiture ! D’autres laissent place à une totale perplexité et même des éclats de rire alors qu’on a en face de soi une tentative de braquage de banque ou du vandalisme !

Au dénouement de la dernière saynète imprégnée d’une violence rare presque comique, on se pose deux questions : les personnages sont-ils des acteurs ou de vrais citoyens, et doit-on en rire ou être choqué ? Le simple fait d’envisager qu’il ne serait pas étonnant que ce soit bel et bien la vérité confirme la volonté du cinéaste dans sa satire de la société coréenne (un peu comme IM Sang-Soo dans The President’s Last Bang) à travers ce petit bijou cinématographique. On peut attendre avec encore plus d’impatience mais également d’assurance le prochain long métrage du réalisateur prévu en 2013, le Transperceneige, produit par Park Chan-wook et avec des vedettes américaines.

Le second court-métrage proposait Dance with Me to the End of Love de Yu Lik-wai, clin d’œil à Léonard Cohen. Le récit est simple et fantastique : une période de grand froid oblige la population à vivre sous terre, la piste de danse étant le seul lieu pou réchauffer les cœurs. Kirin est le gardien et collecteur de bières en tout genre, il accueille de nouveaux arrivants provenant d’un clan détesté par bon nombre d’habitants des souterrains et tombe amoureux de l’une d’entre eux, LanLan. Rapidement démasqués, ils vont devoir travailler pour rester.

Le scénario en lui-même a peu d’importance, c’est la réalisation singulière du cinéaste qui vaut le détour… ou pas. En effet, que ce soit les plans flous ou bien les dialogues muets avec retranscription après-coup sur fond noir, cela tend à ralentir considérablement le cheminement du film qui apparaît, à bien des égards, comme un trip bien space totalement assumé par le réalisateur mais avec beaucoup de longueurs.

Tout cela manque sérieusement de consistance, on décroche plus que l’on n’accroche et on a hâte d’en voir le dénouement. Tout n’est cependant pas à jeter dans cette œuvre expérimentale, les acteurs amateurs remplissant sobrement leur office. La musique classique et les délires guitaristes sont répétitifs mais agréables. L’expérience est si atypique qu’il vaut mieux se faire sa propre idée.

Finissons avec Mirrored Mind de Sogo Ishii (Shuffle, Burst City, Gojoe, Electric Dragon 80 000V) qui nous conte les questions existentielles d’une jeune actrice et scénariste en panne d’inspiration dans son propre film. La première scène témoigne clairement de la volonté du réalisateur de montrer la sublime Miwako Ichikawa (All about Lili Chou-Chou, Memories of Matsuko, Nightmare Detective 2) complètement dépressive : seule dans la foule lors de la traversée d’un passage piéton, les yeux à demi-clos, de grosses mèches de cheveux cachant son visage, symptomatique d’un mal-être profond voire à tendance suicidaire.

S’ensuit une longue scène bouleversante au cadrage très maîtrisé avec l’actrice qui, presque à cœur ouvert, nous bouleverse par ses perceptions de la nature et son autocritique, donnant la réplique à un très compréhensif SHIBUKAWA Kiyohiko (Ichi the Killer, Blue Spring, 9 Souls). Le copain, directeur du film, viendra rajouter plus tard son grain de sel, reprochant à sa partenaire son manque d’enthousiasme et les réitérations de ses problèmes qu’elle n’arrive toujours pas à résoudre avec le temps, ce dernier coûtant cher à la production du film.

Pour la suite du court-métrage, on passe par une matérialisation psychique très abstraite de la recherche de l’actrice dans la direction que doit prendre sa vie, une forme de méditation intérieure représentée par de somptueux paysages de plage. C’est au bout d’une trentaine de minutes que le déclic s’effectuera chez nous et qu’on savourera encore davantage ces instants relaxants où l’actrice aura fait finalement son choix de vie en toute connaissance de cause.

On ne peut que saluer l’entreprise de Spectrum Films de nous faire découvrir cette série de courts abordant le thème du mal urbain, chacun à sa manière. Nous les encourageons d’ailleurs à poursuivre dans cette voie où chaque court équivaut à une expérience et réflexion que nous ne voyons malheureusement que fort peu souvent sur nos écrans.

Julien Thialon.

Verdict :

Jeonju Digital Project, est disponible en DVD depuis le 28/06/2012 chez Spectrum Films.

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