Compte rendu Taiwan Cinefest

Posté le 7 juin 2012 par

Après notre compte rendu des courts métrages (lire ici) qui s’est avéré très prometteur pour l’avenir du cinéma taïwanais, East Asia s’attaque au plat de résistance avec les quatre projections du Taiwan Cinefest qui ont eu lieu au cinéma La Clef les 18 et 19 mai. Une ambiance conviviale et un panorama du cinéma contemporain taïwanais pas dénué de défauts mais pas exempt de talents non plus !  Par Julien Thialon.

Avant de visionner les deux premiers long métrages dans une salle affichant presque complet, nous avions l’honneur d’avoir la présence de l’ambassadeur de Taiwan. Celui-ci, après une petite mise en scène sympathique avec deux poupées asiatiques, a manifesté sa joie d’accueillir à Paris pour la première fois le Taiwan Cinefest qui tend à s’internationaliser au fil des ans, depuis ses débuts à Londres en 2009.

Débutons avec The Spin Kid de Joe Lee qui met en scène l’idole montante du cinéma taïwanais, Blue Lan (藍正龍) interprétant A-Hao, un jeune DJ souhaitant passer pro qui se retrouve impliqué dans un trafic de drogue par l’un de ses amis d’enfance. La police, dont le chef n’est autre que son père avec qui il entretient des relations difficiles suite à la mort de sa mère, le prend sur le fait. A-Haro décide de prendre la fuite, blessé de surcroît, et tombe sur Hsiao Ying (Nikki Hsieh, 謝欣穎), une jeune femme voulant également devenir DJ dans la boîte de son père, qui va le cacher quelque temps. Comme on peut s’y attendre, une romance va peu à peu commencer, rythmée en parallèle par la recherche de l’instigateur de ce coup monté.

Ce n’est pas le classicisme qui dérange le plus ici mais la finalité du long métrage où le réalisateur veut traiter trop de thèmes en même temps, soulignant par cette superficialité le manque de profondeur des personnages et de l’intrigue qu’il tente de dissimuler par une surabondance musicale même si agréable à l’écoute. Les dialogues sonnent creux, faisant rarement avancer le scénario et c’est bien dommage car le jeu des acteurs est dans l’ensemble très bon (certaines répliques surprennent par leur hilarité !), la beauté de Hsiao Ying est bien mise en avant, tout comme les superbes dessins sur le visage de A-Hao et cette impression de liberté qu’il dégage dès qu’il est aux platines… Une petite déception en somme mais rapidement supplantée par le très tranchant Days We stared at The Sun de Cheng Yu-chieh.

En effet, cette adaptation d’une série télévisée extrêmement populaire à Taiwan apparaît presque comme la révélation du festival. On y découvre les travers de deux amis, Hao-Yuan (Chen Hao-Yuan) et  Hong Cheng-Yi qui vont plonger dans l’angoisse, la violence et la pauvreté, comme ce fut le cas pour leur entourage, et engendrant des comportements destructeurs. L’œuvre les aborde avec une grande sincérité, sublimée par le jeu des jeunes protagonistes. Ceux-ci vont apprendre à leur dépens les profondeurs obscures du monde dans lequel ils vivent, bien loin de l’agréable innocence de leur milieu scolaire. Les rebondissements sont nombreux et imprévisibles, imprégnés d’ un certain degré de violence physique et morale pour le spectateur qui ne peut rester insensible et ressort de la salle avec un sentiment de mal-être.


On pourrait penser que le twist final est un peu too much mais on peut l’interpréter comme une invitation du réalisateur à travers les caméras de télévision de faire connaître au plus grand nombre cette triste vérité, celle de la dépendance à l’argent et d’autrui pour vivre convenablement avec les conséquences désastreuses en cas de résistance (cette rage et rebellion se manifestant par un morceau de rap taïwanais de grande facture). Pour contrebalancer quelque peu, des instants comiques parsèment le récit dramatique, comme les premières scènes du long métrage qui introduisent le récit tout en légèreté même si la toute première permet d’entrevoir cette sensation d’étouffement, de noyade incomprise du personnage principal.

Cette frivolité se retrouve de manière beaucoup plus constante dans le troisième long métrage signé Huang Chien-liang, War Game 229. On suit les péripéties d’un groupe de cinq vétérans vivant dans un village que l’Etat aimerait voir démolir, et qui devient le terrain d’entraînement d’adeptes du air soft en vue d’une compétition. Ce n’est évidemment pas du goût de ces anciens soldats qui vont riposter de manière plutôt explosive contre cette jeune génération. L’œuvre proposée s’égare parfois dans un schéma visant à faire verser une petite larme du spectateur, mais dans l’ensemble, on passe un agréable moment à regarder les stratégies déployées par chacun des camps.

Les affrontements s’enchaînent avec une certaine fluidité et son lot d’instants tantôt hilarants, tantôt ridicules (grande difficulté à éprouver ne serait-ce qu’un début de sourire au tandem idiot/pouf aux gros seins), et parfois touchants. Les dernières images du film nous ramènent à la réalité avec la vraie démolition des villages où habitaient de nombreux vétérans qui ont participé à une partie de l’histoire avec les crises du détroit de Taiwan.

On finit avec le très touchant Leaving Gracefully, de Pen Chia-chia, tiré d’une histoire vraie racontée dans le best-seller Million Steps of Love. Rene Hou joue le rôle d’une femme qui, suite à un malaise à son travail, va apprendre qu’elle est atteinte d’une maladie neurologique débilitante la conduisant inévitablement vers la mort. Son mari, interprété par Huang Pin-Yua, va finalement accepter cette fatalité (contrairement à sa fille) et entreprendre un dernier voyage autour de Taiwan à l’aide d’un fauteuil roulant customisé pour redécouvrir le bonheur au quotidien et l’amour qui les unit.

Mélodrame par excellence, le film repose sur l’incroyable authenticité du jeu des acteurs à travers des scènes de plus en plus émouvantes au fur et à mesure de l’avancée de la maladie (la scène de la célébration d’anniversaire est bouleversante). De-ci, de-là, on dénote tout de même quelques autres départs de réflexion comme l’absence volontaire de recherche sur les maladies rares des laboratoires pharmaceutiques du fait d’un manque de rentabilité par rapport au coût financier… Money money money ! Un très bon wheelchair movie qu’on aimerait voir plus souvent en Occident.

Top East Asia :

1- Days We Stared at The Sun

2- Leaving Gracefully

3- War Game 229

4- The Spin Kid

Pour sa première venue dans la capitale parisienne, le Taiwan Cinefest réalise une entrée plutôt remarquée. Les films à vocation dramatique sont à l’honneur et on sait que le public taïwanais en est très friand (notamment dans les dramas et autres). L’humour n’est pas en reste non plus, il fait quasiment toujours mouche par sa spontanéité, esquivant de manière plutôt habile les lourdeurs. Ne reste plus qu’un petit soupçon de profondeur dans le propos et l’acceptation de ne pas se disperser et on aura là un cinéma de premier ordre.

Verdict :

Julien Thialon.

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Un commentaire pour “Compte rendu Taiwan Cinefest”

  1. Chen Yu-Chieh avait déjà réalisé le très prometteur Yang Yang (le seul véritable personnage féminin crédible de ces dix ou vingt dernières années) et plus récemment il a fait le sketch le plus hilarant et politique du film 10+10 produit par les Golden Horses. C’est vraiment un réalisateur à suivre et définitivement mon chouchou!

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