Retour sur l’édition 2011 de Kinotayo, dominé par un Sono Sion magistral et quelques prises de risque, qui annoncent le meilleur pour la suite ! Par Victor Lopez.
Kinotayo 2011 est un rescapé des événements qui ont touché le Japon en mars 2011. Pendant plusieurs mois, les organisateurs ont hésité à maintenir un festival alors que l’industrie cinématographique aussi était naturellement touchée par le drame qu’a connu le pays. Au final, c’est un festival light qui a été proposé, regardant autant vers son passé en rediffusant des films des cinq premières éditions que vers l’avenir en proposant plusieurs œuvres de jeunes cinéastes prometteurs (Nakajima Ryô, Fukagawa Yoshihiro) et en ouvrant sa sélection à une programmation plus aventureuse que les années précédente (Sono Sion, qui n’avait jusqu’alors réussit à convaincre le comité de sélection ; Le Labyrinthe d’herbes de Terayama, saisissante virée cauchemardesque dans l’univers poétique 70’s de son atypique auteur ; et, dans une certaine mesure, Yazaki et l’érotisme brute de Love and Treachery).
Le festival semble alors à l’image du pays dont il présente la cinématographie : comme en reconstruction, en période de remise en question et de transition, pris entre un désir de nouveauté et des réflexes un peu passéistes. En témoigne le fait de reléguer les films les plus novateurs (les Sono Sion et le Terayama) hors compétition, alors que le très consensuel Someday récolte le Soleil d’or, toujours décerné par le public du festival. Certes, cette volonté de démocratisation est louable, mais ce n’est peut-être pas le meilleur moyen de mettre en avant le cinéma japonais dans ce qu’il a de plus radical. Hanezu de Kawase Naomi et Love and Treachery de Yazaki, certainement les deux films les plus intéressants du festival d’un point de vue artistique repartent ainsi bredouilles, alors que Into the White Night, le film le plus ambitieux, se voit remettre le compensatoire Prix de la plus belle image Nikkon, devancé par les très faibles My Wife et Someday.
Et le retour sur le passé dans la sélection Hommages confirme cette tiédeur, qui tend à récompenser les films les plus accessibles, conventionnels, et certainement les moins mémorables. Revoir ainsi Hinokio, premier Soleil d’or en 2006, est une expérience douloureuse, tout comme I Remember that Sky ou Railways : voilà le cinéma japonais dans ce qu’il a de plus mièvre et inoffensif. Fort heureusement, si les années précédentes, c’étaient comme des passagers clandestins que se faufilaient les œuvres de cinéastes atypiques (comme l’ex-réalisateur de Pinku Eiga Takashi Banmei, ou la jeune et talentueuse artiste underground Andô Momoko, dont on a revu respectivement avec joie Box – The Hakamada Case et A Piece of our life – Kakera), les choix plus radicaux semblent cette année assumés, parfois au grand dam du public encore très conservateurs de la MCJP. On a ainsi vu des spectateurs quitter la salle, excédés devant la longue scène de sexe de Love and Treachery. Tant pis pour eux, tant mieux pour tous les cinéphiles curieux, qui attendent de Kinotayo, le seul festival de cinéma japonais contemporain en France, de nous montrer des œuvres diverses, représentatives des contradictions et de la complexité de la société japonaise, et évoquant sans tabou les courants, doutes et interrogations qui la traverse. On fait le pari que ces derniers sont plus nombreux que les frileux, et que Kinotayo, en allant dans cette direction, fait le bon choix.
Quid alors de la sélection 2011 ? Si les films étaient inégaux, ils avaient encore une fois le mérite de se présenter comme un miroir de la société qui les produit. Et celle-ci va mal : la mort semble partout roder. Les plus vieux sont socialement exclus et touchés par la maladie (My Wife ; Someday), les plus jeunes ne s’intègrent pas dans une société qui ne veut pas d’eux et n’ont que le suicide comme échappatoire (When I kill myself), ou le meurtre comme ascenseur social (Into the white Night). Et ni la sexualité ni la création artistique (Hanezu ; Love and treachery ; La Vie murmurée), ne peut sauver de cette résignation face à une fatalité mortuaire.
C’est en cela que la projection des deux films de Sono Sion, Cold Fish et Guilty of Romance apparait cette année comme un génial coup d’éclat, notamment quand on les considère en regard du reste de la sélection. Guilty of Romance surtout, semble à la fois l’antithèse et la confirmation de tous les autres films présentés. Il vient les contredire par sa folle vitalité, son inépuisable énergie, qui contraste avec le caractère amorphe que l’on sent de When I Kill myself à My Wife (ce qui montre qu’il ne s’agit pas simplement là d’une question générationnelle), son côté rentre dedans qui ose tordre le réel là où tant de film s’inclinent devant lui (seuls Hanezu et Love and Treachery opposaient cette année à leurs penchants naturalistes une aura symbolique) et sa capacité à évoquer des sujets qui fâchent. Même dans Love and Treachery, c’est le mari qui commet en premier l’adultère, alors que la femme reste « pure », schéma au final très conservateur que l’on retrouve encore exacerbé dans My Wife (seul Hanezu, réalisé par une femme, sort de cette vision étriquée de la féminité en offrant une certaine liberté à son personnage féminin). A l’inverse, Guilty of Romance fait valser cette hypocrisie en évoquant directement le désir et la sexualité de la femme, quitte à faire grincer quelques dentiers. Dépassant ainsi en les contredisant les autres métrages, le film de Sono Sion confirme aussi leurs penchants pessimistes. Là aussi, et plus qu’ailleurs, les histoires de sexe et d’amour se terminent dans la folie et le sang. Mais, à l’inverse du défaitisme de ses compatriotes, Sono Sion semble nous dire que cela fait aussi partie de la vie, et nous exhorte à vivre avec nos pulsions les plus incontrôlables.
On ne peut que souhaiter la même chose à Kinotayo, qui semble engagé dans un chemin des plus passionnants et que l’on espère voir se développer pour devenir la référence incontournable du cinéma japonais en France. Sans être parfaite, cette édition transitionnelle nous fait donc rêver à un bel avenir pour Kinotayo !
Victor Lopez.