La Vie murmurée de Gilles Sionnet et Marie-Francine Le Jalu (Kinotayo)

Posté le 14 novembre 2011 par

Présenté en avant-première à Kinotayo, La Vie murmurée, documentaire sur Dazai réalisé par deux Français fous de littérature japonaise, sort en salles le 30 novembre, en exclusivité au Saint-André-des-Arts. Par Victor Lopez.

On imagine à peine l’énergie et le culot dont il a fallu faire preuve pour mener à bien ce projet. Jugez plutôt : voici deux réalisateurs français, Gilles Sionnet, ancien assistant de Carax ou Chéreau et auteur de nombreux documentaires (dont 140 000 Chinois pour la Grande Guerre), et  Marie-Françine Le Jalu, qui a déjà signé trois docus depuis 1997, qui décident par passion pour l’écrivain japonais Dazai Osamu, d’aller poser leur caméra au pays du soleil levant pour voir comment leur romancier fétiche est perçu là-bas. Leur but est alors de dresser un portrait du maître du watakushi shôsetsu (genre littéraire proche de l’auto-biographie que l’auteur de La Déchéance d’un homme a embrassé en lui conférant une ironie mortuaire) à travers ceux qui vivent encore ses mots aujourd’hui. Diverses personnalités et anonymes viennent alors parler de leur rapport au plus connu des écrivain de l’archipel nippon, dont l’influence rayonne, plus de soixante ans après sa mort, de manière encore éclatante.


Le film réussit son pari sur de nombreux plans. Tout en s’écartant du reportage pour adopter une forme cinématographique complexe, refusant la facilité d’une voix off explicative pour faire simplement parler les mots de l’auteur et ceux qui le lisent aujourd’hui, La Vie murmurée arrive a nous donner suffisamment d’informations sur la vie et l’œuvre de Dazai, pour que même le néophyte ne connaissant pas l’écrivain en entrant dans la salle puisse saisir son parcours et son rayonnement. Si le contrat est donc rempli d’un point de vue strictement documentaire, certaines limites du projet apparaissent rapidement.

D’après le long métrage, trois axes structurent l’œuvre de Dazai : le groupe social, la révolution et l’amour. Un des problème de La Vie murmurée est que ceux-ci n’arrivent pas à vraiment transparaitre autrement que théoriquement dans le film. En isolant chaque intervenant dans une petite case individuel, en ne filmant que des propos isolés sur des lecteurs de Dazai que rien ne relie si ce n’est leur amour pour la même œuvre, le film peine à trouver une certaine unité. Des ponts sont crées, mais de manière artificielle : tel personnage va par exemple, très certainement sur la demande des metteurs en scène,  lire le manga sur Dazai écrit par une autre intervenante. Mais cette découverte va seulement l’amener à critiquer le style trop Shojo et sexué du dessin, et à conclure par un lapidaire : « ça ne me plait pas ». Cela semble aller à l’encontre de l’idéal social de l’écrivain, dont l’engagement socialiste, est-il dit à un moment, reflétait surtout l’envie d’une vie en communauté. Ici, les amateurs de Dazai vivent seuls leur passion, et n’ont rien à communiquer à ceux qui la partage.

Sur le plan politique, de même, le film se montre assez faible. Seul un étudiant en sciences sociales vient parler de la difficulté de la révolution au Japon d’aujourd’hui lors de son unique intervention finalement peu utile. C’est d’ailleurs une autre faille du film : à force de multiplier les portraits, la plupart d’entre eux deviennent anecdotiques, à peine survolés, et certains propos se perdent dans un flot qui manque parfois d’intérêt. Beaucoup d’intervenants livrent finalement une lecture assez superficielle de Dazai, et celle-ci finit peu à peu par contaminer le film. De l’amour enfin, il est peu, voire pas question, alors que, des personnages de femmes qui ponctuent la vie de Dazai à son suicide amoureux, ce sentiment occupe une place prépondérante dans l’univers de l’auteur.

Si le film échoue donc à créer un univers reflétant les clefs que le film lui-même nous  donne de Dazai, on retrouve l’écrivain à travers le constat terrifiant qu’il dresse de la société japonaise qui l’abrite : suicides, replis sur soi, aliénation mental… Il y a franchement de quoi désespérer ! Le seul personnage solide est un écrivain, dont la force ne vient pas de l’écriture, mais du statut social (il passe à la télévision… et est aussi vice-préfet de Tokyo !). Car beaucoup de personnages ont beau avoir de multiples activités artistiques, nul salut ne viendra de la création. C’est comme si l’ombre du suicide de Dazai planait encore partout sur la société japonaise.

Malgré ces défauts, le film distille quelques beaux moments, notamment grâce à deux personnages haut en couleurs, qui intriguent et finissent par fasciner : la rouge Risa et l’inquiète Yumi. Lorsque le film se concentre sur ces deux femmes, qui ressemblent vraiment à des personnages de leur écrivain mythique, il arrive à complètement capter l’attention, comme s’il avait trouvé son sujet : des corps et esprits contemporains, qui font un avec ces mots qui viennent du passé  éclairer leurs présents et leurs mal être. Dommage que l’éparpillement structure de nouveau rapidement le film, qui se perd dans la masse des témoignages, alors que l’œuvre de Dazai nous apprend que la singularité qu’une voix unique peut en résumer des millions. On restera donc avec ces images de vraies femmes de Dazai en tête, et l’on suivra l’injection des auteurs du documentaire d’aller lire les œuvres de l’écrivain. Si c’est ce que nous chuchote ce film qui peine à faire entendre sa voix, suivons au moins ce conseil qu’il nous murmure.

Victor Lopez.

Verdict :

La Vie murmurée de Gilles Sionnet et Marie-Francine Le Jalu est présenté, du 8 au 29 novembre 2011 dans le cadre du festival Kinotayo. Séances et horaires ici !

Le film sera ensuite projeté au cinéma le Saint-André-des-Arts à partir du 30/11/2011.

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