Centenaire de la Nikkatsu à la cinémathèque française (partie 2/2)

Posté le 29 février 2012 par

Après une première partie consacrée au cinéma classique, deuxième partie du centenaire de la Nikkatsu à la Cinémathèque, cette fois plus axée sur le cinéma de genre. Par Anel Dragic.

Ready for action? Nikkatsu Akushon & Pinky violence.

Le début des années 60 marque pour la Nikkatsu une tentative de renouveau assez flagrante. Marqué par le passage de Crazed Fruit (Nakahira Ko, 1956) et de la nouvelle vague, le studio va inscrire sa production dans un système de genre plus particulièrement porté sur le film noir. Ainsi naîtra le Nikkatsu akushon (action prononcé à la jap’). Rusty Knife (1958) premier film de Masuda Toshio (Le mouchoir rouge, Le vaurien) met en scène le jeune Ishihara Yujiro dans le rôle d’un jeune tentant de se venger de yakuzas. Sombre et désespéré, le film marque un tournant dans l’histoire du studio que s’empressera d’emboîter Kurahara Koreyoshi.

S’il ne s’agit pas d’un Nikkatsu akushon, The Woman from the Sea (1959) est une tentative réussie de Kurahara qui s’inscrit pleinement dans le cinéma s’intéressant à la jeunesse, suivant le succès du film de Nakahira Ko. Kawaji Tamio où le jeune homme Toshio va tomber sous le charme d’une renarde, ou plutôt d’une femme-requin. Prenant la forme d’un drame teinté de fantastique façon Rebecca d’Alfred Hitchcock, le film reste sous l’influence des taiyozoku. Avec son atmosphère aquatique, le film présente également de magnifiques plans sous-marins. Dans The Warped Ones (1960), on change de registre. Véritable film enragé, Kurahara suit Akira (Kawaji Tamio) et Fumiko (Matsumoto Noriko), deux jeunes portés par un climat de violence. Le film est un taiyozoku où la violence sans raison pousse un jeune amateur de jazz à commettre des méfaits sur une bande-son qui swingue. Enfin, Black Sun (1964) raconte l’amitié entre Akira (encore !), un jeune rebelle amateur de jazz (encore !!), incarné par Kawaji Tamio (encore !!!) et un G.I. noir incarné par Chico Roland (qui jouait déjà dans The Warped Ones). Plastiquement irréprochable et porté par une musique jazzy du meilleur effet, le film peine en revanche par un scénario qui manque de subtilité mais présente une scène d’action finale qui évoque anachroniquement les amitiés viriles de l’heroic bloodshed.

Contraire à la politique de Jean-François Rauger, la rétrospective présentait malgré tout deux films faciles d’accès en France : deux films de Suzuki Seijun. La jeunesse de la bête (1963) avec Jo Shishido est un film noir jazzy aux expérimentations formelles relativement sobres pour le réalisateur mais déjà plein d’idées. Malgré quelques maladresses, il s’agit là d’une bonne série B lorgnant parfois du côté des productions James Bondiennes. Le vagabond de Tokyo (1966) est beaucoup plus abouti et nous place dans un swinging seventies tokyoïte rythmé par le refrain de Watari Tetsuya. On s’étonnera de l’absence du chef-d’œuvre du réalisateur : La marque du tueur, qui marquera la rupture entre le studio et Suzuki suite à un long procès.

A Colt is My Passport (1967) de Nomura Takashi est un peu l’aboutissement du genre Nikkatsu Akushon. Sorti tardivement, le film raconte l’histoire de Jo Shishido, tueur à gages engagé pour tuer un chef de gang. Inspiré tout autant par les autres films noirs de la Nikkatsu que par le western italien (les sifflements morriconiens), le métrage laisse entrevoir quelques fulgurances bien senties dont un affrontement final assez marquant porté par de jolis gunfights à base de travelling.

À la fin des années 60, la Nikkatsu perd de nombreuses stars dont Ishihara Yujiro, causant une baisse de spectateurs assez dangereuse. Pour pallier ce manque, le studio ferme ses salles de cinéma, baisse les budgets et mise alors sur un cinéma d’exploitation plus funky duquel émergera le pinky violence et le roman porno. Boulevard des chattes sauvages (1970) de Hasebe Yasuharu est un film violent et romantique aux élans westerniens remplis d’audaces visuelles. C’est également le film qui révéla Kaji Meiko, ici dans l’un de ses plus beaux rôles.

Roman porno : des vierges, du viol et des caches !?

Pour parvenir à garder la tête hors de l’eau, la Nikkatsu va miser sur un genre nouveau : le roman porno. Assez soft, ces productions érotiques sont une première dans l’histoire des studios, et celui-ci va se faire une spécialité dans la production de ce genre. La Cinémathèque s’est donc fait un plaisir de diffuser de nombreux romans porno dans le cadre de ses soirées bis du vendredi soir où elle projette des doubles programmes. Au cours de la soirée intitulée « roman porno violent », étaient diffusés Assault! Jack the Ripper (1976) de Hasebe Yasuharu, sorte de Natural Born Killers où un couple se met à commettre des meurtres sexuels afin de prendre leur pied. Une sacrée plongée dans la violence où sang et tétons se mêlent. À réserver aux amateurs de pénétration meurtrière avec spatule pâtissière ! Suivait White Rose Campus: Then Everybody gets Raped (1982) d’Ohara Kôyû. Très racoleur, le film n’en est pas moins très drôle et très tordu. On peut entre autres y voir du bon redneck se masturber en suçant un tampax usagé ou encore tout un car d’écolière se faire violer par un trio de malfaiteurs. Fun et immoral, il s’agissait là d’un des films les plus mémorables de la rétrospective.

La deuxième soirée bis était consacrée à Sone Chûsei. Sacré paradoxe puisque les romans porno du bonhomme sont tout sauf bis. Delinquent Girl : Alley Cat in Heat (1973) raconte l’histoire d’une jeune femme qui arrive à Tokyo. Elle est ensuite violée et tombe amoureuse de son violeur (jusqu’ici schéma classique d’un roman porno), mais celui-ci a des dettes et elle est ensuite capturée et violée par des yakuzas dans l’intention d’être vendue. Davantage construit comme une romance, le film s’intéresse à ses personnages et n’est pas là uniquement dans un but racoleur. Le second film de la soirée, Shinjuku Midaregai (1977) s’avère encore moins érotique et d’autant plus « auteurisant ». Le réalisateur s’intéresse ici au milieu jeune et bohème du quartier. Ici, le rapport de filiation entre le cinéma de Sone et Somai Shinji devient flagrant. Formellement à tomber, le réalisateur trouve ici des idées de mise en scène sublime (une femme dont les parties anatomiques sont tronquées par un miroir) pour cacher les parties les plus intimes.

La troisième soirée consacrée au genre s’intitulait pour sa part « roman porno pervers ». Le premier film, Rape and Death of a Housewife (1978) de Tanaka Noboru raconte l’histoire de trois voyous qui violent et tuent la femme d’un vieil homme bienveillant à leur égard. En deuxième partie de soirée, Star of David: Beautiful Girl Hunter (1979) de Suzuki Norifumi est une passionnante adaptation du manga, interrogeant la fatalité et le rapport à la dignité de l‘humain. Le film s’avère être une intéressante réflexion sur la nature humaine et un roman porno qui remplit le cahier des charges.

En dehors des soirées bis, quelques romans porno étaient également au programme. L’enfer des femmes, forêt humide (1973) de Kumashiro Tatsumi est un typique produit SM inspiré du divin marquis. Pour sa violence, ses scènes de sexe déviant, son look kitsch et son usage des caches, le film mérite le coup d’œil. Le jardin des ménagères perverses (1971) de Nishimura Shôgorô marque les débuts du studio dans le genre. Première version de Danchizuma, le film est une date et on douterait à peine qu’il ait inspiré Sono Sion pour son Guilty of Romance, autant esthétiquement que scénaristiquement. Retreat Through the Wet Wasteland (1973) de Sawada Yukihiro mélange pour sa part le roman porno au film policier. Avec ses personnages de ripoux hard boiled, le film ferait passer Vic MacKey et autres Bad Lieutenant pour des anges. Sasurai no koibito : memai (1978) de Konuma Masaru est pour sa part assez intimiste et particulièrement beau esthétiquement. Peu racoleur, le film se base principalement sur l’idée du voyeurisme. Dommage cependant que le duo d’acteurs principaux soit si mauvais. Finissons avec ce qui est peut-être le meilleur du lot : Love Hotel (1985) de Somai Shinji et écrit par Ishii Takashi. Somai livre une œuvre obsédante, plus proche du drame intimiste que des productions grivoises du studio. Assurément une œuvre incontournable. Notons également qu’en complément de cette sélection était projeté le documentaire Inside the Pleasure Dome of Japanese Erotic Cinema de Yves Montmeyeur.

Il y en a en rab, vous en reprendrez bien un peu ?

Parce qu’il reste deux films inclassables, évoquons la soirée bis « Nikkatsu contre Toho », au cours de laquelle la Cinémathèque a projeté Gappa le descendant de Godzilla (1967) de Noguchi Haruyasu, rare incursion du studio dans le genre du kaiju eiga. Très drôle, le métrage ne fait cependant pas le poids face aux productions Toho. Face à ce film, Godzilla contre Mechagodzilla (1975) de Fukuda Jun est pour sa part beaucoup plus friqué et montre des destructions de ville assez réussies. Notons que les deux films étaient dans leur VF d’époque.

Pour finir, on s’étonnera que le centenaire du studio à la Cinémathèque s’arrête à 1988, comme si depuis la Nikkatsu avait cessé d’exister. Peut-être aurait-il été bon de proposer quelques films des deux dernières décennies pour se faire une idée de la production actuelle du studio.

Anel Dragic.

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