NETFLIX – Hunger de Sitisiri Mongkolsiri

Posté le 21 avril 2025 par

Quelque part entre Whiplash, The Menu et Parasite, le tout dernier film du cinéaste Sitisiri Mongkolsiri sur Netflix, sobrement intitulé Hunger, s’aventure dans le monde impitoyable de la haute gastronomie et devient l’un des plus gros succès thaïlandais de la plateforme.

Aoy dirige le restaurant de nouilles sautées de sa famille dans le vieux quartier de Bangkok. Un jour, elle reçoit une invitation à quitter l’entreprise familiale et à rejoindre l’équipe Hunger, la première équipe de tables de chefs de luxe de Thaïlande, dirigée par un célèbre chef.

Malgré ses succès publics et critiques déjà retentissants au pays, Sitisiri Mongkolsiri reste un newcomer dans l’industrie du film thaïlandaise. Il débute dans le cinéma d’horreur et réalise en son nom seul en 2019 le joli conte folklorique Inhuman Kiss dans lequel il faisait déjà montre d’un sens de la mise en scène aiguisé comme le couteau d’un chef, sans mauvais jeu de mot. Son prochain et dernier film en date, Hunger, bénéficie d’une sorte internationale sur Netflix et pénètre l’univers extravagant de la (très) haute gastronomie – représentée dans cette fiction par un Chef privé servant les plus grandes fortunes du pays, psycho-maniaque et despotique, pour lequel travaille une jeune cuisinière d’un restaurant familial recrutée sur le tas, presque par hasard.

Le restaurant du récit, Hunger, se promet de répondre à toutes les demandes les plus absurdes de ses riches clients, en suivant pour cela le rythme et les lubies créatives du Chef Paul cyniquement interprété par Nopachai Jayanama, dont la figure mystérieuse et glaciale enveloppe les cuisines de l’établissement d’une aura de toxicité anxiogène. « Une cuisine n’est pas une démocratie mais une dictature », un axiome bien rodé qui donne au Chef Paul les pleins pouvoirs non seulement sur sa gastronomie, mais aussi sur ses seconds. Son travail méthodique et répétitif jusqu’au tutoiement de la perfection n’est pas si différent du rôle joué par J.K. Simmons dans le film de Damien Chazelle. Le choix de casting, la réalisation au cordeau, les effets de style, sonores et musicaux empruntés au cinéma d’horreur, plongent Hunger dans une atmosphère de thriller psychologique bien sentie malgré les tournures souvent ridicules de ce spectacle culinaire jusqu’au-boutiste et cliché pour lequel on se prend au jeu.

Dans cette Grande Bouffe réinventée, la jeune cuisinière talentueuse – interprétée par l’actrice tout aussi talentueuse Chutimon Cheungdaroensukying (Aokbab de son pseudonyme) – détonne avec cet univers bourgeois faussement gourmet de tous les abus. De manière un peu grossière sûrement, Sitisiri Mongkolsiri met en scène une fille du peuple encore préservée de l’ultra-capitalisme de ce monde inaccessible qui ressemblerait presque à une secte avec sa doctrine et ses secrets. Le réalisateur réduit malheureusement trop souvent le personnage à sa condition de prolétaire en se contentant paresseusement de décorer cette scène manichéenne de quelques teintes de gris – lorsque la protagoniste tyrannise à son tour épisodiquement ses équipes par habitude malsaine de son précédent gourou. « Les pauvres mangent pour apaiser leur faim, les riches ne sont jamais rassasiés ». C’est un petit peu l’idée derrière la métaphore culinaire mise en œuvre qui s’étend très logiquement au discours sur les inégalités sociales reflétées à l’image par la symétrie et la division en deux des espaces filmés. Poursuivant ce schéma en diptyque, le récit dévoile finalement quel sera le combat engagé : la prétention de la cuisine gastronomique, ou l’authenticité d’un met familial ? L’antagonisme est clair du côté du film. Reste que, malgré son écriture simpliste, Hunger se déguste avec le même plaisir au palais que l’assiette d’un bon restaurant.

Richard Guerry.

Hunger de Sitisiri Mongkolsiri. 2023. Thaïlande. Disponible sur Netflix.