BLACK MOVIE 2025 – The Height of the Coconut Trees de Du Jie

Posté le 25 janvier 2025 par

Parmi les nombreux films asiatiques rares de la sélection, le Festival Black Movie 2025 propose à son public genevois The Height of the Coconut Trees, un beau drame sentimental japonais de Du Jie, directeur de la photographie important ayant œuvré pour beaucoup de grosses productions chinoises récentes, et qui signe ici son premier film en tant que réalisateur, à petit budget et dans un pays autre que le sien.

Un couple sur le point de se marier se sépare brutalement. L’ex-fiancée doit alors réaliser son voyage de noces seule. En parallèle, un homme cherche à comprendre le suicide de sa petite amie. Au gré des rencontres par-delà le Japon, des fantômes semblent encore animer les espaces et les vies de ses habitants…

Bien des jeunes cinéastes chinois effectuent leurs études à l’étranger, et le Japon semble une destination de choix de ces dernières années. Souvent, ils réalisent des films universitaires à la Tokyo University of Arts, des courts-métrages, d’animation ou non – en vues réelles, l’acteur Abe Tsuyoshi est souvent mobilisé de par son ascendance chinoise. Le long-métrage Killing the Violets de Zhang Yu (2023) est un fleuron du genre, parfaitement intégré dans le cinéma japonais au relief fantomatique (élémentaire pour une élève de Kurosawa Kiyoshi). Voir un haut technicien du cinéma commercial chinois tel que Du Jie, chef opérateur de Guan Hu, des Detective Chinatown et bien d’autres, a quelque chose de plus original et carrément inattendu. Pourrait-y voir le signe d’un nouveau champ des possibles au Japon pour les cinéastes chinois ?

Ce que l’on pourra dire pour The Height of the Coconut Trees, en tout les cas, c’est qu’à l’instar de Killing the Violets, la texture du film est intégralement nippone. Une nouvelle fois, les fantômes sont convoqués, qu’ils soient l’authentique spectre d’une disparue qui intervient dans la narration, ou la parabole d’un manque, d’un vide intérieur que l’on ressent vis-à-vis du système sociétal dans lequel on vit. Si cette association sémantique (la mort et le manque lié à une rupture amoureuse) que l’on observe dans les dires d’intention du réalisateur n’est pas très fine, le film n’en fait pas tant une obsession. Il s’écoule au contraire tranquillement, loin d’un tumulte exacerbé des sentiments, d’une réelle complexité intellectuelle, recherchant plutôt à atteindre une esthétique de la mélancolie douce. Les voyages en trains et en métro émaillent le film, tout comme les parcs, ainsi que l’auberge du segment final du métrage, dans laquelle se rend l’héroïne pour ses noces manquées et qui est, dit-on dans l’intrigue, un lieu prisé pour les suicidaires. Il faut dire qu’il n’y a aucune image de foules dans The Height of the Coconut Trees ; tous les lieux visités sont désertés, comme marginalisés, et lorsque l’héroïne va jusqu’au bout du Japon, dans un lieu touristique, elle s’y rend hors saison, sans âme qui vive hormis le patron de son hôtel et un habitant du coin – à qui l’héroïne demande naïvement, quelle est la taille des cocotiers, une façon de se recentrer sur la beauté et l’originalité du monde.

Si stylisation il y a, elle réside dans la grande scène de conversation entre la fiancée éconduite en faux voyage de noces et le gérant de l’auberge, amoureux endeuillé. Par un dispositif basique, mais dans une forme de rupture vis-à-vis du reste du film puisque disposant d’un rythme différent – un long champ/contre-champ, dans un décor d’intérieur tout-à-fait sommaire -,  la mise en scène parvient à nous émouvoir le plus simplement, lorsque l’on voit ces personnages, des âmes clairement sensibles, blessées par la rupture brutale de leur relation amoureuse respective, purger leurs passions par la communication, alors qu’ils sont des étrangers l’un par rapport à l’autre. Cet élan simple de cinéaste qui est de montrer les atours de l’âme humaine, fonctionne d’autant plus grâce au talent de photographe de Du Jie, poste qu’il occupe en plus de celui de réalisateur, et qui associé au travail sur le son, a su capter la tranquillité de ces lieux japonais, alors que les protagonistes demeurent paradoxalement longtemps intranquilles. Mais c’est là leur but, trouver la paix.

Malgré cette atmosphère délicate, jamais ne vient l’impression d’assister à un film contemplatif façonné pour le public occidental. La volonté du cinéaste de guérir ses personnages surmonte toute autre intention, elle se diffuse dans les dialogues, qui abondent d’ailleurs. Dans The Height of the Coconut Trees, Du Jie a su associer son expertise technique de directeur de la photographie avec une envie de réaliser un film de cinéma essentiel, qui cherche le beau dans les émotions que ressentent ses personnages et les qualités propres des décors qui composent ses images.

Maxime Bauer.

The Height of the Cocunut Trees de Du Jie. Japon. 2024. Projeté au Black Movie 2025.