Projeté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2024, Chroniques chinoises, titre français du film An Unfinished Film, est le dernier long-métrage du réalisateur chinois Lou Ye. Il prend place pendant le début de la pandémie de Covid-19 en s’essayant au documenteur. Il sort ce mercredi dans nos salles via Bac Films.
En 2019, un réalisateur décide de rouvrir un vieux PC de 10 ans comprenant les archives d’un film commencé et jamais terminé. Il souhaite reprendre le tournage avec ses acteurs. Début 2020, juste avant le nouvel an chinois, le tournage débute… Mais la pandémie de covid-19 s’abat sur la Chine à ce moment-clé.
Chroniques chinoises perturbe la filmographie de Lou Ye. Si le documenteur correspond à sa façon habituelle de filmer caméra à l’épaule, le réalisateur s’essaie à une histoire beaucoup plus chaleureuse que ses précédents films par certains aspects, en se livrant à un véritable hommage aux Chinois ayant souffert de la mort et du confinement drastique. En s’attardant sur cette petite équipe d’un film voué à ne pas passer la censure, il montre la résilience des civils chinois pendant la pandémie et quelque part, honore le milieu du cinéma en le montrant dans sa simplicité. Aussi, Lou Ye fait usage d’anciennes vidéos des réseaux chinois montrant l’âpreté et la tragédie de cette courte période, qui se révèlent bouleversantes.
Malgré cela, cette chaleur humaine dont fait inhabituellement preuve Lou Ye dans ce dernier film, on reconnaît deux choses toujours propres à son cinéma. Premièrement, il profite de ce sujet pour faire souffler le vent de la liberté. La séquence où les membres du tournage, confinés au nouvel an, décident de sortir de leurs chambres sur une musique enjouée, a quelque chose de profondément libérateur. En comparaison, l’élan rappelle le portrait du désir de l’héroïne d’Une Jeunesse chinoise. En second lieu, malgré la douceur qui se dégage dans le portrait de ses personnages, Chroniques chinoises ne manque pas de frôler la dissidence. D’une part, le film à terminer utilise des rush de Nuits d’ivresse printanières et fait revenir ses acteurs dans les rôles principaux du présent film. Nuits d’ivresse printanières est un film LGBT qui n’a jamais passé la censure. Il est amusant d’entendre l’acteur (Qin Hao) dire au réalisateur dans Chroniques chinoises, en visionnant les rush : « pourquoi veux-tu terminer ce film ? Il ne passera de toute façon jamais la censure ». En second lieu, sans trop d’insistance, le film n’hésite pas à montrer l’ampleur du confinement voulu par le gouvernement chinois, l’ambiance délétère qu’il a induit, ainsi que les maltraitances opérées par les agents en charge de le faire respecter ainsi que l’évocation de Li Wenliang, le médecin lanceur d’alerte et sa célébration.
Pris en étau par ses choix de mise en scène – le documenteur dans une chambre d’hôtel de confinement, le caméraman devant forcément rester auprès de son sujet (ce qui créé d’ailleurs une incohérence diégétique, le caméraman n’étant pas censé rester dans la même chambre) -, le film n’échappe pas à beaucoup de longueurs qui le rendent austère, malgré ses quelques moments lyriques. Rendons tout de même les honneurs à ce travail, pour tous les clichés qu’il casse, de l’absence de maîtrise de la situation par le gouvernement chinois, au portrait quotidien des Chinois d’alors, que nous ne voyions dans nos médias que comme des chiffres sans visage.
Maxime Bauer.
Chroniques chinoises de Lou Ye. Singapour-Allemagne. 2024. En salles le 23/10/2024.