VIDEO – Gappa de Noguchi Haruyasu

Posté le 12 août 2024 par

En 1967, Noguchi Haruyasu réalise Daikyojû Gappa, un kaiju eiga pour le compte de la Nikkatsu qui ne s’était jusqu’alors jamais aventurée dans ce genre férocement dicté par la Toho. Ce premier (et dernier) exercice du légendaire studio japonais restera une singularité cinématographique d’époque que nous avons aujourd’hui la chance, près de 60 ans plus tard, de pouvoir redécouvrir dans une copie restaurée et dans un joli coffret édité par Extralucid Films – qui n’a pas lésiné sur la qualité de ses bonus, Gappa étant accompagné d’un second film de monstre géant, cette fois-ci à l’ère du COVID-19 : Yuzo (2022) de Ishii Yoshikazu.

Une expédition dans le Pacifique Sud débarque sur une île tropicale où les indigènes vénèrent la mystérieuse divinité Gappa. Un tremblement de terre ouvre une caverne souterraine et un bébé reptile est découvert à l’intérieur.

Sans doute né d’une volonté de rivaliser avec la Toho sur son propre terrain et de capitaliser sur le succès du kaiju eiga, Gappa représente le seul et unique essai dans le genre de la Nikkatsu, studio originellement reconnu pour ses films de yakuza à gros budget, puis par la suite pour ses roman porno et pinku eiga. Avec le succès d’Ultraman et la popularité des diverses suites de l’univers étendu de Godzilla, l’année 1967 connait un « kaiju boom » dont la société de production profite en offrant au public japonais une sorte de synthèse de tous les grands narratifs du film de monstre.

Singulièrement, bien que le titre choisi pour la sortie française de 1973 soit Gappa, le descendant de Godzilla, le film de Noguchi Haruyasu est plus proche de King Kong (1933) ou de Gorgo (1961) que de son homologue reptile géant, et ce dès l’introduction de la mythologie du récit. Une équipe de scientifiques accoste sur une île volcanique où une tribu vénérant un dieu ancestral vit à l’écart de toute civilisation. Chargée de capturer des espèces tropicales endémiques pour répondre aux besoins d’un projet de parc de loisir artificiel au large du Japon, l’équipe finit par dérober un mystérieux reptile qu’ils embarquent au pays, déclenchant la colère de ses gigantesques parents. Le message est clair : Gappa se veut critique ouverte de la société du spectacle et de l’ambition humaine démesurée, dans la grande tradition des thèmes récurrents du film de monstre ; de l’entrepreneur cupide à l’écologie en passant par la revanche de la nature sur l’homme incarnée par les créatures. De facto, le métrage ne parvient jamais vraiment à se débarrasser de son impression initiale de « best-of » ou de compilation du genre. Mais le visionnage progresse avec un plaisir exponentiel inattendu tant certains poncifs prennent une tournure extravagamment ridicule, jusqu’au personnage en charge du projet immobilier tellement dénué de morale qu’il propose de rapatrier la tribu autochtone sur son île de loisir pour accompagner le zoo tropical de danses traditionnelles. Difficile également de ne pas y voir un humour grinçant quand la tribu, au départ craintive et menaçante, accueille finalement l’équipe de scientifiques en fanfare quand ils réalisent qu’ils sont Japonais.

En tant que fier représentant du tokusatsu, l’action et les effets spéciaux sont ce que l’on attend le plus de Gappa comme de tout autre film de kaiju. Bien que ceux-ci furent délégués à Watanabe Akira, ancien employé de la Toho ayant œuvré sur les plus gros succès du studio, le budget alloué ne semble parfois pas à la hauteur des ambitions visuelles voulues. Le film propose néanmoins un terrain de destruction aux gappas tout à fait honnête pour mettre leur fureur à exécution, et certaines bonnes idées finissent de convaincre que les équipes ont fait de leur mieux. En particulier, la scène où les Gappas se réfugient dans le lac Yamanaka au pied du Mont Fuji et où la stratégie militaire consiste à plonger des haut-parleurs diffusant des fréquences qu’ils ne supportent pas pour les déloger et leur envoyer une salve de missiles balistiques. Gappa reste sur cette impression : un film jamais subtil, encore moins original, mais parfois léger, agréable et attachant, avec une morale qui ne cache pas sa révolte : foutez la paix à la nature. Une chance qu’un film aussi mineur pour le genre du kaiju eiga puisse aujourd’hui être réhabilité convenablement par Extralucid en un coffret augmenté et enrichi de nombreux contenus exclusifs.

Bonus

Gappa Kaiju Family (38mn) : Fabien Mauro, auteur de Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse : L’Âge d’or de la science-fiction japonaise aux éditions Aardvark, revient sur les origines culturelles et atomiques du film de monstre, avant de se pencher sur le cas de Gappa et de tout ce qui l’entoure. Un bonus extrêmement riche en informations, tout aussi intéressant, et par ailleurs très bien illustré et très bien monté.

Masanori par Machida (39mn) : interview japonaise sous-titrée avec l’acteur, seiyu et très sympathique Masanori Machida, qui interprète dans Gappa le jeune Saki, l’un de ses premiers rôles.

Scènes des monstres étendues (17mn) : un fait particulièrement rare et bienvenu que de retrouver des scènes coupées du montage final. Bien que celles-ci ne soit pas restaurées, il est important de les conserver pour la postérité.

Les coulisses du tournage (5mn) : comme tout bon tokusatsu qui se respecte, un making-of pour contempler le travail d’orfèvre des équipes de tournage, les décors, miniatures, costumes et effets spéciaux, où l’on se rend compte qu’il s’agit d’une petite production montée avec les moyens du bord.

Richard Guerry.

Gappa de Noguchi Haruyasu. 1967. Japon. Disponible en coffret Blu-Ray chez Extralucid Films en août 2024.