Entre orient et occident, Bastian Meiresonne se demande selon quels critères appréhender les films asiatiques ici, et comment les juger ! Par Bastian Meiresonne.
En avion pour un voyage culturel en Asie, grâce à Bastian qui décortique les subtilités locales qui échappent généralement à nos yeux de spectateurs occidentaux ! En photo, The Greatest Civil War on Earth, la meilleure comédie HK de tous les temps ?
Jeudi 5 mai.
Ce matin, je me suis réveillé avec le désagréable sentiment d’avoir causé du tort de dire du mal de Brother Wang and brother Liu on the road in Taiwan. Ces deux films ont connu un énorme succès à leur sortie, entraînant pas moins de sept séquelles en raison de leur popularité ! Qui suis-je donc pour juger de la qualité de ces films ? Et de quel point de vue ? Faut-il juger un film sur son seul critère de perception immédiate ou attendre quelques jours ? Ne faudrait-il pas tenir compte du contexte historique, de sa spécificité culturelle et de tout ce qui a contribué à sa réalisation ? Je dis tout cela, car nous étions plusieurs passionnés à tenir une longue discussion enflammée dans l’un des nombreux bars OUVERTS (jusqu’à pas d’heure) et A PROXIMITÉ DES SALLES DE PROJECTION, quant à savoir ce qui distingue un bon d’un mauvais film asiatique, selon notre sacro-sainte perception occidentale et en tenant notamment compte de notre “éducation filmique” en la matière par rapport à ce qui est officiellement et légalement disponible dans notre pays. On a également longuement évoqué cette “économie parallèle” des films festivaliers à l’unique intention d’un public très ciblé, qui se développe de plus en plus depuis quelques années.
On reproche souvent au festival d’Udine de trop miser sur des films “populaires” et “spectaculaires”… Mais les films qui ont cartonné dans leurs pays ne représentent-ils pas finalement au mieux leurs cinématographies respectives ?
Les goûts et les couleurs locaux
Je commence mon compte-rendu de manière un peu curieuse, mais c’est en grande partie due au fait que le programme du jour était composé de nombre de films extrêmement ancrés dans leur tradition locale et – du coup – pas forcément accessible au public occidental. Et je ne parle pas uniquement d’une certaine différence dans nos mentalités respectives, mais plutôt par rapport à des vraies spécificités locales, comme le premier film de la journée, Ali Baba & the moldy bachelors. Réalisé en 1961 par le mythique acteur-scénariste-chanteur-compositeur-réalisateur-producteur P. Ramlee, c’est la troisième collaboration du trio comique Bujang Lapok (aka The moldy bachelors) après Bujang Lapok en 1957 et Pendekar Bujan Lapok en 1959 ; des films sans lien aucun, sauf la présence des trois compères dans des rôles différents d’une œuvre à l’autre.
Dans l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui, ils revisitent et se réapproprient donc la fameuse histoire d’ Ali Baba et les 40 voleurs , comme le fit Jacques Becker avec Fernandel en France ; sauf que si l’on peut s’amuser des nombreux gags, quiproquos, rebondissements et anachronismes (les 40 voleurs disposent d’un téléphone dans leur grotte), on passe à côté de tout un tas de subtilités, si l’on n’est pas un minimum familiarisé avec les coutumes et l’Histoire de la Malaisie. Ce long est donc moins l’adaptation de la fameuse légende arabe, que prétexte pour approfondir la perception musulmane malaisienne sur la culture arabe en elle-même. P. Ramlee, qui joue le méchant dans les trois films de la série, a cette fois troqué son habituel costume de pirate mexicain pour un habit arabe, en se justifiant, qu’il s’est “repenti”. Il n’y a guère que les étrangers (des JAPONAIS, personnages généralement bannis des films malais suite à la difficile période d’occupation) à prononcer les formules d’usage arabes pour saluer et ce sont les femmes, qui résolvent tous les problèmes dans un système censé être foncièrement patriarcal… Ce film regorge de subtilités de ce type, qui passent totalement au-dessus de nos têtes d’occidentaux, éduqués à croire en la grandeur d’un Napoleon Bonaparte avant de se rendre compte que ce monsieur a quand même envoyé la moitié de la population française à la mort dans sa volonté de conquête… Mais je divague.
Sans cette culture, on peut donc juste affirmer qu’il s’agit d’un film charmant, un brin désuet, pas très drôle comme on n’est dans l’impossibilité de capter l’ensemble de ces sous-entendus, mais qui constitue définitivement une curiosité dans la manière de revisiter un classique de la “littérature mondiale”.
Même chose avec un autre classique de la comédie, présenté dans le cycle de “Asia Laughs”, le coréen Under the sky of Seoul . Alors que l’on peut facilement comprendre l’histoire du père de famille malade à en crever de voir ses deux enfants fricoter avec des futurs beaux-enfants qu’il pense indigne de sa famille, il est moins évident de capter pour le grand public d’aujourd’hui qu’il s’agit là avant tout d’un kaléidoscope de la population coréenne de 1961, année du coup d’état du général Park Chung-hee. J’en veux d’ailleurs pour preuve la séquence d’ouverture composée d’une série de plans aériens de différentes banlieues de la ville de Séoul : huit ans après la reconstruction du pays suite à sa guerre, les efforts de modernisation commençaient finalement à payer et l’urbanisation explosait, entraînant des gros changements dans la population du pays. C’est justement ce mélange des cultures et des classes, qui est le principal thème de ce vaudeville fort bien réussi, un brin trop long et trop sentimental – un reproche, que l’on pourrait finalement faire à la plupart des films coréens à sortir de nos jours.
Cette confrontation de différentes cultures à l’intérieur d’un même pays et du comique de situation résultant a également été le cœur de The greatest civil war on earth , que beaucoup de “spécialistes” considèrent comme l’une des meilleures comédies hongkongaises de tous les temps.
Et en effet, pas besoin de connaître tous les tenants et aboutissants, qui opposaient jadis (et à nouveau aujourd’hui, depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine) les hongkongais aux immigrants du Nord pour s’amuser des rivalités entre deux tailleurs voisins, qui vont tout tenter pour supplanter l’autre et qui auront fort à faire de contrôler les idylles naissantes entre leurs enfants respectifs. The greatest… est produit par la MP & GI, un studio beaucoup moins connu que la Shaw et la Cathay, mais qui s’est distingué par des films frais, enlevés et profondément ancrés dans leur époque, ce qui en fait aujourd’hui des vrais documents sociologiques. The greatest… ne fait pas exception à la règle avec cette belle étude de caractère et les nombreux plans des extérieurs d’un Hong Kong déjà très moderne, mais très, très loin de l’actuelle mégalopole. Le phénoménal succès du film a entraîné deux suites, The greatest wedding on earth en 1962 et The greatest love affair on earth en 1964.
Plus local que Hantu Kak limah balik rumah (approximativement traduit : Le fantôme de frère Limah revient à la maison ), tu meurs ! Séquelle de Zombi Kampung Pisang , ce ne sont plus des morts-vivants, mais un fantôme, qui hante le petit village de Bananas. Le réalisateur Mamat Khalid passe cent ans de clichés inhérents au genre (et notamment aux films de “Pontianak”) à la moulinette, tout en trouvant 1001 astuces pour titiller la censure locale sans jamais en devenir victime. Si bien qu’après les zombis (interdits dans le cinéma malaisien, car dans la culture musulmane, les morts-vivants ne sont pas censés exister, les morts allant en enfer ou au Paradis…mais comme c’est le gouvernement, qui trouve l’antidote à la fin du premier film, Khalid a eu le droit de les inclure), le réalisateur réussit à inclure pour la première fois de l’Histoire du cinéma malais des seins nus : une énorme paire, qui s’allonge, s’allonge, s’allonge … Bref, il faut le voir pour le croire…
Pour le reste, le film est profondément ancré dans la culture de son pays – malheureusement aussi d’un point de vue cinématographique, avec une réalisation frôlant l’amateurisme des pionniers malais des années 40 et 50 avec des longs plans fixes dans des décors uniques et des acteurs cabotins récitant péniblement des textes à rallonge. Mais le nouveau succès phénoménal, qui en a fait le second plus gros succès de tous les temps a d’ores et déjà motivé la réalisation d’un troisième épisode… avec des vampires !
Et on passe à l’action !
La spécificité culturelle s’est retrouvé jusque dans la série des films d’action présentés en ce jour et notamment The showdown, première réalisation attendue de Park Hoon-jung, scénariste des plus gros succès coréens de l’année 2011 : The Unjust ( Ryu Seong-wan) et I saw the devil ( Kim Ji-woon).
The Showdown raconte l’affrontement de trois hommes d’une même armée dans une auberge isolée en pleine bataille contre les mandchous du XVIIe siècle. Non seulement, le scénario regorge de détails historiques concernant le terrible conflit contre les chinois, mais Park se sert également de l’époque pour régler quelques comptes avec les actuels hommes au pouvoir en Corée. Loin d’autre aussi abouti que ses scénarii à succès, le film tient néanmoins la route, notamment pour l’extraordinaire interprétation de Park Hee-soon ( Hansel & Gretel ), Jin Gu ( A bittersweet life ) et Ko Chang-seok ( Rough Cut ).
De la Mongolie, on connaissait surtout des histoires avec des “Chameaux, qui pleurent”, des “Chiens jaunes” ou des parties de “Mongolian Ping Pong”. Quelle ne fut donc la surprise de découvrir le pendant mongol de Guy Ritchie en la personne de Baatar Bat-Ulzi, réalisateur d’un second long-métrage Operation Tatar , où une bande de pieds-nickelés décide de braquer une banque. Plus facile à imaginer, qu’à faire et les rêves des différents protagonistes vont tous voler en éclats… ou plutôt exploser en une surenchère de plans et d’effets clipesques. Un divertissement rondement mené, qui – pour la petite histoire – a été entièrement financée par une chaine de restaurants BBQ et une célèbre marque de sport, comme en témoignent les nombreux plans de “product placement”.
Le festival d’Udine est également l’occasion de revoir certains grands classiques sur le grand écran de 21 mètres du TEATRO en copie 35 mm, son surround et sans devoir se retaper l’intégrale largement disponible du réalisateur comme dans des festivals français… Pedicab Driver de Sammo Hung, diffusé dans le cadre du cycle “Asia Laughs” ,prenait ainsi toute une nouvelle dimension par rapport à l’ancienne copie VCD / DVD disponible à Hong Kong. Une comédie d’action survoltée au parfait timing avec un Sammo Hung au mieux de sa forme, notamment lors de son combat final épique contre Billy Chow.
Le Visionnario repassait une seconde fois The stool pigeon , aka The insider , fraîchement sorti en DVD en France et que je ne puis que vous conseiller, surtout si vous avez aimé Beast Cops ou – plus récemment – The beast stalker du même réalisateur D*ante Lam*.
Un autre film, que je n’ai pas réussi à caser dans aucune catégorie du jour, mais qui a également déjà été largement relayé sur le Net et la très, très belle comédie chinoise The piano in the factory de Zhang Meng, dans lequel un père de famille décide de construire un piano pour obtenir la garde de sa fille. Après un premier Lucky Dog intéressant, le réalisateur confirme son talent pour la comédie sociale, genre Ken Loach en mode joyeux.
Foxy Babies
Enfin, les perles du jour pour nos cochons avec un peu de sexe à l’écran. Avec du soft pour commencer avec le coréen Foxy Festival de Lee Hae-young, qui – après un premier Like a virgin réussi – tente de donner les lettres de noblesse à la “sexy comedy”, inspiré du succès des Americian Pie et devenu un véritable sous-genre du cinéma coréen depuis l’énorme succès de Sex is zero il y a une dizaine d’années. On ne peut pas dire qu’il ménage ses efforts, le bougre, avec une flopée de protagonistes extrêmement approfondis… mais pour lesquels on ne va jamais vraiment réussir à se passionner. Il y a notamment Jang-bae, flic macho, qui tombe des nues le jour où il découvre que sa femme a commandé un vibromasseur pour se satisfaire en son absence ; la bourgeoise Sun-shim se découvre une passion pour le SM et la lycéenne Ja-hye vend ses petites culottes usées… Pire : alors que Lee semble faire tout ce qu’il peut pour ne pas tomber dans les clichés du genre, il finit par enchaîner toute une série de gags vulgaires et éculés en fin de film, comme s’il avait prématurément abandonné la partie.
Dans un genre beaucoup plus sérieux, le pinku Adultery Diary de 1996 est aujourd’hui considéré un classique, notamment par la collaboration extrêmement réussie entre Sato Toshiki (l’un des quatre “Kings of pinku” et réalisateur de la version live de Perfect Blue ) et le scénariste Kobayashi Masahiro, plus connu pour ses films d’auteur, dont le récent Bashing .
Adultery Diary démarre comme une (drôle de) comédie avec la femme au foyer Kumiko, qui s’éprend de littérature et va s’inscrire dans un cours d’écriture. Séduite par son professeur, elle consent à “explorer son côté obscur” en couchant avec différents hommes. Et soudain, c’est la rupture de ton, finalement pas si rare que cela dans les pinku, avec la mort de Kumiko par strangulation au cours de l’une de ses expériences sexuelles déviantes et qui revient sous forme de fantôme pour tenter de s’expliquer avec son mari… C’est aussi fou à l’écran que sur le papier, ce qui en a fait l’un des meilleurs pinku de la sélection Udinèse.
Rape Case – No indictment est beaucoup plus sérieux dans son traitement. Écrit par Komizu Kazuo, aka Gaira, futur metteur en scène de la franchise des Guts of a virgin et mis en scène par Watanabe Mamoru, réalisateur de plus de 200 films pinku entre 1965 et 2008, Rape case… est l’une des rares œuvres de la fin des années 1970 à avoir survécu (comprenez : pas jetées à la poubelle). Tant mieux, car il ne représente pas seulement un rare témoignage du pinku de cette période particulière, mais également de toute une époque avec des nombreux plans d’extérieurs sur de la musique des Stranglers. Quant à l’histoire, elle est horrible avec trois jeunes punks, qui passent leur temps à violer des jeunes femmes en les menaçant de publier leurs photos prises durant les ébats, si jamais elles allaient voir la police. Leur petite combine vaut son quota de scènes tout sauf érotiques, jusqu’à ce que l’un d’eux s’entiche de la belle Ayumi, qui va imaginer une stratégie pour le faire décrocher du gang. Pas très gai, ce film se situe quelque part entre l’esprit révolutionnaire de Wakamatsu et celui, plus pessimiste, des pinku des années 90 à venir. No futur… Sauf à penser au prochain compte-rendu à rendre pour demain !
Bastian Meiresonne.