Après son avant-première mondiale en novembre au TIFF et juste avant une exploitation dans les salles Pathé les 6 et 7 décembre, le film évènement Godzilla: Minus One de Yamazaki Takashi connaît ses premiers pas en France à travers sa sélection dans l’édition 2023 du Festival Kinotayo !
Un Japon d’après-guerre déjà dévasté doit faire face à une nouvelle menace sous la forme de Godzilla et plonge le pays dans un état critique.
Pour fêter les 70 ans de la naissance du roi des monstres Godzilla, la charge de le porter une énième fois à l’écran à été mise entre les mains de Yamazaki Takashi (Space Battleship). Il est un grand nom de la VFX et du cinéma de divertissement au Japon, ce qui en faisait donc un choix judicieux. Que raconter après qu’il ait été déjà porté plus de 40 fois à l’écran ? Comment célébrer à sa juste valeur la créature de Honda Ishiro, désormais emblématique de la culture japonaise ?
Yamazaki Takashi, avec Godzilla: Minus One, propose de revenir aux origines de l’empereur des kaiju, à l’aube de l’après-guerre. Il choisit de rejouer la bataille des hommes contre Godzilla, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Alors que le Japon est en cendre et peine à relever la tête, les Japonais doivent faire face à une nouvelle menace mortelle. Ils pensaient avoir touché le fond avec la guerre mais ils s’apprêtent à descendre plus bas que terre : de 0 à -1.
Inscrire cette nouvelle bataille de David contre Goliath dans un tel contexte est bienvenue. D’un point de vue dramaturgique, cela permet de souligner l’effort et le courage de nos héros, de ces soldats japonais qui, alors qu’ils viennent de survivre à l’horreur, vont devoir puiser dans leurs dernières forces et remettre une dernière fois leurs vies en jeu pour sauver le pays d’une fin tragique. Sans quoi, les promesses d’avenir et de renaissance permises par la fin de la guerre seraient balayées d’un revers de patte.
Ce contexte historique choisi par Yamazaki Takashi lui permet de donner à son film une teneur politique, à l’instar des premiers longs-métrages de Honda Ishiro et des œuvres dont ils tirent leur inspiration (King Kong). Godzilla naissant du traumatisme de la bombe nucléaire, bien souvent, celles-ci avait à charge le militarisme et le surarmement. Les hommes, leurs ripostes guerrières et leur politique belligérante agressive sont à l’origine de la furie de la bête et empirent à chaque fois la situation. Ils sont souvent pointés comme les véritables responsables du chaos, comme le faisait remarquer un des discours de Shin Godzilla d’Anno Hideaki, dernière adaptation live japonaise en date.
Ici, cette genèse n’est pas niée mais ne constitue pas le cœur du propos. On nous fait comprendre vaguement que Godzilla serait un monstre mythique de l’île d’Odo (île fictive où il apparaît pour la première fois en 1954) qui aurait muté suite aux bombardements au large de l’archipel mais jamais on ne s’attarde sur les raisons de sa colère. Godzilla n’est qu’une énième menace mortelle, à l’instar des bombardements américains, à laquelle doivent faire face les citoyens. Et c’est dans la manière dont nos héros vont relever cet ultime défi que se trouve tout le sens du film.
Cette bataille contre Godzilla se présente comme le prolongement de la Seconde Guerre mondiale, sa bataille finale. Une phrase revient régulièrement : “la guerre n’est pas finie”. Elle est encore là. Cet ultime affrontement permet aux soldats toujours vivants de redevenir les maîtres d’une guerre dont ils ont été la chair à canon. Loin des ingérences politiques, ils vont d’eux-mêmes mettre en œuvre un plan pour venir à bout de la bête. En s’investissant collectivement dans une dernière bataille qui, elle, a du sens, les soldats se délivrent du poids de l’absurdité atroce de cette guerre. En témoigne parfaitement l’arc narratif du héros principal Shikishima Koichi incarné par Kamiki Ryunosuke (Bakuman). Shikishima est un ancien kamikaze des forces aériennes japonaises qui est traumatisé d’avoir failli à sa mission. Par son affrontement avec le roi des kaiju, il fait le deuil de la culpabilité qui le rongeait d’avoir survécu à la guerre alors qu’il aurait dû se sacrifier au nom du Japon. Godzilla est l’incarnation de cette Seconde Guerre mondiale faite de destruction, de mort et de nucléaire. Son souffle radioactif provoque entre autres des champignons atomiques. En le déroutant, les soldats marquent la véritable fin symbolique de cette guerre dont ils ont été les acteurs malgré eux. Cette fois-ci, ils se battent pour autre chose que pour d’irrationnelles ambitions nationalistes. Ils se battent pour eux-mêmes, pour la vie des habitants japonais et leur futur. Le film tient à nous dépeindre une véritable bataille citoyenne où abattre Godzilla, c’est conjurer la guerre mortifère pour célébrer la vie. Notre protagoniste comprend au fur et à mesure qu’il n’a pas à culpabiliser d’avoir failli comme kamikaze car sa survie a été ce qu’il y a de plus précieux. Le discours plein d’espoir de ce film peut se résumer en une phrase d’un général à un jeune garçon japonais : “Il faut que tu sois fier de ne pas avoir fait la guerre”.
Godzilla Minus One est également un digne héritier du film de catastrophe Godzillesque. Il en maîtrise parfaitement les codes et est donc un très bel hommage rendu à Honda Ishiro pour les 70 ans de son Œuvre. Tous les passages obligés sont réussis avec brio comme celui la destruction de Ginza, et nous apportent aussi de nouvelles scènes qui sont tout aussi iconiques. Yamazaki Takashi propose notamment de nombreux moments d’action en haute mer et qui innovent à plusieurs reprises sur les façons d’affronter la bestiole. Les combats sont frais et pas nécessairement déjà vus. Et plus généralement, toutes les scènes d’action sont parfaitement conçues, aussi haletantes qu’épiques. Il arrive à nous faire ressentir la menace que représente Godzilla et nous maintient en tension tout du long. D’autant plus que si l’on compare moyens technologiques du Japon d’après-guerre au déchaînement de puissance qu’est Godzilla, le rapport de force est en totale défaveur pour les humains. La victoire sur la bête semble toujours improbable, les efforts humains semblent vains, sonnent comme des coups d’épée dans l’eau, et pourtant…
Rien est à redire sur la forme de ce nouveau blockbuster d’action japonais. Pas même sur les VFX qui ont de quoi rendre jalouses quelques récentes productions américaines à gros budget. La conception de Godzilla lui-même emprunte joyeusement aux différents designs dont il a été affublé au cours des décennies. La forme de sa gueule, bien que plus effrayante et réaliste, s’inspire directement des premières marionnettes du kaiju, ce qui le rapproche très fortement du dinosaure.
En définitive cette nouvelle version de Godzilla est excellente, peut-être même l’une des meilleures propositions rencontrées. La forme catastrophe brillamment maîtrisée, parfois novatrice, se marie avec un propos anti-guerre tout en nuance afin de rendre le meilleur hommage possible au seigneur des kaiju. Joyeux anniversaire Godzilla !
Rohan Geslouin.
Godzilla: Minus One de Yamazaki Takashi. 2023. Japon. Projeté dans le cadre de l’édition 2023 du Festival Kinotayo.