Dans son quatorzième long métrage, Adilkhan Yerzhanov propose un conte philosophique humaniste sur la puissance de l’éducation, du savoir et de la littérature pour lutter contre l’obscurantisme, l’intolérance et la misère. On découvre L’Éducation d’Ademoka, grâce à Destiny Films !
Ademoka, une migrante du Tadjikistan, débarque illégalement avec sa famille au Kazakhstan. Forcée de mendier pour survivre, elle trouvera son salut en la personne d’Akhav, alcoolique, professeur de philosophie et de littérature. Désabusé, cynique et corrompu, il va pourtant prendre l’adolescente sous son aile pour l’aider à entrer à l’université.
C’est tout un symbole : L’Éducation d’Ademoka est un film soutenu par le ministère de la culture et des sports du Kazakhstan. Si le film se déroule au Kazakhstan et évoque la situation particulière d’une migrante qui se voit refuser le droit d’aller à l’école, le message est universel. Yerzhanov se plaît d’ailleurs à citer une kyrielle d’écrivains et de dramaturges pour initier Ademoka à la littérature : Dickens, Dumas, Cervantes et, surtout, Shakespeare et Hamlet, et Melville et son Moby Dick. Le professeur s’appelle justement Akhav, en référence au Achab de Moby Dick, ce pêcheur tyrannique obsédé par un unique but : attraper le cachalot qui a fait de lui un unijambiste. Dans le film, Akhav, interprété par Daniyar Alshinov, acteur fétiche du réalisateur, est lui aussi meurtri par la vie et trouve avec Ademoka un nouveau but : la faire entrer à l’université et se venger d’une bureaucratie scolaire absurde qui l’humilie depuis plusieurs années. Akhav n’en reste pas moins tyrannique dans ses méthodes d’apprentissage et n’a aucun scrupule à devenir le « souteneur » d’Ademoka en lui volant une partie de sa bourse d’études.
Dans un Kazakhstan dépeint comme une Absurdie, Yerzhanov multiplie, comme à son habitude, les scènes incongrues, et ce dès le premier plan : Ademoka assise sur une voiture en plastique tirée par une autre personne, au milieu d’une steppe parsemée d’éoliennes et de pylônes électriques. Ou encore un examen scolaire organisé sur un terrain d’athlétisme, sous une pluie battante. Les personnages sont également hauts en couleur, à commencer les fonctionnaires (de police, des douanes ou de l’éducation nationale) vus comme des tire-au-flanc corrompus. Une marque de fabrique chez Yerzhanov qui se rit régulièrement des dépositaires de l’autorité publique, dans un geste très kafkaïen. Kafka qui, étrangement, n’est pas mentionné directement dans le film. Peut-être parce qu’il est omniprésent, non seulement dans L’Éducation d’Emoka, mais dans une grande partie de la filmographie du réalisateur kazakhstanais.
D’aucuns pourront trouver le message positif du film trop simpliste ou dégoulinant de bons sentiments. C’est qu’ils sont peu réceptifs au conte philosophique ou à la fable. Yerzhanov résume ainsi l’état d’esprit du film et de ses deux personnages principaux : « Ils aiment l’art, recherchent la beauté et la grandeur de la littérature ; et tous deux sont en quête de connaissances. Akhav voit que c’est là son exploit invisible : vaincre le système et aider Ademoka à s’instruire. C’est finalement le but ultime de sa vie. […] C’est une sorte d’hymne à la connaissance, au Savoir qui aide l’humanité à échapper à l’obscurité de la bureaucratie et à l’âge des ténèbres. » Le reste est silence.
.Marc L’Helgoualc’h
L’Éducation d’Ademoka d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2022. En salles le 12/07/2023.