VIDEO – Eyes of the Spider de Kurosawa Kiyoshi

Posté le 17 mars 2023 par

Alors que Kurosawa Kiyoshi était l’invité d’honneur du festival Toute la mémoire du monde à La Cinémathèque française, retournons sur Eyes of the Spider, dans lequel il signe un exercice de style criminel qui entre brillamment en résonance avec ses thèmes récurrents.

Eues of the spider

Après avoir retrouvé et assassiné le meurtrier de sa fille, Nijima rejoint le gang d’un vieil ami de lycée.

Eyes of the Spider est une production vidéo constituant une sorte d’exercice de style pour Kurosawa Kiyoshi. Le réalisateur se voit proposer de réaliser deux films en deux semaines avec le même casting sur le sujet commun de la vengeance. Le premier film sera Serpent’s Path et le second Eyes of the Spider, pour un résultat et un traitement très originaux de ce sujet imposé. Le film s’ouvre directement sur cet assouvissement de la vengeance lorsque Nijima (Aikawa Sho) retrouve l’homme qui a assassiné sa fille six ans plus tôt.

Il va le séquestrer, longuement le battre et l’interroger avant de le tuer prématurément et faire disparaître son corps. De brefs inserts en flashbacks au traitement formel très différent donnent à voir la douleur passée de ce deuil avec la découverte du corps de sa fille. Ce seront les seuls éléments qui « justifient » en quelque sorte l’acte auquel nous venons d’assister mais finalement, par ce choix narratif, Kurosawa désamorce, faute de montée en puissance dramatique, le côté cathartique de la vengeance. Ce n’est nullement un soulagement et le héros ne s’en sentira pas mieux pour autant, bien au contraire. Nijima va par hasard retrouver Iwamatsu (Dankan), un vieil ami de lycée qui exerce avec un groupe d’associés le métier de tueur à gages. Connaissant le secret de Nijima, il l’incite à les rejoindre. Notre héros à la fois décomplexé et désensibilisé par son acte initial va montrer des aptitudes et une froideur exceptionnelle dans l’exercice. Nijima s’avère un être désormais éteint qui n’éprouve ni plaisir, ni remord dans ses exécutions, ce que Kurosawa traduit par la tonalité décalée du film. Cette extinction des sentiments s’exprime par un rapport au monde étrange, les environnements traversés sont désertiques, tant dans l’espace urbain que la campagne où va parfois s’évader le groupe.

Leur existence semble n’avoir aucun sens lorsqu’ils ne tuent pas, Kurosawa les associant à des enfants dissipés et incapable de se concentrer. Les moments où ils n’assassinent pas sont des apartés tour à tour absurdes, contemplatifs et étranges faits d’activités telles que le frisbee, la pêche ou les balades en forêt. Lorsque Nijima rejoint le domicile conjugal auprès de sa femme Noriko (Nakamura Kumi), on retrouve ce sentiment de vide du réel. Le couple n’a plus rien de pertinent à se dire, d’instants privilégiés à partager, d’amour à se donner. Leur seul lien est ce deuil qui les hante implicitement, et bien que le film n’ait pas de velléités fantastiques, Kurosawa nous livre une séquence spectrale et glaçante dont il a le secret, où littéralement le fantôme de la fillette disparue réapparaît.

On retrouve finalement les thèmes du réalisateur sur l’aliénation, les bas-instincts qui nous hantent et l’extension de cet état d’esprit sur notre environnement. Des films comme Cure (1997), Seance (2001) ou Kaïro (2001) explorent cela à travers le thriller et le fantastique dans une approche profondément désespérée et plus tard, le mélo introspectif pour Tokyo Sonata (2009), Shokuzai (2012) ou le beau Vers l’autre rive (2015). Là, ce côté décalé, absurde mais profondément mélancolique est une autre forme de proposition singulière mais creusant le même sillon de manière captivante.

Justin Kwedi.

Eyes of the spider de Kurosawa Kiyoshi. 1962. Japon. Disponible en DVD chez Third Windows Films