Love Life est le nouveau drame familial de Fukada Koji, réalisateur qui confirme son penchant psycho-médical pour l’intimité du couple et les troubles amoureux d’individus perdus dans l’incertitude du présent et tentés par le refuge dans un passé jugé plus confortable. Il était projeté en avant-première au festival Kinotayo 2022.
Taeko et Jiro, trentenaires, forment a priori un couple banal (et donc idéal). Le film s’ouvre par un heureux événement : la célébration de la victoire de leur fils Keita, 6 ans, à une compétition du jeu de stratégie Othello. La fête familiale en l’honneur du fils prodige laisse peu à peu apparaître les fêlures du couple. Taeko est mal acceptée des beaux-parents de Jiro : son fils Keita est issu d’une ancienne union ; Taeko a renconté Jiro alors que celui-ci devait épouser une autre femme. Qui plus est, les beaux-parents de Jiro reprochent à Taeko de n’avoir pas encore donné naissance à un nouvel enfant, symbole et preuve d’une union jugée « inaboutie ». Ces premières fêlures deviennent des fractures quand Keita meurt par accident. Alors que Taeko et Jiro surmontent la mort de l’enfant, Park, son père biologique, émigré sud-coréen muet, réapparaît.
Le scénario de Love Life est inspiré d’une chanson éponyme de Yano Akiko, célèbre chanteuse et pianiste. Les paroles sont suffisamment vagues sur l’espoir d’un amour éternel pour que Fukada s’en serve comme matériau pour imaginer l’histoire d’un couple brisé par la mort de leur enfant. L’amour peut-il perdurer entre deux êtres broyés qui, par manque de communication et de compréhension, se réfugient chacun dans leur passé ? De l’aveu même du réalisateur, l’amour est une addition de solitudes. Ici, Taeko et Jiro vont peu à peu s’éloigner et chercher le réconfort en faisant machine arrière. Personnages palimpsestes, ils vont gratter le vernis de leur histoire commune pour faire réapparaître un passé individuel maintenant idéalisé. Alors que Taeko se rapproche de son ancien mari Park, aujourd’hui SDF, Jiro retourne vers la femme qu’il devait épouser s’il n’avait jamais rencontré Taeko.
En réanimant leur passé, Taeko et Jiro dévoilent aux spectateurs des personnalités alors insoupçonnées et radicalement différentes de ce que laissait transparaître le début du film. Taeko devient une femme impulsive, grisée par les retrouvailles avec Park et n’hésitant pas rejeter en bloc sa vie familiale. On pense à l’héroïne d’Asako 1 & 2 de Hamaguchi. De son côté, Jiro s’avère être un homme lâche, conscient de sa lâcheté. Un comportement loin de celui du mari attachant et responsable, ayant élevé Keita comme son propre fils. Ce côté Janus est symbolisé tout au long du film par le jeu de stratégie Othello, auquel excelle le jeune Keita. Populaire au Japon, ce jeu consiste à disposer des pions blancs et noirs sur un othellier. Selon les coups des joueurs, un pion blanc peut devenir noir. Taeko et Jiro sont pareils à ces pions, leurs comportements passant du noir au blanc. Le défunt Keita est donc le démiurge omniprésent du film, sa mort tragique transformant ses parents en pions.
Malgré la violence potentielle de la situation, les effusions de larmes et de sang sont assez réduites. L’ambiance instaurée par Fukada, faussement calme et apaisante, est plus proche des films d’Ozu ou de Hamaguchi que de l’hystérie et de la fureur ostentatoires des films de Sono Sion et Nakashima Tetsuya. La fameuse retenue nippone. Même au sein de la filmographie de Fukada, Love Life est moins riche en rebondissements et en situations extrêmes que Hospitalité, Harmonium ou Suis-moi, je te suis / Fuis-moi, je te suis. D’où un film qui, s’il ne marque pas totalement le spectateur dès sa vision, diffuse progressivement son charme.
Marc L’Helgoualc’h
Love Life de Fukada Koji. Japon. 2022. Projeté au festival Kinotayo avant sa sortie en salles le 26/04/2023.