Le documentaire H6, réalisé par Ye Ye et en salles aujourd’hui, est une immersion sensible et riche dans un hôpital chinois pré pandémie.
Tourné en 2015, parallèlement à ER, série télévisée sur le même sujet, ce documentaire consacré à l’hôpital 6 de Shanghai interpelle par son aspect composite. Ye Ye, dont c’est le premier film, a en effet pris l’option du film choral pour offrir une vision tout sauf univoque du système hospitalier chinois. Cinq cas se partagent ces presque deux heures, dont au moins trois semblent se diriger vers une mort inéluctable. Le plus saisissant est celui d’un paysan quinquagénaire à la colonne vertébrale endommagée après avoir chuté d’un arbre. Sa douleur s’exprime de manière insoutenable alors que l’on voit les médecins lui prodiguer des soins impliquant la manipulation de sa tête. Pas de sensationnalisme côté caméra. La scène se veut, comme la plupart, très longue, patiente, respectueuse avant tout d’une situation – la douleur au travail – ne pouvant être assujettie à de la « mise en scène ».
La cinéaste ne nie pas pour autant le caractère partiellement fictionnel de H6. Si les protagonistes sont accompagnés au moment d’un séjour réel à l’hôpital, toute une organisation préalable a conduit à la possibilité de les filmer sur la durée, y compris dans le cadre de leur vie extérieure. Ye Ye dit s’être entourée d’amies pour servir d’intermédiaire entre ses « personnages » et elle, afin de maintenir la distance nécessaire à son travail d’observation. Ayant eu l’idée du film suite à sa propre hospitalisation en France pour une méningite, où sa vaillance face à la gravité de son mal, combinée à l’absence de ses proches, l’a faite s’interroger sur un potentiel rapport « chinois » à la douleur, elle semble chercher dans son pays d’origine une réponse n’allant pas de soi. Bien que tous les patients qu’elle filme, ainsi que leurs familles et même le personnel soignant, préservent un regard lucide sur leur situation, H6 ne se veut pas pour autant trop explicatif.
Parfois drôle (un médecin se distingue par ses pratiques pour le moins originales, une discussion de couloir tourne autour de l’âge surprenant d’une infirmière…), n’esquivant pas les questions de financement des soins impliquant pour les familles rurales davantage de sacrifices, le film parvient à nous laisser maîtres de nos émotions, confiants dans notre faculté d’identification. Cet aspect distancié, très égalitaire peut donner l’impression d’un regard neutre, trop englobant sur un terrain où les souffrances physique et mentale variées, le déterminisme social aussi, donnent le ton. Mais toujours, on reste assez soucieux du sort de chacun, suffisamment au fait du degré de gravité du moindre cas pour se sentir leur contemporain, leur allié peut-être. Quelle meilleure raison d’être pour un documentaire ?
Sidy Sakho
H6 de Ye Ye. Chine. 2021. En salles le 02/02/2022
Le 10/08/23 par Stephen Sarrazin