VIDEO – Onoda – 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari

Posté le 12 janvier 2022 par

Pour son deuxième long-métrage, film d’ouverture d’Un Certain Regard à Cannes en 2021, l’auteur du beau Diamant noir fait le pari du dépaysement. Une réussite. Onoda – 10 000 nuits dans la jungle est disponible depuis le 15 décembre en DVD et Blu-Ray. Texte par Sidy Sakho, Bonus par Elvire Rémand.

Onoda a beau n’être que le deuxième long métrage d’Arthur Harari (après Diamant noir, sorti en 2016), le cinéaste prend déjà l’option du pas de côté. Ce film de 2h45, tourné dans une forêt d’Asie avec un casting presque exclusivement japonais, a donc ceci d’intrigant au départ que son signataire est un jeune auteur français que l’on n’attendait pas là. Comme si le succès, la reconnaissance critique quasi unanime de Diamant noir, film de genre sortant déjà des sentiers battus du cinéma hexagonal, n’avaient pas suffi à Harari pour se motiver à enfoncer le même clou. Sans rien renier de son travail d’origine (ses courts et moyens métrages, notamment le beau Peine perdue, furent déjà très remarqués), il lui fallait voir plus loin, s’aventurer, avec un personnage a priori si loin de lui, dans une histoire plus grande que sa propre imagination.

Celle donc, véridique et inspirée de son autobiographie, du Lieutenant Onoda Hiro (incarné ici par deux acteurs, Endo Yuya pour la jeunesse, Tsuda Kanji pour la maturité), jeune Japonais recruté fin 1944 pour une mission secrète sur l’île philippine de Lubang. Formé par un certain Major Taniguchi (Ogata Issei), promettant de rester sur cette île le temps nécessaire en se refusant à mourir, il sera finalement confronté, les années passant, à l’absurdité de son engagement. On suit durant une première heure assez mouvementée le point de départ de cette mission, de l’échec préalable du pilote Onoda à l’épreuve du sacrifice – point de départ d’un rapport conflictuel avec son père – à sa confrontation aux bombardements américains sonnant la fin prochaine de la guerre, jusqu’à la réduction de la troupe à quatre hommes, notre héros, le caporal Shimada et les soldats de première classe Akatsu et Kozuka. Le film à vocation spectaculaire mue alors progressivement en chronique d’une adaptation au jour le jour en territoire inconnu.

Le quatuor, frappé par les assauts extérieurs, devient bientôt duo et c’est là que le film trouve peu à peu son vrai rythme, sa singularité. Non que les précédentes scènes de combat ne soient pas convaincantes, mais qui connaît les obsessions du cinéaste, la tonalité profondément mélancolique de ses récits, attendait de voir ce qu’il pouvait tirer de l’accalmie, le rapport d’une poignée d’hommes à un isolement en pleine jungle et une incertitude totale quant à l’avancée des événements historiques. Tout ce qui arrive en 1945, à commencer par la capitulation japonaise, sera appréhendé par Onoda et ses hommes avec méfiance et défiance. Le film, pour une bonne heure et demie, se voudra l’espace le plus adéquat à l’interprétation que eux seuls se font de la situation. Là se situe l’absurde et la beauté.

Difficile de ne pas penser au film référence du genre, Anatahan de Josef von Sternberg (1952). Harari lui-même confesse en interview que ce chef-d’œuvre de tragédie guerrière l’a, sinon directement inspiré, au moins hanté durant l’élaboration d’Onoda. Une femme, la seule du film, sera d’ailleurs un temps l’objet du regard et de l’attraction d’au moins un personnage, mais de manière plus furtive, moins centrale que dans Anatahan. Car au vrai, une fois le quatuor de fortune constitué, plus personne ne pourra intégrer le groupe, toute rencontre sera porteuse de mort, si possible très violente, d’un côté comme de l’autre. Il faudra attendre le dernier quart du film pour qu’enfin une figure extérieure soit accueillie par un Onoda désormais solitaire avec un semblant de pacifisme. Nous sommes désormais en 1974, soit trente ans après le début de sa mission. Onoda, quinquagénaire, tombe sur le campement d’un jeune touriste venu à sa rencontre (Nakano Taiga).

Ce dernier lui apprend la vérité sur sa situation, sa vie finalement sacrifiée. Après une longue séquence d’apprivoisement, il obtient de lui l’acceptation de renoncer à sa mission à la condition d’en recevoir l’ordre du responsable de celle-ci, le Major Taniguchi himself. La part mélodramatique du film s’installe ainsi peu à peu dans les dernières scènes, terribles, où les retrouvailles des deux hommes, sur fond d’une solennité militaire n’ayant plus lieu d’être, mettent en lumière de manière douloureuse le gâchis d’une existence. Ce surgissement de l’émotion dans le contexte d’une confrontation entre un homme et un père de substitution (ce que fut dès le départ Taniguchi pour Onoda, d’où, de toute évidence, qui lui ait fait une confiance aussi aveugle) est sans doute la preuve la plus évidente de la signature Harari. Sans être ouvertement antimilitariste, Onoda est en tout cas un film porté par la conscience d’un temps perdu au nom d’une pure projection mentale, une lubie successive à un formatage douteux. Cette négociation entre hypersensibilité et mise en perspective critique fait tout le prix de ce cinéma.

BONUS 

Retour sur la création d’Onoda : l’image, le scénario, la musique (93min). Ce bonus est divisé en trois tables rondes, toutes plus intéressantes les unes que les autres, lors desquelles les intervenants livrent leurs réflexions, en amont du film mais aussi pendant le tournage et lors du montage. On apprend ainsi qu’Arthur Harari désirait depuis longtemps tourner un film d’aventure et que c’est son père qui lui a glissé l’idée de l’histoire du soldat Onoda. Il s’est ensuite inspiré des écrits de Joseph Conrad, Robert L. Stevenson et Jean Giono. Le tournage, quant à lui, s’est déroulé au Cambodge pour des raisons de coproduction. En termes de mise en scène et de photographie, l’équipe désirait éviter l’effet « carte postale » de la jungle tropicale mais souhaitait également diversifier les couleurs et amener des tons froids. Un grand travail a été mené lors de l’étalonnage pour retrouver du grain et amener une sorte de sensualité. La musique, élément essentiel du film, a été composée par des musiciens italiens, leadés par Andrea Poggio, qui a ensuite collaboré avec l’équipe française. Son objectif était d’arriver à une forme d’universalité, qui pouvait exprimer la respiration intérieure du personnage principal.

Conversation avec les comédiens Tsuda Kanji et Endo Yuya (38min). Les acteurs et réalisateur échangent et se posent mutuellement des questions sur les interprétations possibles du film. Les acteurs reviennent à leur rapport à la figure d’Onoda, presque considérée comme mythique au Japon et du défi que peut représenter l’interprétation de ce rôle. Tsuda et Endo ajoutent que leur carrière a pris un nouveau tournant au Japon, suite à ce tournage.

Court-métrage La Main sur la gueule (54min) : réalisé en 2007, ce court suit les retrouvailles quelques peu mouvementées d’un père et son fils, accompagné de sa petite-amie, en pleine campagne française. La longueur de ce court, qui se situe à la limite du moyen métrage, permet à la tension de s’installer et au malaise de naître. La problématique père-fils, au cœur du personnage d’Onoda, est déjà visible dans ce court, intense, qui se tend au fur et à mesure jusqu’à… la main sur la gueule.

Court-métrage Peine perdue (36min) : réalisé en 2013, ce court se déroule en fin d’après midi au bord d’une rivière, où a lieu un concert près de l’eau. L’étrange Rodolphe remarque Alex, jeune homme timide qui n’a d’yeux que pour Julia, une jeune parisienne en vacances. Rodolphe entreprend de l’aider, à sa manière. Dans ce cadre champêtre et bucolique se cache en réalité un véritable jeu de dupes orchestré par Rodolphe, pour qui « l’éducation sentimentale » d’Alex semble être un amusement. Mais, plus Rodolphe et Alex se rapprochent, plus l’ambiance s’assombrit et devient pesante.

Court-métrage Des Jours dans la rue (30min), en exclusivité Blu-Ray : un homme, Christian, interprété par Christian Chaussex (que l’on retrouve en père de famille dans La Main sur la gueule), erre dans Paris, à la recherche d’un travail. On devine qu’il ne vit pas dans la rue mais on ne voit que marcher, inlassablement, dans les rues parisiennes. La caméra est distante, presque documentaire : elle suit cet homme, ses rencontres, ses désillusions, jusqu’à un coup de fil désespéré à sa mère, qu’il souhaite revoir.

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari. France, Japon, Allemagne, Belgique, Italie, Cambodge. 2021. Disponible en DVD et Blu-Ray le 15/12/2021 chez Le Pacte