C’est après bien des rebondissements que Aya et la sorcière, le dernier long-métrage de Miyazaki Goro, arrive finalement en France sur la plateforme Netflix. S’il n’aura finalement pas le droit à un passage en salles, on ne s’en lamentera guère puisque le film s’avère décevant tant par la forme que par le fond.
Se faire adopter, n’est-ce pas censé être le rêve de tout orphelin ? Loin de là : pour Aya, ce couple étrange et antipathique venu la chercher l’arrache à ses amis et à l’orphelinat sur lequel elle régnait du haut de son espièglerie. Pourtant, elle se rend vite compte que ce nouveau foyer cherche moins une fille qu’une assistante, car sa nouvelle « mère » Bella Yaga exerce l’étonnante activité de sorcière. Aya décide donc de passer un marché avec cette dernière : elle acceptera de se plier à ses ordres à condition qu’elle lui apprenne la magie. Ce faisant, elle s’aventure sans le savoir sur la piste de ses origines.
Inspiré du livre éponyme de Diana Wynne Jones (à qui l’on devait déjà le roman à l’origine du Château ambulant de Miyazaki Hayao), Aya et la sorcière est le troisième film de Miyazaki Goro. Cependant, il a surtout fait parler de lui en tant que première incursion de Ghibli dans l’image de synthèse, tranchant avec l’identité visuelle historique du studio. Pourtant, si le résultat se traduit par une déconfiture, ce n’est pas tant du fait de la technique d’animation choisie que d’un choix déconcertant de focus narratif, qui laisse cruellement sur sa faim.
Dès la publication des premières images, des sourcils se sont levés : l’incursion de Ghibli dans la 3D n’était pas du goût de tous, pour ne pas dire de pas grand-monde. Exit, donc, la 2D élégante et fourmillante de poésie jusqu’alors indissociable de ses productions ; place à un exercice technologique dont le résultat semble curieusement désincarné. C’est qu’en dépit de sa réputation, il est évident que le studio japonais est loin d’avoir la force de frappe de l’industrie américaine, que ce soit en termes de budget ou d’expertise dans le domaine des images de synthèse. Aya et la sorcière souffre par conséquent des mêmes maux qui ont accompagné la transition vers la 3D de bien d’autres œuvres avant lui : décors sans vie, textures lisses, rigidité des personnages, manque global de détails et de fluidité. Il faut, certes, bien commencer quelque part, mais quand l’œil du spectateur a déjà été éduqué par DreamWorks, Pixar ou Illumination Mac Guff… l’atterrissage est rude.
Pour autant, la direction artistique n’est pas dépourvue de bonnes idées. L’aspect « pâte à modeler » des personnages colle étonnamment bien au ton enfantin et malicieux de l’aventure, et donne une forme de cohérence à la raideur de l’animation. Ainsi, si le character design peut désarçonner au premier abord, il finit par se fondre dans l’intrigue et à participer à la mise en valeur de la personnalité des protagonistes. Il n’est d’ailleurs pas désagréable d’avoir une héroïne haute en caractère, dont les moues et facéties rythment la narration, et si elle peut paraître quelquefois agaçante en assumant pleinement un côté « sale gosse », s’en dégage avant tout un sentiment de fraîcheur et de modernité. Paradoxalement, c’est peut-être même précisément l’immaturité dont elle fait preuve qui lui permet de tenir tête à ses parents adoptifs aux inquiétants us et coutumes et à prendre son destin en main face à la sévérité et au dénigrement de Bella Yaga.
Malheureusement, les enjeux ne vont guère plus loin que le récit de la cohabitation chaotique et de l’apprivoisement mutuel entre Aya et la sorcière. Il est certain que l’on est bien loin de l’ampleur narrative de Princesse Mononoké ou de Le Voyage de Chihiro, mais l’on aurait pu s’accommoder de la dimension anecdotique du scénario pour simplement apprécier ce qu’il avait à offrir de légèreté et d’humour. Cependant, là où le bat blesse, c’est que le film passe son temps à faire de fausses promesses, nous laissant dans l’attente d’un dénouement qui ne nous sera jamais donné. La première scène nous montre en effet la mère biologique d’Aya, en fuite, la laissant devant l’orphelinat en promettant de revenir la chercher. Tout au long de son séjour chez Bella Yaga, la curiosité d’Aya l’amène sans qu’elle le sache à découvrir le passé de sa mère, et quand celle-ci réapparaît enfin et sonne à la porte, le générique vient clore l’ensemble abruptement.
On peut certes voir un intérêt dans le fait de mettre en scène ce qui n’est, en somme, qu’une parenthèse dans le destin d’Aya, et à ne pas élucider tous les mystères qui sont saupoudrés sur sa vie. Alors que l’on montre régulièrement du doigt l’infantilisation des spectateurs dans la tendance des grosses productions à être démonstratives et explicatives à l’excès, laisser le soin au public de répondre lui-même aux questions restées en suspens et d’imaginer la suite qu’il souhaite pourrait être une démarche des plus pertinentes. Pour autant, rien dans l’ambiance ou le traitement de l’intrigue ne laisse présager d’un tel recul vis-à-vis du sujet, qui semble bel et bien devoir être pris au premier degré, et qui met ainsi patiemment en place des codes qu’il ne respectera pas dans son dénouement, ouvrant des portes pour ne jamais les refermer. La sensation est de n’avoir vu qu’une longue introduction, et que le scénario devrait commencer au moment où il s’achève.
En fin de compte, si les choix artistiques ont fait couler beaucoup d’encre, et que l’exécution n’est pas à la hauteur de ce que l’on aurait pu espérer, il parvient néanmoins à s’en dégager un certain caractère dans lequel on peut se laisser couler une fois passée l’éventuelle réticence initiale. Toutefois, c’est bien sur la longueur que se met en place la véritable déception d’Aya et la sorcière, celui-ci esquissant des enjeux qui seront en fin de compte à peine effleurés, et interrogeant sur les raisons qui ont poussé Miyazaki Goro à vouloir raconter cette histoire en premier lieu.
Lila Gleizes
Aya et la sorcière de Miyazaki Goro. Japon. 2020. Disponible sur Netflix.