VIDEO – Angel Guts: Red Porno de Ikeda Toshiharu : Ero City

Posté le 8 février 2020 par

Le 17 décembre est sorti chez Elephant Films le magnifique coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon. Tous les films sont passés à la loupe eastasienne. C’est au tour du film Angel Guts: Red Porno réalisé par Ikeda Toshiharu !

Pour aider une collègue qui demande à être remplacée, une vendeuse dans un grand magasin participe à une revue photo pornographique dans des positions de bondage. Sa plastique ne laisse pas indifférent les lecteurs et le numéro est rapidement épuisé. C’est à ce moment que plusieurs choses inquiétantes arrivent dans sa vie : une relation toxique avec son patron, un pervers qui l’appelle en pleine nuit et un habitant du quartier qui est obsédé par ce numéro de la revue. Ce dernier finit par rencontrer son modèle, notre héroïne, par hasard, une nuit de pluie diluvienne…

Replaçons l’œuvre dans son contexte : Angel Guts est une série de 9 films produits entre 1979 et 1994, principalement par la Nikkatsu, et elle est l’adaptation d’un manga d’Ishii Takashi. La franchise rejoint donc d’autres œuvres-sœurs des années 1970 adaptées de bande dessinées japonaises, où la violence et la crudité étaient de mise, telles que Lady Snowblood avec Kaji Meiko et Baby Cart. Red Porno est le quatrième opus de la série de films.

En 1981, le Roman Porno a dix ans. La Nikkatsu ne semble pas délaisser le genre, aussi mauvaise réputation a-t-il eu, car plus que jamais, les réalisateurs ont les moyens d’effectuer un travail d’orfèvre sur ces œuvres érotiques. C’est le cas d’Angel Gut: Red Porno, réalisé d’une main de maître par Ikeda Toshiharu. La photographie, le choix des plans et des mouvements de caméra se montrent sophistiqués, racés. Cela vaut pour les séquences érotiques, que ce soient les séances de photographie, brutales et bestiales, comme les scènes de masturbation. La mise en scène est tellement fine qu’on oublierait presque qu’on assiste à un film censuré sur les parties du bas du corps. Au-delà de cette case forcément à cocher, le film use de plans percutants dans ses moments les plus tendus, par exemple lorsque le voisin obsédé par la revue attrape le bras de l’héroïne sous une pluie battante, avec même une vue du dessus où la pluie est vraiment magnifiée, comme un tourbillon sauvage et violent. De part et d’autre, le réalisateur insère des plans avec une lumière rouge menaçante, rendant littéral le sous-titre du film, mais aussi pour faire ressentir la violence ambiante. On pense aussi à la scène où un personnage prend un coup de feu : simple, efficace, cinglante.

Parsemé de personnages frustrés et obsédés, tantôt beaux-parleurs et manipulateurs – à l’image du patron, tantôt paumés et primaires – le voisin obsédé, le film nous propose une plongée dans une ville ultra-urbaine, dominée par ses pulsions primaires, où le danger comme le désir se trouve à chaque coin rue, chaque petit appartement, chaque rebord de fenêtre. Angel Guts: Red Porno est bien un film de mise en scène, qui veut montrer la beauté d’une image dans la laideur de tout un microcosme, celui des nuits nippones. Et à ce titre, la fin, de toute beauté, montre peut-être que la beauté naît d’une rencontre dans les règles de l’art. Le regard complice que s’échangent les deux personnages est l’un des rares faisceaux de lumière du film. Sous le masque du vice généralisé, la poésie s’installe, mais il est trop tard… Angel Guts: Red Porno est telle une tragédie grecque, un petit monde, celui de la cité japonaise, où s’affrontent des personnages qui veulent satisfaire leur désir, et où le semblant de bonne âme s’éteint sous la crasse.

Avec cet opus de la saga, Ikeda Toshiharu poursuit les idées des grands réalisateurs des Roman Porno. Loin de se contenter d’aligner les scènes érotiques, il scrute d’une manière viscérale les obsessions et les frustrations des Japonais en matière de sexualité, et leur rapport à la pornographie. L’adage que tous les films sont politiques prend son sens ici aussi, de façon évidente. Le film présente d’ailleurs une nouvelle dimension lorsque la foule s’en prend à celui qui paraît le plus louche dans cette population. Le déviant est innocent et les gens comme il faut deviennent meurtriers. C’est en somme une intention dans le sillon de L’Extase de la rose noire de Kumashiro Tatsumi, dans lequel un artiste se perd dans sa marginalité et commet une manipulation abjecte, car à l’intérieur de ce monde vérolé, il n’y a pas de lumière.

Maxime Bauer.

Angel Guts: Red Porno d’Ikeda Toshiharu. Japon. 1981. Inclus dans le coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon chez Elephant Films le 17/12/2019.