Le 17 décembre est sorti chez Elephant Films le magnifique coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon. Tous les films sont passés à la loupe eastasienne. C’est au tour de L’Extase de la rose noire réalisé par Kumashiro Tatsumi !
Enceinte, l’actrice d’un film pornographique insiste pour arrêter son tournage. Le réalisateur, un artiste illuminé, part en quête d’une nouvelle égérie avec laquelle il entend fabriquer un art nouveau… Pour ce faire, il va se montrer particulièrement manipulateur.
Dans L’Extase de la rose noire, Kumashiro s’attache à nous montrer le parcours d’un artiste qui se donne corps et âme à son idée, aussi absurde soit-elle. Afin d’obtenir l’image érotique qu’il souhaite, inédite et basée sur des procédés de mise en scène originaux, il va complètement manipuler une femme rencontrée au hasard. La quasi-entièreté du film est centrée sur la lente emprise qu’essaie d’obtenir le personnage du réalisateur sur cette femme, provoquant tout d’abord le malaise. Le réalisateur use de tous les subterfuges pour rendre confuse la pauvre demoiselle : mensonge, chantage… Il finit par atteindre son but, sa personnalité étant tellement déroutante et magnétique, que son charabia parvient à la rendre dépendante.
Cet érotisme crasseux, dérangé et dérangeant, Kumashiro parvient à en faire un objet de cinéma attrayant grâce à une triple réussite : une mise en scène, une narration et une écriture de qualité, des items qui s’alimentent les uns aux autres. Ainsi, lorsque l’on commence à peine à saisir la complexité de ce réalisateur fou, c’est à ce moment que Kumashiro fait intervenir une scène de sexe trouble, une séquence charnière où tout le film bascule, car c’est à ce moment précis que l’intention du réalisateur se dévoile. En peignant des artistes, des pornographes, des acteurs et des actrices, évoluant dans un univers purement libidineux, ne vivant que pour cela, Kumashiro montre l’envers du monde, celui que le société d’apparence ne veut pas voir. Tous les protagonistes du film sont des sortes de laissés-pour-compte. Ils ne viennent de nulle part en particulier, ils sont jeunes, pas de la haute classe, voire carrément prolétaires… Mais surtout, ils font leur film seuls, en purs autodidactes. On reconnaît le même type de héros que ceux des Amants mouillés, du même auteur, également ressorti dans le coffret Roman porno.
Là où Les Amants mouillés peine à convaincre par ses qualités narratives, c’est l’inverse pour L’Extase de la rose noire. Le film fonctionne comme un gigantesque tunnel d’une heure quinze, par lequel le personnage principal intervient sur le chemin de sa victime, en ne cessant de faire avancer ses théories abracadabrantesques comme autant de verrous à faire sauter dans l’esprit de la jeune femme. En termes de cinéma, le processus est fascinant pour le spectateur. Si au début du métrage, ce héros apparaît comme un hurluberlu, la première scène dans laquelle il parvient à coucher avec sa victime en la filmant (celle sus-mentionnée comme charnière) change la donne. Cette séquence remet en question nos repères : comment parvient-il à son but de cette manière ? Sans doute la réponse est ailleurs : le monde n’est pas aussi propre qu’on le pense. Finalement, cette femme semble embrasser sa carrière pornographique avec autant de gaieté que d’amour pour l’artiste. Nous touchons du doigt la sexualité débridée japonaise telle que nous en connaissons la réputation.
On reconnaît aussi de ce précédent film qu’est Les Amants mouillés, la volonté de montrer l’envers du cinéma, de montrer ses éléments de l’ombre. Le milieu du cinéma apparaît alors comme un reflet de la société. Il y a ceux qu’on voit – à l’écran ou dans la vie active – et ceux qu’on ne voit pas – les marginaux et les techniciens. Il y a aussi le cinéma que tout le monde va voir et l’autre cinéma, comme les films pornographiques. Avec Kumashiro, le Roman porno se regarde et le cinéma se réfléchit lui-même. À travers cette démarche méta, Kumashiro se dresse en artiste accompli. Dans quelle mesure se compare-t-il à son héros ? Peut-être dans l’idée de déchéance : son personnage échoue dans les qualités humaines, bien qu’il devienne l’artiste qu’il a rêvé d’être. Kumashiro fait partie, lui, des réalisateurs qui ont donné sa grandeur aux Romans porno là où de nombreux auteurs de la Nikkatsu n’ont pas voulu y être associés par crainte de voir leur réputation entachée. La société des apparences et de l’envers donc…
Maxime Bauer.
L’Extase de la rose noire de Kumashiro Tatsumi. Japon. 1975. Inclus dans le coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon chez Elephant Films le 17/12/2019.