La comédie romantique Lost and Found in Tokyo de Cai Jieling nous donne l’occasion de rencontrer l’actrice hongkongaise Michelle Wai. Elle porte entièrement un film sur la corde raide du kitsch à travers cette histoire de jeune femme ayant quitté brusquement Hong Kong pour Tokyo afin de se remettre d’une rupture douloureuse. L’imagerie pop fait parfois mouche ou agace à force d’excès d’effet suranné mais l’énergie du film est indéniable. La communauté d’excentrique se formant autour de l’héroïne dans une pension constitue l’atout du film avec parfois des envolées absurdes rappelant une version live du manga Maison Ikkoku de Takahashi Rumiko. La gravité et la mélancolie qui gagnent progressivement le film montrent la superficialité de l’héroïne s’estomper et se prolonger aux autres protagonistes. Michelle Wai transcende les excès d’hystérie de l’ensemble dans les moments de comédie et se montre captivante quand le ton se fait plus douloureux. Une prestation touchante qui valait bien un entretien.
Vous avez démarré votre carrière comme mannequin. De nombreuses célèbres actrices de Hong Kong comme Maggie Cheung ou Brigitte Lin ont débuté ainsi. L’envie de jouer était présente chez vous dès le départ ou est venue de proposition quand vous étiez mannequin ?
J’avais fait des castings auparavant mais j’ai vraiment eu l’opportunité de jouer quand j’ai commencé ma carrière de mannequin.
Et justement le parcours de ces grandes actrices comme Maggie Cheung ou Brigitte Lin est-il un exemple pour vous ?
En fait vous m’apprenez quels ont été leurs débuts, c’est la première fois que j’en entends parler. Et évidemment, si je vous pouvais suivre la même voie, ce serait magnifique.
Vous avez joué dans beaucoup de comédie et avez souvent choisi des rôles excentriques comme celui de Lost and Found in Tokyo. Etait-ce une manière de changer l’image froide qui peut être associée aux mannequins ?
Je veux toujours essayer différents types de personnages. J’ai toujours voulu jouer dans des comédies sans en avoir l’opportunité mais je suis à un stade de ma carrière où je peux essayer ce que je veux.
Votre rôle dans le film vous montre passer d’un jeu outrancier à un jeu plus retenu, plus profond. Dans la vraie vie, avez-vous une personnalité plutôt sérieuse ou délurée ?
Je peux parfois être complètement folle et d’autres fois très sérieuse, mais j’élimine cette facette-là quand je fais un film pour laisser parler ma facette délurée.
Sous l’approche humoristique, le film évoque de nombreux sentiments et expériences authentiques pour le spectateur : une rupture douloureuse, se sentir seul dans une ville étrangère, vivre en communauté. Avez-vous cherché dans certaines de vos propres expériences pour le jouer ? Le changement de votre personnage est très touchant.
Ce n’est pas seulement pour celui-ci mais aussi l’ensemble de mes rôles, je crée entièrement de nouveaux personnages.
Tout comme le vôtre, les autres personnages du film passent de cet aspect très outrancier à une certaine gravité. Je pense au personnage du loueur qui gagne en profondeur avec son épouse décédée à Fukushima. Cette transition du délire à une forme de retour au réel a-t-il été un de vos intérêts à jouer dans le film ?
J’ai un tempérament très « up and down » passant facilement de la joie à la tristesse et donc ces changements de ton étaient très intéressants. Ça a contribué à choisir ce rôle.
L’esthétique du film reflète ces ruptures de ton avec une imagerie très pop, très colorée, notamment dans la première partie. Ce contexte facilitait-il justement une prestation plus excessive ?
C’était l’aspect le plus difficile pour participer au film. Ces jeunes réalisateurs ont une esthétique assez kitsch et j’ai dû forcer ma nature pour fondre mon jeu à ce visuel.
Quels types de personnages aimez-vous interpréter en général ?
J’ai à chaque fois des envies différentes, je me réveille et pense à jouer dans un film romantique, un mélo, ça change à chaque fois, je ne veux pas me fixer.
Mais n’avez-vous pas un rôle rêvé ?
En ce moment j’ai très envie de jouer dans un film d’action. Pouvoir tuer quelqu’un (rires), me battre.
Le film se déroule à Hong Kong et au Japon. D’après vous, que dit le film sur les différences entre ces deux lieux ? Et de manière générale qu’en pensez-vous ?
Tout est plus acceptable à Tokyo. Tout doit avoir un sens à Hong Kong. A Tokyo vous pouvez soudainement vous mettre à marcher pieds nu, à Hong Kong vous passeriez pour une folle. A Hong Kong vous devez avoir une raison de faire chaque chose, à Tokyo non.
On le ressent dans le film où l’excentricité est plus acceptée quand votre personnage arrive à Tokyo alors qu’il est repoussé par son fiancé à Hong Kong.
Oui dans le film je peux parler en mandarin, me faire comprendre et répondre en japonais sans que cela pose problème. Si on faisait la même histoire se déroulant à Hong Kong, cela n’aurait pas de sens pour nos spectateurs. Au Japon on peut ajouter des éléments fantaisistes sans explication. C’est pourquoi j’aime tourner à Tokyo alors qu’à Hong Kong je ne suis pas toujours aussi à l’aise.
Nous demandons à chaque artiste de nous donner le nom d’un artiste ou le titre d’un film qui les aurait touché/inspiré, quel serait le vôtre ?
Nina Paw récemment dans le film hongkongais Insanity (2015) traitant des désordres mentaux m’a beaucoup impressionnée.
Propos recueillis à Naha par Jérémy Coifman et Justin Kwedi le 21/04/2018
Traduction : Julia Aimi.
Remerciements à Aki Kihara, Shizuka Murakami et Momoko Nakamura ainsi qu’à toute l’équipe du festival d’Okinawa.
Lost and Found in Tokyo de Cai Jieling. Japon. 2018.
Présenté au 10eme festival international du film d’Okinawa. Toutes les informations ici.