I wish I knew, histoires de Shanghai de Jia Zhangke (Cinéma)

Posté le 19 janvier 2011 par

En une poignée de films entre fiction et documentaire, Jia Zhangke s’est imposé comme le cinéaste majeur de la sixième génération de cinéaste chinois. 24 City avait marqué en 2009 une forme d’aboutissement formel et émotionnel de son cinéma. I wish I knew, histoires de Shanghai complète le geste sur un mode peut être plus mineur, mais n’en reste pas moins un jalon d’un cinéma essentiel. Par Victor Lopez.


l’histoire : Shanghai 2009. Alors que la modernité architecturale vampirise jusqu’au moindre recoin de la ville, la transformant en chantier gigantesque où les ruines côtoient les immeubles flambants neufs, des personnalités racontent leur rapport à celle-ci. Cinéastes, écrivains, fils de capitalistes, d’ouvriers ou de gangsters, ils évoquent leur passé et dressent un portrait de l’histoire contemporaine de Shanghai, des années 30 à aujourd’hui.

Ce qui frappe d’emblée lorsque l’on pénètre dans I wish I knew, c’est sa pure force d’évocation graphique. La maîtrise formelle de Jia Zhangke atteint avec ce film un degré de perfection telle que chaque image, chaque plan, chaque enchaînement acquiert une dimension symbolique et métaphorique qui ne peut qu’entrainer l’admiration. Ce sentiment de plénitude est cependant rapidement parasité par une impression de trop plein, qui empêche le film de prétendre aux sommets de Jia comme The World, Still Life ou 24 City. Trop d’intervenants, d’informations, de thématiques éparses, auxquels l’ampleur de la mise en scène n’arrive pas toujours à donner la cohérence et l’unité qui ferait de I wish I knew le chef d’œuvre sur l’histoire contemporaine de Shanghai. Cela n’empêche pas le film, de par son inscription dans le geste artistique plus vaste de Jia Zhangke, qui semble s’être donné la consigne d’être le témoin méticuleux des transformations et de la modernisation de son pays, de continuer une œuvre importante, nécessaire, et passionnante.

Si le but avoué du cinéaste avec ce film est de sensibiliser la jeunesse de son pays à l’histoire contemporaine de la Chine, en allant à la rencontre de ceux qui peuvent la raconter loin de la propagande officielle, cet aspect didactique est celui qui nous touche peut-être le moins en tant que spectateur occidental. Les récits sont souvent touchants, parfois passionnants, mais leur accumulation fait que l’on se perd parfois dans leur densité. A l’inverse, les virées atmosphériques, qui accompagnent la fantomatique Zhao Tao dans des voyages qui semblent être autant géographiques dans les rues de la ville que temporels dans la mémoire de ses habitants, amènent le film sur un autre plan et touchent durablement.

Les plans, très doux, de Jia Zhangke sur les gens qui peuplent la ville touchent aussi frontalement par leur sincérité et participent presque plus à raconter l’histoire de la ville que tous les discours du film. Cette interaction entre un imaginaire qui perce les images documentaires est réellement ce qui inscrit le film dans la filmographie de l’artiste et en fait bien plus qu’un simple reportage. L’autre élément qui fascine dans le film est que cette inscription du passé dans la mémoire collective qu’enregistre Jia se fait le plus souvent à travers l’enregistrement cinématographique.

Des images, magiques, de Suzhou River de Lou Ye, que Jia confronte aux siennes en filmant exactement le même lieux 10 ans plus tard, au choix des intervenants (de Rebecca Pan à Hou Hsiao Hsien), le cinéma est partout dans I wish I knew. Un des témoignages les plus symptomatiques est ainsi celui d’un homme mandaté par le Parti pour superviser les prises de vue d’ Antonioni lors de son tournage de La Chine en 1972. Il s’énervait face au réalisateur qui ne filmait que des choses « arriérées » et donnait selon lui une mauvaise image du pays (le film fut d’ailleurs jugé comme anti-chinois par le gouvernement). Antonioni, au contraire, opposait à cela qu’il trouvait que « tout était beau ».

Pendant ce temps, Jia Zhangke répond en filmant en silence quelques vieux chinois buvant dans un café perdu on ne sait où (en fait dans un des lieux filmés par le cinéaste italien). Se dégage de cette fascination pour ce que l’on pourrait considérer comme arriérée une beauté plastique et mélancolique conférant toute sa force à un film qui se fait alors bouleversant, tant la pureté du geste cinématographique de Jia n’a pas de prix.

Victor Lopez.

Verdict :

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