Kinotayo 2015 : Fires on the Plain de Tsukamoto Shinya

Posté le 5 janvier 2016 par

Fires on the Plain est le dernier film en date de Tsukamoto Shinya. Projeté au Festival Kinotayo, il a obtenu le prix de la critique et le prix Canon de la photographie. Film mûri depuis de longues années, il s’agit de l’adaptation d’un roman sur la guerre qui opposa le Japon aux Philippines dans les années 1940. Il s’attache plus particulièrement à la bataille de Leyte de 1944, une lourde défaite pour le Japon, fait historique déjà porté à l’écran en 1959 par Ichikawa Kon.

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Toujours brut de décoffrage quand il s’agit d’aborder la violence, Tsukamoto y va sans fioritures : en quelques minutes, le spectateur est plongé au cœur de la jungle philippine aux côtés de l’anti-héros (interprété par le réalisateur lui-même), un frêle écrivaillon enrôlé dans l’armée et confronté à la cruauté et l’absurdité de la guerre. Rejeté par ses propres compagnons d’arme, il erre dans la jungle et se retrouve vite nez à nez avec un autochtone assez hostile à l’occupant japonais. Fires on the Plain se révèle rapidement être un brûlot anti-militariste : les Japonais sont dépeints comme des bêtes sauvages en pleine déroute. Ils sombrent presque tous dans la plus grande cruauté dans le seul but de survivre.

Les effets spéciaux sont limités au strict minimum : quelques explosions par-ci par-là. En raison d’un budget réduit, Tsukamoto a réduit son film à l’essentiel : les scènes ont été tournées aux Philippines et en studio au Japon. Cela donne un côté naturaliste qui sied bien au drame qu’est Fires on the Plain.

Fires on the Plain s’inscrit pleinement dans la filmographie de Tsukamoto, à la différence près que l’univers urbain des films des années 80 laisse place à une jungle luxuriante – mais loin d’être paradisiaque. Il n’est point de Paradis chez Tsukamoto. C’est un voyage au bout de l’enfer ponctué par plusieurs scènes marquantes : la déambulation de l’anti-héros dans un village abandonné, le passage d’une colline en pleine nuit par des dizaines de soldats japonais aux abois, et les rapports plus qu’ambigus entre l’anti-héros et ses compagnons d’infortune. Comme dans ses premières œuvres Tetsuo ou Bullet Ballet, le réalisateur s’attache à montrer un processus de déshumanisation et la création de véritable « machines de guerre ». Ce sont, certes, des machines de guerre en fin de service dans Fires on the Plain.

Ce film de guerre enrichit également la dimension historique de l’œuvre de Tsukamoto : le pourfendeur du Japon des années 80 de Tetsuo revient aux origines du Japon de l’après-guerre : une défaite sanglante au cœur de l’horreur du Pacifique.

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Une comparaison s’impose entre le film de Tsukamoto et la première adaptation du roman original par Ichikawa Kon en 1959. On y trouve des points communs, notamment la déshumanisation des militaires – qui ressemble parfois à une zombification. La plus grande différence entre les deux films est la scène finale. Sans la dévoiler, on note que Tsukamoto est resté fidèle au roman tandis qu’Ichikawa avait délibérément choisi de s’en détacher. De l’aveu même de Tsukamoto, sa version de l’œuvre est totalement une adaptation du roman et non une variation de film d’Ichikawa.

Si la filmographie de Tsukamoto est quelque peu passée sous silence depuis une dizaine d’années en France, on peut se réjouir qu’un film comme Fires on the Plain connaisse une reconnaissance en festival (à Kinotayo mais aussi à Venise). Le réalisateur a même été très productif dans les années 2000, avec des films expérimentaux comme Haze ou plus grand public comme Nightmare Detective. C’est donc dans l’ombre et l’autofinancement qu’il continue sa carrière. Le relatif succès de Fires on the Plain au Japon (distribué dans 70 salles) lui permettra sans doute de réaliser prochainement un autre film. En 2016, Tsukamoto sera présent à l’affiche mais en tant qu’acteur dans Silence de Martin Scorsese.

Marc L’Helgoualc’h.

Fires On The Plain, de Tsukamoto Shinya. Japon. 2014. Présenté au festival Kinotayo en 2015.

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À lire également : notre interview de Tsukamoto Shinya.