Une adaptation soignée du beau Manga de Taniguchi Jîro. Peut-être un peu trop… Par Victor Lopez.
Projeté dans le passé, il va non seulement revivre son premier amour, mais aussi chercher à comprendre les raisons du mystérieux départ de son père.
Mais peut-on modifier son passé en le revivant ?
Parmi les nombreux prix décernés à Quartier Lointain, magnifique Manga de Taniguchi Jîro, celui de la “meilleure BD adaptable au cinéma” par le Jury BD du Forum de Monaco 2004 semble à la fois le plus incongru et le plus mérité. Incongru, cette appellation l’est tant elle désigne quelque chose de vague – “être adaptable” : on se demande bien ce que cela signifie pour une bande dessinée et on peut même douter que ce soit une qualité… A la lecture de l’œuvre, on est cependant happé par le découpage et la mise en scène de Taniguchi, qui arrive à donner une impression de durée suspendue à son album à travers un langage purement graphique, mais dont l’analogie la plus évidente est d’essence cinématographique. Ce n’était donc qu’une question de temps pour qu’un studio de cinéma acquière les droits du Manga et le transpose au cinéma. Et surprise, ce sont des européens et non des japonais qui ont les premiers tenté cette transposition.
Made in France
La première interrogation que se pose le lecteur du Manga lorsqu’il apprend que c’est le belge Sam Garbarki, réalisateur d’Irina Palm, qui va adapter Quartier lointain est de savoir comment tout l’arrière plan très japonais de l’œuvre va se retrouver transfiguré en France. Le récit fantastique du mangaka adopte un regard rétrospectif sur le Japon d’après-guerre, décrit à travers le double point de vu de l’adolescence insouciante et de l’adulte qui y décerne les failles en la revivant (la fuite du père est une conséquence d’événements qui ont eu lieux pendant la guerre). Là repose la force du film : le travail d’adaptation est impeccable, et très intelligent d’un point de vu scénaristique. La transposition du Japon d’après guerre dans un environnement français fonctionne à merveille, et fait d’autant plus ressortir le caractère universel de l’œuvre de Taniguchi. Car Quartier lointain est avant tout un récit personnel, celui d’un homme qui fait le point sur sa vie en comprenant les choix de son père. Cette histoire est bouleversante dans la bande dessinée, dans laquelle elle émeut justement son lecteur. Il n’en va pas exactement de même avec le film. L’adaptation souffre malheureusement d’un classicisme qui fait souvent écran avec l’émotion que l’on devrait ressentir à sa vision. La travail est trop appliqué, trop sage dans sa tentative de recréer la claire tranquillité du manga. Heureusement, les compositions de Air permettent quelques belles envolés plus atmosphériques.
La tête dans les images
Là où le film reste cependant intéressant, c’est dans la convocation cinéphilique qu’il met en œuvre, peut-être malgré-lui, alors que la bande -dessinée semblait dépourvu de citations et de références. L’image cinématographique en appelle ici d’autres, et, en premier lieu, celles que l’œuvre de Taniguchi a déjà infusé de sa force. Jaco Van Dormael, qui ne cache pas son admiration pour l’œuvre originale, avait ainsi placé au centre de son Mr. Nobody une scène de gare, dans laquelle un petit garçon voyait son père l’abandonner, qui reprend cases à plans une des scènes finales du manga. On retrouve de nouveau dans le film de Garbarski cette scène, de manière plus linéaire et épuré que chez Dormael. Mais c’est surtout la thématique du film qui appelle d’autres métrages. La manière de poser la question “peut-on modifier le passé en le revivant ?” fait écho à toutes les thématiques américaines de la seconde chance, que l’on retrouve dans des récits comme le très beau Pegy Sue s’est mariée de Francis Ford Coppola (une femme divorcée se retrouve dans son corps de lycéenne et revit sa rencontre avec son mari), Code Quantum (et notamment l’épisode final, qui voit Sam Beckett basculer dans sa propre jeunesse) jusqu’au potache 17 ans encore ou un formidable épisode de The Twillight Zone : Walking Distance (S01E05, avec un homme qui voyage au cœurs de sa propre enfance).
Et alors que la bande dessinée apportait un regard neuf sur cette thématique par son ton et sa forme, le film pâtit plutôt de la comparaison avec les œuvres qui viennent avant lui. Dommage, alors que les intentions soient si louable, que le film perde à la fois en force émotionnelle, et en originalité face à son matériel de base. Dans les écarts entre le film et le manga se dessine pourtant quelque chose d’intéressant, notamment dans la conclusion, où la sensibilité du réalisateur se fait enfin sentir à travers une réappropriation complète de la morale de l’histoire. Cette touche arrive cependant un peu tard pour sauver le film, qui fait en l’état office de bon bonus un peu curieux au manga.
En résumé : Sam Garbarsky adapte Quartier lointain avec intelligence application, mais perd un peu en émotion et en originalité dans ce passage du 9ème au 7ème art.
Victor Lopez.
Verdict :
Quartier Lointain de Sam Garbarski est en salle le 24/11/2010.
L’œil de Laurence Kerhornou sur le film :