À l’occasion de la présence à Berlin du film vietnamien Small Father and Other Stories , East Asia a rencontré son réalisateur Phan Dang Di et son acteur Nguyen Ha Phong pour leur poser quelques questions sur leur collaboration, lors de la sortie française de leur précédent film Bi, n’aie pas peur !.
Qu’avez vous fait avant de réaliser Bi, n’aie pas peur! ?
Phan Dang Di: À l’âge de 18 ans, j’ai décidé de me lancer dans le cinéma. Je suis entré à l’école de cinéma de Hanoï pour une formation de scénariste. Après être sorti de l’école, j’ai travaillé au département de cinéma du Vietnam comme fonctionnaire. Maintenant, en dehors des mes activités professionnelles, je donne des cours d’Histoire du cinéma à l’université de Hanoï.
Il me semble que vous avez fait quelques court-métrages…
P.D.D: Mon premier court-métrage s’appelle Quand on a 20 ans. Il a été sélectionné à Venise mais il y a eu un problème avec la censure, donc on n’a pas pu y présenter une copie pelliculée. Il était juste présent dans une copie DVD. J’ai aussi écrit un scénario de fin d’études. Le film est sorti en France sous le titre Vertiges. Il a gagné un prix au Festival de Venise.
En parlant de Vertiges, c’est un projet que vous avez portez de nombreuses années. Pourquoi avoir laissé quelqu’un d’autre le réaliser ?
P.D.D: À l’époque, je venais de sortir de l’école de cinéma en tant que scénariste. J’étais tout jeune. Chuyên Bui Thac, le réalisateur de Vertiges, avait déjà fait un film avant et son court-métrage avait gagné un prix à Cannes en 2000. Il était donc déjà connu. À cette époque, le seul moyen de faire des films, c’était des aides ou un budget de l’Etat, donc ce film a été fait dans ce cadre. Et en plus, c’est un bon réalisateur !
Comment s’est présenté l’opportunité de faire Bi, n’aie pas peur! ?
P.D.D: Quand j’ai fini le scénario de Bi, n’aie pas peur !, c’était très difficile d’obtenir un budget qui vienne de l’Etat. La seule façon de trouver un financement pour le film, c’était de chercher à l’étranger. J’ai envoyé mon scénario au Festival de Pusan. Là-bas, j’ai gagné un prix, avec une prime, quelque chose comme 10 000 dollars. J’y ai rencontré le directeur de la cinéfondation à Cannes. Il m’a invité à participer à un atelier. J’y ai participé et j’ai rencontré le directeur du Festival de Berlin. Il m’a invité à envoyer le scénario. Là-bas, j’ai obtenu une aide de 10 000 euros. J’ai eu également 60 000 dollars d’investissements privés au Vietnam. Après, j’ai rencontré une productrice française d’Acrobates Films, Claire-Agnès Lajoumard. Elle m’a aidé à trouver des aides du Fonds Sud cinéma et elle a réussi à faire une prévente à Arte. C’est comme ça que j’ai eu suffisamment d’argent pour faire le film et j’ai également pu faire la post production à Paris.
Comment s’est déroulé le tournage ?
P.D.D: Le tournage a duré pendant presque 2 mois. Il y a beaucoup d’amis qui sont venus travailler avec moi. Chacun prend le film comme s’il était à lui. Bien sûr, c’était un premier film et on n’avait pas beaucoup d’expérience, donc il y a eu pas mal de problèmes, de maladresses. Mais chacun a donné le meilleur de lui-même, donc c’était super. A l’époque du tournage, il faisait très chaud, donc on était épuisé à la fin de la journée. Pour les acteurs, c’était un gros travail, je ne sais pas comment ils ont fait, mais ça s’est bien passé.
Justement, pour retranscrire la moiteur du film, comment vous y êtes vous pris ?
P.D.D: Le chef opérateur est un ami à moi, on a fait la même école. On a beaucoup parlé de la manière dont on allait filmer, et ce un an avant le tournage. On a décidé ensemble qu’il fallait tourner pendant l’été. C’est le moment le plus dur pour les tournages, mais on a besoin de ça pour avoir l’ambiance moite du film. Le chef op’ est quelqu’un de très sensible, et il a cette capacité de recréer une ambiance.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Nguyen Ha Phong: Il y a cinq ans, quand j’ai travaillé avec Chuyên Bui Thac au centre d’aide des jeunes cinéastes vietnamiens, j’ai produit le premier court-métrage de Phan Dang Di. Avant, je le connaissais déjà un peu pour avoir lu le scénario de Vertiges. Puis en 2003, avec Chuyên on a amené le projet, qui à l’époque s’appelait Paumé, au festival de Nantes, dans le cadre de l’atelier produit au sud.
Le rôle a été écrit pour vous ?
N.H.P: Non, il a été écrit comme ça. ll a fait un casting, puis un mois avant le tournage, il m’a invité à boire une bière avec le chef opérateur et la productrice vietnamienne. Ils m’ont donné le scénario et j’ai dit à Phan Dang Di que c’était très bon. Il m’a demandé de jouer, ce à quoi j’ai répondu: « Non, non, ça ne m’intéresse pas, par contre je peux donner un coup de main pour faire des choses derrière la caméra« . Puis, 10 jours avant le tournage, il est venu chez moi et m’a dit qu’il fallait que j’accepte ce rôle, car il n’avait pas trouvé d’acteur qui lui convienne. Si je n’acceptais pas de jouer dedans, peut-être qu’il n’y aurait pas de film. Deux mois plus tard, l’enfant qui joue dans le film allait reprendre l’école, ce qui voulait dire qu’il allait falloir attendre de nouveau un an avant de tourner. J’ai donc accepté.
Votre film traite du désir. Que cherchez-vous à inspirer au spectateur ?
P.D.D: Pour certains spectateurs, la manière dont j’ai abordé le désir dans le film peut embler assez abstraite. Même pour moi, c’est un sujet difficile à exprimer clairement. J’ai choisi des éléments comme des images, des métaphores, des symboles pour parler de cela. Ce film, pour moi, c’est un pari. En tant qu’enseignant de techniques d’écriture, je ne peux pas prendre son scénario comme exemple d’écriture : c’est un peu à part. La façon d’écrire ce scénario ou de mettre en scène ce film, pour moi, c’est comme un poème, qui dépend beaucoup de mes propres émotions, mes fantasmes ou mon imagination. Il n’y a pas vraiment de règle ou de technique.
C’est pour ça qu’après le tournage, pendant la post production, pour faire le montage des images, du son ou de la musique, ça a pris beaucoup de temps et on a dû réfléchir, expérimenter pour choisir la meilleure solution. J’ai eu beaucoup de chance, car mes amis, techniciens ou collaborateurs, sont des professionnels et ils sont très forts. Ils comprennent très bien le film et me comprennent aussi. Ce film, je l’ai créé, j’ai inventé le scénario. Mais après, il y a d’autres personnes qui ont participé en donnant leur force, leur énergie, leur âme et qui ont partagé tout cela avec moi afin de construire un beau film.
Vous parliez de symboles et de métaphores. Je voulais savoir ce qui signifie pour vous les objets (une feuille, une pomme…) que vous figez dans la glace ?
P.D.D: Les fruits ou les feuilles sont des objets naturels, très beaux et séduisants. Tout le monde a le désir de les toucher. Quand ils sont dans un bloc de glace, on pense qu’on peut les toucher, mais ce n’est pas le cas. Bi ne peut pas les toucher, son père non plus. Une fois qu’on les touche, ils sont déjà abimé. Certaines images sont liées à la douleur. Chaque fois qu’il pense qu’il peut toucher ces fruits ou ces feuilles, le personnage subit une douleur avant ou après. Là, c’est une situation très étrange pour moi, c’est quelque chose que j’ai ressenti dans la vie.
Votre film a été comparé à Yi Yi d’Edward Yang, notamment parce qu’il confronte différentes générations d’une même famille dont le point de vue d’un enfant. Est-ce une influence que vous revendiquez ?
P.D.D: Le film est basé sur mes propres expériences, mes observations de ma vie ou de celles des autres. Ce film n’est pas vu par les yeux d’un enfant. Bi est là, il fait partie du chemin de la vie d’un homme. Ce film est vu par un regard beaucoup plus large et objectif. Dans le film, le petit Bi voit seulement le côté flamboyant, le beau côté de la vie, mais il ne voit pas le revers du médaillon. Seuls les adultes peuvent voir le côté douloureux parce que c’est eux qui doivent le subir.
Et personnellement, votre regard serait lequel si vous étiez dans le film ?
P.D.D: Du côté des personnages masculins du film, sauf le grand-père. Sinon les autres, c’est moi. Parce que j’ai été petit, puis jeune, et maintenant, je suis dans l’âge du père de Bi. La vieillesse est le seul état que je n’ai pas encore atteint. Je suis encore célibataire, mais en observant les situations des autres familles, j’ai pu faire l’expérience de leur situation. Quelques fois, mes amis m’ont raconté que, sans vraiment savoir pourquoi, subitement ils en ont marre de leur famille et ne veulent plus rester avec. J’ai utilisé cela dans le film.
Comment vous êtes-vous approprié le rôle ? Quelle a été votre approche ?
N.H.P: Moi aussi j’ai utilisé mes propres expériences. Quand j’ai lu le scénario, j’ai essayé de me souvenir des moments les plus noirs, les plus frustrés de ma vie. En fait j’ai pensé à mon père. Quand j’ai joué ce rôle, c’est comme si je me mettais dans un autre corps. Cette personne est très proche de moi mais ce n’est pas moi. Quelque fois j’ai l’impression d’observer quelqu’un d’autre et je suis content de ça. C’est un peu une sorte de perversion. Parce qu’à la fois on doit jouer, mais on doit aussi observer la méchanceté ou le côté pervers de ces personnes. Le dernier jour du tournage, quand ma prestation était terminée, j’ai tout d’un coup eu des frissons, comme l’impression qu’un fantôme était sorti de mon corps. J’étais vraiment soulagé.
Quel effet votre sélection à la Semaine de la critique a eu sur la vie du film ?
P.D.D: C’était très important pour moi et surtout pour le film. Avant, il n’y avait jamais eu de film vietnamien sélectionné à Cannes. Le film a eu des problèmes avec la censure. Avoir des prix, ça a aidé la sortie du film. S’il n’y avait pas eu ça, je pense que le film ne serait jamais sorti au Vietnam. En plus, la Semaine de la critique a fait un très bon travail. Il y avait très peu de films sélectionnés, seulement sept. Suite à cela, il y a eu de bonnes critiques. C’était important pour le film et pour ma carrière. Pour des cinéastes indépendants comme nous, on a besoin de gens qui arrivent à nous découvrir déjà et qui nous aident.
Quel succès le film a rencontré au Vietnam ?
P.D.D: Commercialement, ça n’a pas été un succès. Il n’est sorti que dans quatre salles. En plus, le film a été censuré, ils ont enlevé toutes les scènes érotiques. C’est pour ça qu’il a fait quelques milliers d’entrées seulement. Par contre, il a eu un gros succès sur internet. Il y a eu une sorte de scandale et un débat énorme chez les internautes vietnamiens. Je ne connais pas les goûts des gens sur internet, mais parmi ceux qui le regardent comme ça, par curiosité, je sais qu’il y en a qui n’aiment pas le film, mais il y en a aussi qui adorent. Donc, c’est très divisé.
Quelles ont été les scènes censurées ?
P.D.D: Toutes les scènes où ils font l’amour, où il y a de la masturbation, ou encore celles montrant de la nudité ont été enlevées.
En France, peu de films vietnamiens sortent. De votre point de vue, comment se porte l’industrie cinématographique locale ?
P.D.D: Avant 2003, il n’y avait pas de boîtes de production privées, tout relevait de l’Etat. Puis, après 2003, on a commencé à avoir des germes de cinéma d’auteur. Nous sommes les premiers cinéastes indépendants au Vietnam. Sinon, on trouve soit des films commerciaux, soit des films d’Etat, produits et financés dans un but de propagande. Je pense qu’avec le temps, comme le pays commence à s’ouvrir, le cinéma vietnamien va commencer à se bouger un peu, et j’espère qu’on aura de bons films à l’avenir. Pour faire des films indépendants, il est nécessaire d’avoir des aides étrangères, sinon c’est impossible. Particulièrement celles qui viennent de France. Sans cela, on ne pourrait rien faire.
Quels sont vos prochains projets ?
P.D.D: Je prépare le tournage de mon deuxième film, pour octobre de cette année. L’histoire est basée sur une histoire vraie, un fait divers que j’ai lu il y a 16 ans, et déjà je m’étais dit à l’époque qu’il fallait que je fasse un film sur le sujet. Le métrage parle d’une campagne pour diminuer l’augmentation de la population. Au cours de cette campagne, les gens essayaient de convaincre les hommes qui ont deux enfants de se faire stériliser pour ne plus avoir d’enfants. Ils gagnent une petite somme contre ça. Mais en fait, ce ne sont pas des hommes, mais des jeunes qui viennent se faire ça, pour prendre l’argent et aller boire un coup, en pensant qu’un jour, s’ils veulent avoir des enfants, ils pourront toujours « enlever le nœud »…
Quels sont vos réalisateurs fétiches ou vos films préférés ?
P.D.D: Le plus grand pour moi c’est le réalisateur indien Satyajit Ray. J’aime bien sûr les films asiatiques contemporains,et aussi le réalisateur français d’origine vietnamienne Tran Ahn Hung, qui vit à Paris. Mais également Apichatpong Wheerasetakhul.
D’ailleurs Tran Ahn Hung est remercié au générique de votre film…
P.D.D: Il y a une raison très spéciale : c’est lui qui a demandé à son frère, producteur au Vietnam, d’investir 60 000 dollars dans le film. Il m’a aussi donné beaucoup de conseils dans l’écriture du scénario.
Un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
P.D.D: Pendant le voyage pour présenter le film, j’ai eu des surprises très agréables en discutant avec le public français. J’ai été très étonné quand j’ai appris que le film allait peut-être sortir dans 70 salles en France. Ce qui veut dire qu’il y a encore beaucoup de spectateur qui s’intéressent au cinéma d’auteur et je pense que la France est un des derniers pays du monde dans lequel on peut encore avoir des cinéphiles et des spectateurs qui aiment ce type de cinéma. Sans eux, le cinéma d’auteur disparaitrait. Donc merci beaucoup à vous, au public français et aux cinéphiles en général.
Propos recueillis par Anel Dragic à Paris le 21/03/2012.
Bi, n’aie pas peur, en salles depuis le 14/03/2012.
Un grand merci à François Villa, qui a permis cet entretien, et à Phan Dang Di et Nguyen Ha Phong pour leur temps, leur sympathie et leur gentillesse.
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