Tokyo Tribe de Sono Sion (L’Étrange Festival)

Posté le 27 septembre 2014 par

Comme quasiment chaque année maintenant, le nouveau film de Sono Sion est projeté à L’Étrange Festival, l’un des rares lieux de vie cinématographique qui donne un peu de visibilité à ce talentueux réalisateur, alors que nos chers distributeurs français sont toujours aussi frileux à l’idée de sortir ses films en salles.

On se souvient tous, l’année dernière, de la projection absolument incroyable et jouissive de Why Don’t You Play in Hell?, une belle déclaration d’amour au cinéma en forme d’hommage délirant aux films de yakuza, qui avait enivré la grande salle du Forum des Images. Avec Tokyo Tribe, Sono Sion s’attaque cette fois-ci à une commande, en adaptant directement le manga Tokyo Tribe 2 de Santa Inoue, où, dans un Tokyo futuriste et anarchiste, une immense guerre des gangs divise la ville en plusieurs clans qui veulent imposer leurs règles. L’argument de base n’est pas sans rappeler le manga de Takahashi Hiroshi, Crows, et son adaptation par Miike Takashi. Pourtant, Tokyo Tribe s’en éloigne radicalement.

Le film s’ouvre sur un très long plan-séquence à travers l’un des quartiers de Tokyo, où la camera virevolte dans un décor saturé de couleurs fluorescentes et de graffitis en tout genre. La photographie est criarde, chaque source lumineuse embrase l’image, les mouvements ne s’arrêtent jamais, provoquant parfois d’horribles flous à l’arrière-plan, et pourtant, tout ce mauvais goût et ce côté bling-bling, comme on le verra par la suite, est complètement assumé. Très vite, MC, une sorte de narrateur interprété par Shota Sometani (Himizu), s’immisce au premier plan et entame un morceau de rap pour mettre en place l’histoire et nous présenter les différents gangs qui règnent sur la ville. Car oui, Tokyo Tribe est avant tout une comédie musicale à la gloire de la scène rap et hip-hop japonaise. D’ailleurs, Shota Sometani est l’un des rares acteurs présents dans le film, puisque Sono Sion a majoritairement engagé des rappeurs et des artistes venant de la rue, et non des stars confirmées. Ce qui nous amène à une longue introduction où chaque gang enchaîne tour à tour leur numéro musical afin de se définir les uns par rapport aux autres.

Si toute cette première partie peut paraître brouillonne tant il y a de personnages qui défilent à l’écran, l’intrigue se recentre rapidement sur trois fils narratifs, autour desquels s’articuleront les principaux enjeux. Il y a d’abord l’affrontement entre Kai des Musashino Saru, clan pacifiste occupé à prôner l’amour d’autrui, et Mera des Wu-Ronz de Bukuro, clan un peu plus violent qui distribue de la drogue à travers la ville. Ce dernier voue une haine féroce et inexplicable à l’encontre de Kai et lorsqu’il assassine Tera, le chef des Musashino Saru, il n’en faut pas plus pour que les deux gangs entrent en guerre. Une guerre qui unit finalement tous les autres clans aux Musashino Saru, lorsque Big Bubba, le leader complètement fêlé des Wu-Ronz, décide de lancer une armée pour prendre le contrôle total de Tokyo. Au milieu de tout ce chaos, Sunmi, une jeune fille mystérieuse, et son petit acolyte, tous deux spécialistes des arts-martiaux, tentent d’échapper au Clan Bubba en se réfugiant auprès de Kai et de son clan.

Tout cela paraît complexe, mais Tokyo Tribe reste avant tout un pur divertissement pop-corn comme aime le définir son réalisateur. Le film marche surtout par séquence, en alternant performances musicales plus ou moins abouties, scènes d’action et de baston aux références cartoonesques et vidéoludiques, et moments de grand délire tels que cette hilarante scène de beatbox complètement foirée. Sono Sion ne lésine pas sur le trash et la vulgarité, et si la plupart du temps c’est absolument jouissif, l’enchaînement de ces séquences à un rythme endiablé et sans aucun instant de silence s’avère également épuisant. Malgré tout, Tokyo Tribe déborde d’énergie, s’appuyant sur une mise en scène virtuose, entre les longs plans-séquences quasiment improvisés, les trouvailles visuelles à n’en plus finir, et l’utilisation astucieuse des décors lors de la dantesque bataille finale. Sono Sion en profite au passage pour rappeler d’où vient réellement la combinaison jaune de Kill Bill, et se permet même une « fine » métaphore autour de l’absurdité de la guerre.

Avec son dernier film, Sono Sion confirme qu’il n’a pas perdu sa folie et sa rage de filmer. Plus léger et imparfait que Why Don’t You Play in Hell?, Tokyo Tribe reste néanmoins un agréable spectacle qui donne envie de s’intéresser à la culture hip-hop japonaise. Sono Sion a su transporter le manga de Santa Inoue dans son univers tout en s’adaptant au milieu de la rue qu’il ne connaissait pas forcément. Le mariage entre séquences musicales et scènes de baston fonctionne à merveille, et si l’ensemble des morceaux s’avère inégal, il n’est pas impossible que certains rythmes et certaines paroles vous restent en tête une fois le film terminé.

Nicolas Lemerle.

Tokyo Tribe de Sono Sion, projeté dans le cadre de la XXème édition de L’Étrange Festival.