Souvenirs de Marnie, Ghibli

Critique Preview : Souvenirs de Marnie (Omoide no Marnie – When Marnie Was Here) de Yonebayashi Hiromasa

Posté le 27 septembre 2014 par

En attendant sa sortie prochaine en France, critique en direct du Japon du dernier né des Studios Ghibli : Souvenirs de Marnie, aka Omoide no Maanii ou When Marnie Was Here de Yonebayashi Hiromasa.

Si vous avez eu l’occasion de visiter le Musée Ghibli de Mitaka, dans la région de Tokyo, vous vous souviendrez peut-être qu’on y trouve, en vente à la librairie, une importante collection de contes fantastiques destinés à la jeunesse, où le roman à l’origine de Souvenirs de Marnie (Omoide no Maanii) semble trouver toute sa place. S’inscrivant en droite ligne avec ce qui fait l’esprit Ghibli, le film confirme une fois pour toutes – puisqu’il s’agirait du dernier long-métrage produit par le studio d’animation japonais – sa capacité à réinterpréter avec brio des œuvres littéraires, mais aussi picturales, d’origine étrangère dans un cadre culturel spécifiquement japonais. D’anciennes productions comme Le château dans le ciel, Kiki la petite sorcière, Porco Rosso, Le château ambulant et Ponyo de Miyazaki, ou encore Arrietty du même réalisateur que Marnie, relevaient en leur temps de la même tendance.

L’adaptation cinématographique du roman anglais de Joan G. Robinson, When Marnie was here, relativement méconnu à l’étranger, représente tout d’abord un petit tour de force. Si le récit initial se déroule en Angleterre au début du XXème siècle, le film lui prend pour cadre le Japon du XXIème siècle. Enfant timide et renfermé, Anna, le personnage principal du long-métrage, est envoyée par sa mère passer les vacances d’été chez des amis de la famille, sur l’île d’Hokkaido, à l’extrême nord du Japon. Eprouvant des difficultés à nouer des contacts avec des enfants de son âge, la jeune fille découvre au cours de ses promenades en solitaire une villa de style occidental qui ne cesse dès lors de la fasciner. La rencontre qu’elle y fait avec Marnie, qui semble habiter là avec sa famille, l’amènera peu à peu à reprendre goût à la vie et à comprendre les raisons de son blocage.

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Il est certain que l’introduction du personnage de Marnie conduit le film à se concentrer sur le thème fantastique par excellence qu’est celui du double. L’essentiel du ressort dramatique repose en effet sur le caractère mystérieux du personnage en question : Anna rêve-t-elle ou non ses rencontres avec Marnie, celles-ci sont-elles le fruit de son imagination ou relèvent-elles du domaine pur et simple du surnaturel ? Dans les deux cas de figure, Marnie apparaît, un peu à la façon de Totoro dans le film éponyme, sous les traits d’une amie imaginaire dont le personnage ressent cruellement le besoin pour s’épanouir. C’est en effet par le biais d’une telle amitié que le personnage va progressivement dépasser sa souffrance et s’ouvrir aux autres. Comme bien d’autres œuvres du Studio Ghibli, Souvenirs de Marnie se définit comme un récit d’initiation.

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Fantasme ou fantôme, le personnage de Marnie symbolise quoi qu’il en soit l’altérité du personnage principal. Dans la mesure où le film relate les mésaventures d’une jeune anglaise et d’une jeune japonaise, le cinéaste semble avoir choisi d’accentuer la dissemblance des deux protagonistes développée à l’origine dans le roman. Les deux jeunes filles affichent non seulement une différence de caractère – l’une étant extravertie, l’autre introvertie – mais présentent de surcroît un fort contraste physique. Il est facile d’imaginer à quel point l’image d’une grande blonde élancée peut contraster avec celle d’une brune bien plus menue. Marnie incarne tout ce que le personnage principal n’est pas : son double certes, mais un double renversé ; les deux protagonistes se complétant comme l’envers et l’endroit d’une même médaille.

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Dans un même ordre d’idées, on remarque que le film s’appuie sur un effet d’antithèse de plus large envergure qui consiste à opposer le monde rural japonais à la grande bourgeoisie rattachée au monde occidental. Pour cela, le film confronte le monde du quotidien, de l’ordinaire ou du banal dans lequel évolue Anna avec celui bien plus exotique, voire féérique, attribué à la villa anglaise. La différence qui s’instaure entre les deux mondes est de plus renforcée par les traits de caractère de leurs habitants. A l’égoïsme et la mesquinerie des uns répondent la bienveillance et la largeur d’esprit des autres. La villa, difficile d’accès car située tout au fond d’un lac, passe aux yeux d’Anna pour un refuge qui lui permet d’accéder à un lieu enchanté, irrésistiblement plus attirant que l’univers contraignant de son quotidien.

Finalement, le film réinterprète le roman dans la mesure où l’œuvre de Yonebayashi traite, sous le mode allégorique, des rapports culturels entretenus par l’Europe et le Japon. La symbolique à l’œuvre dans le long-métrage consiste à rapprocher deux mondes hautement dissemblables, au nom d’un principe universel pour lequel la plupart des cultures étrangères sont perçues sous une aura que le monde dont on est soi-même issu ne détient pas. Tout fonctionne ici en effet comme si le Japon semblait, à l’instar du personnage principal, se rapprocher de l’Occident comme pour chercher à se retrouver soi-même.

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Passé maître dans l’art d’émerveiller les spectateurs, le studio Ghibli signe une fois de plus une œuvre d’une finition graphique particulièrement soignée : les traits sont fins et délicats, les couleurs douces et chatoyantes. Les scènes de quotidien notamment fourmillent de détails aussi bien visuels que sonores, de sorte qu’elles rendent compte avec un certain pittoresque de l’ambiance caractéristique de la campagne japonaise. Tout porte à croire en réalité que l’univers a priori banal peut sous un certain point de vue paraître tout aussi envoûtant que le monde qu’on suppose imaginaire ; comme si au final l’un et l’autre monde baignaient dans un même univers émerveillant, propice au fantastique et à la rêverie. De même que dans la célèbre parabole de Tchouang-Tseu, dans laquelle on ne sait si le sage rêve qu’il est un papillon ou si le papillon rêve qu’il est le sage, les personnages de Marnie et d’Anna semblent, dans leur monde respectif, se rêver l’une l’autre, en occupant les deux bords opposés d’une même réalité.

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C’est là toute l’originalité du film. Au fantastique sombre et brumeux, plein de spectres et de châteaux hantés, s’oppose ici un fantastique lumineux et éthéré dans lequel les choses tendent non pas à se confondre les unes avec les autres (les morts, par exemple, avec les vivants), ce qui est le propre de l’inquiétante étrangeté dont la littérature et le cinéma occidentaux sont coutumiers, mais à se distinguer au contraire les unes des autres de façon à mettre en lumière les rapports souterrains qui les unissent. C’est assurément moins le caractère ambigu des situations qui prête corps au récit de Souvenirs de Marnie que le lien secret qui associe les deux protagonistes et dont les dernières séquences du film livre le fin mot. A partir du moment où Anna reconnaît sa part lumineuse, enfouie jusqu’ici en elle, le personnage se voit enfin en mesure d’accepter les autres et de retrouver sa propre identité.

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Si le studio Ghibli parvient à donner avec Souvenirs de Marnie un regain d’énergie à sa conception du fantastique, qui a en grande partie contribué à son succès international, il est regrettable que la société ait récemment annoncé qu’elle ne produira plus de longs-métrages. En ce qui concerne Yonebayashi, qui est encore à ce jour un jeune réalisateur, toute la question revient donc à se demander s’il saura déployer son talent créatif dans un nouveau cadre de production. Seul l’avenir nous le dira.

Nicolas Debarle.

Souvenirs de Marnie (Omoide no Maanii – When Marnie Was Here) de Yonebayashi Hiromasa. Japon. 2014. Prochainement en France.