BIFFF – Critique de The Apostles, de Joe Chien : quand la générosité horrifique oublie la cohérence

Posté le 29 avril 2014 par

Joe Chien venait présenter deux films au Brussels International Fantastic Film Festival, ainsi que la bande-annonce de son prochain long métrage, un Zombie Fightclub qu’on ne peut qu’attendre avec impatience.

The Apostles est donc l’un des métrages que Joe Chien a amené dans sa valise. Et, dès les premières images, le réalisateur/scénariste nous plonge dans une ambiance étrange et malsaine, alors que le spectateur découvre son héroïne courir dans un couloir sale, envahi par d’étranges cochons. Un rêve, évidemment, et nous faisons rapidement connaissance avec la jeune femme, folle amoureuse de son mari, et auteur d’histoires étranges. Elle a de nombreux trous de mémoires et des maux de têtes, et, pour s’y retrouver, est obligée de tout écrire sur de petits Post-It qu’elle colle un peu partout.

The-Apostles

Ce détail fait immédiatement penser à Memento, et The Apostles est, par bien des côtés, un film de geek, empli de références horrifiques, que le réalisateur enquille comme un enfant présentant ses jouets. Ce sont ainsi des bouseux psychopathes, des tueurs fous motorisés, des rêves dans un univers Silent Hill style (sans oublier l’hôtel désaffecté dans lequel arrive le duo de héros au terme de leur voyage), une ville déserte de western, des cultistes au bord d’un gouffre, qui se croisent au détour d’une séquence, alors que notre héroïne, après que son mari ait été tué dans un accident d’avion, part enquêter en compagnie du mari d’une des passagères. Des indices laissent à penser que les deux morts ne le sont peut-être pas, et qu’ils étaient amants, et c’est donc dans la souffrance, la colère et l’incrédulité, que nos deux protagonistes se lancent sur les routes.

La réalisation, parfois maladroite, n’empêche pas de plonger dans cette étrange histoire, qui brouille les frontières entre réalité et folie. En effet, la caméra portée, et de nombreux effets de styles (zoom et autres mouvements vifs) ne sont pas toujours nécessaires (et les quelques courses-poursuites en voitures ne sont pas des plus réussies), mais contribuent à la découverte de la générosité de Joe Chien. Ce dernier, cherchant à offrir à ses spectateurs le plus de sang et d’étrangeté possible (et pourtant, il fut montré au festival une version passée à la moulinette de la censure taïwanaise), aligne les séquences les plus folles. La fin verse ainsi dans le kitsch et le portnawak le plus complet, avec des gouffres digitaux dignes d’un nanar sataniste, et autres séquences du genre et, même si la comédie semble involontairement s’inviter, par moment, le plaisir du réalisateur et sa façon frontale d’offrir un métrage premier degré, ne peuvent qu’emballer et donne envie d’aimer ce film.

Impossible de révéler la fin du film, tant elle surprend – et le mot est faible – mais elle ne peut que provoquer le rire, un rire non pas moqueur mais effaré devant le culot de son auteur. Certes, là encore le côté référentiel et quelque peu nanardesque ne peut que faire penser à une parodie, mais The Apostles a le mérite d’oser, et d’aller jusqu’au bout de son délire.

the apostles

L’erreur du réalisateur, en fait, est, après avoir plongé le spectateur dans un onirisme entre folie et réalité, où les frontières sont on ne peut plus floues, d’essayer de les repositionner. La plus grande partie de The Apostles est un long trip sous acide, mais Joe Chien multiple les flash-back, dans son final, pour expliquer et justifier chaque vision, chaque rêve. Hélas, l’ensemble tient mal, et le réalisateur aurait dû nous laisser dans le doute. En reliant les points de son puzzle, il nous offre un sentiment d’incohérence un peu bricolé, qui déçoit. Le film n’en reste pas moins un film fantastique assez fou, pas toujours réussi, mais amusant et généreux.

The Apostles, de Joe Chien, diffusé dans le cadre du Brussels International Fantastic Film Festival.

Avant la projection du métrage, Joe Chien a accordé un petit entretien à votre serviteur, et le voici retranscrit :

Combien de films avez-vous réalisés ?

Cinq. Surtout des thrillers fantastiques, des histoires de zombies

Si vous surfez surtout sur la vague horreur et zombies, est-ce parce que c’est un genre que vous affectionnez tout particulièrement ?

J’adore les zombies, les monstres, les fantômes, et ce genre de chose. A Taïwan, c’est rare pour les réalisateurs de faire ce genre de films. Même dans toute l’Asie, ce genre de sujet est rare.

Est-ce difficile de tourner ce genre de films, entre autres à cause de la censure ?

C’est extrêmement difficile. Ce genre de films représente une innovation créatrice en Asie.

Vos films sont-ils appréciés dans votre pays ou tournés plutôt pour l’étranger ?

Ce film n’est pas pour les Taïwanais. Cependant, au Japon ou en Corée, ce genre de métrage est plutôt apprécié. Les Taïwanais préfèrent les romances, les histoires dramatiques, des films avec des sujets plus légers, sans trop de violence. Beaucoup de Taïwanais pensent que je suis un réalisateur de Hong-Kong.

Vous êtes déjà venu au BIFFF en 2012, et cette année vous venez présenter deux de vos films. Que ressentez-vous ?

C’est fantastique ! Je reviendrai peut-être l’année prochaine pour présenter mon prochain film, qui n’est pas encore terminé.

J’ai vu la bande-annonce de Zombie Fight Club. Qu’est-ce qu’il reste à faire sur ce film ?

Il manque certains effets spéciaux.

zombie-fight-club

Avez-vous des projets après Zombie Fight Club ?

Il s’agirait d’un film policier, inspiré de Old Boy, avec un cycle de vie et de mort.

Je découvrirai ce soir votre film, The Apostles. A quoi dois-je m’attendre ?

La version projetée ce soir n’est pas intégrale, c’est une version pour la Chine. Certaines images trop violentes ont été enlevées, mais il reste trop violent pour eux. En Chine, on ne réalise jamais un tel film.

Le film est-il prévu de sortir en DVD ou en salle en Europe ?

Peut-être…