Développer sa cinéphilie ne passe pas exclusivement par le visionnage de films. Aujourd’hui, c’est de littérature que nous allons parler, avec Fantômes du cinéma japonais, superbe livre de Stéphane du Mesnildot que nous offrent les éditions Rouges Profond, qui s’étaient déjà occupées du livre de Julien Sévéon, Le Cinéma enragé au Japon. Par Yannik Vanesse.
Stéphane du Mesnildot est un homme de goût, comme le prouve le choix des sujets qu’il traite dans ses livres. En effet, avant de s’intéresser à l’horreur made in Japan, il s’était occupé d’un ouvrage sur Jess Franco, délicieux réalisateur érotico-nanar.
Cette fois-ci, il écrit, d’une plume des plus plaisantes, sur les fantômes japonais. Plus précisément, son ouvrage s’attarde sur ce courant appelé J-Horror, faisant apparaître dans le quotidien des fantômes, généralement de jeunes femmes aux cheveux sales. Ce courant, dont le titre le plus connu est Ring.
Et les premiers chapitres se révèlent diablement prometteurs ! Bien que l’ouvrage soit parsemé de nombreuses coquilles – répétitions de mots ou autre – , nous n’atteignons heureusement pas, dans ce registre, le niveau de du Cinéma enragé au Japon, et le livre reste néanmoins très agréable à lire. De plus, retraçant les origines de la J-Horror jusque dans la littérature ancienne et le théâtre, il démontre d’une part que l’écrivain connait bien son sujet, et d’autre part, il donne envie de découvrir plusieurs hommes de lettre et réalisateurs. De surcroit, en ne se limitant pas au cinéma japonais, mais en parlant aussi des films coréens influencés par la J-Horror et des remakes américains, ainsi qu’en parlant d’œuvres s’éloignant de la traditionnelle histoire de fantômes pour étudier et théoriser sur une évolution probable du cinéma d’horreur japonais, le chroniqueur montre qu’il ne veut pas être réducteur mais au contraire, traiter du sujet au sens large. Excellente chose…
Hélas, rapidement, des détails commencent à agacer le lecteur. D’une part, chaque fois que Stéphane du Mesnildot parle d’un film, il en révèle la fin. Et s’il est vrai que souvent cette chute est utile à son argumentation, cela gâche le plaisir que l’on pourrait retirer du visionage des films cités. De nombreux films dont parle l’auteur semblent intéressants, mais en savoir la fin ne donne que moyennement envie, d’un seul coup, de les regarder. Espérons que l’écrivain ne s’intéressera jamais au polar à twist américains. Mais ce n’est cependant pas le plus grave. Car, si certaines réflexions sont des plus pertinentes, d’autres paraissent tirées par les cheveux. Il est évident que Ring et les autres films de la J-Horror sont truffés de symboles, que certains points peuvent être étudiées et disséqués. Mais pas tout et, parfois, Stéphane de Mesnildot part dans des études bien improbables et trop intellectualisées à partir d’un simple objet, comme le puits de Ring et tombe dans un symbolisme interprétatif outrancier. S’il ne fait aucun doute que le puits est important et qu’il peut prêter à réflexion, l’auteur va trop loin, creuse trop profondément. De même, il cite bien trop souvent d’autres films. Là encore, il ne fait aucun doute que les réalisateurs concernés ont des influences. Mais l’auteur, en prenant des petits points de détails et en dissertant longuement sur l’influence de tel ou tel film, de tel ou tel cinéma, donne l’impression de surtout vouloir faire étalage de sa cinéphilie. De plus, certaines de ses comparaisons sont carrément fumeuses… Dire que The Grudge démontre les influences de David Lynch sur son réalisateur est hallucinant. Stéphane de Mesnildot va jusqu’à parler des influences de Lost Highway sur le film, et votre serviteur, grand fan de David Lynch en général et de Lost Highway en particulier, se demande encore où sont ces influences… Ce n’est pas parce que Bill Pulman a joué dans The Grudge et dans Lost Highway, que les deux films peuvent être comparés. Car si Quentin Tarantino engage souvent ses acteurs en référence à d’autres films dans lesquels ils ont joués, ce n’est pas le cas de tous les réalisateurs de la création. De même, parce que Sadako a été enfantée par une créature venue des océans, le chroniqueur du livre nous parle des influences lovecraftiennes. Là encore, c’est totalement exagéré. Des esprits, fées ou autre, vivant dans les cours d’eaux et les océans, il en existe depuis bien avant le Moyen-Âge, et des histoires d’amour et d’enfantement entre humains et fées existent depuis tout aussi longtemps.
Mais Stéphane de Mesnildot ne s’arrête pas là et va jusqu’à influencer les réponses des réalisateurs qu’il interviewe – entretiens qu’il aurait mieux valu disséminer dans l’ouvrage plutôt que de les mettre tous ensembles à la fin. Par exemple, il demande à un cinéaste d’où vient l’idée de faire que les fantômes paralysent leurs victimes. Ce dernier explique qu’il a vu un spectre, enfant, et que la surprise et la peur l’ont figé sur place, et que cette idée vient de là. Dans la question suivante, il est demandé au réalisateur si, en donnant à Sadako le pouvoir de paralyser les gens, il s’était bien inspiré de la gorgone.
Et toutes ces critiques finissent par nous faire nous interroger sur la pertinence de l’argumentation que l’on trouvait si intéressante au départ.
Au final, malgré une écriture plaisante et de superbes photos, le livre échoue, de part la trop grande partialité de son auteur, à nous renseigner sur ce sujet si intéressant qu’est la J-Horror, et provoque déception et énervement.
Yannik Vanesse.
Fantômes du cinéma japonais (les métamorphoses de Sadako) de Stéphane du Mesnildot, livre publié aux éditions Rouges Profonds. 224 pages, 300 image, 22 euros.