2ème long métrage de son jeune réalisateur russe Yury Bykov, The Major dépeint des institutions ravagées par la corruption.
Plan austère sur des bâtiments : dans ce bourg russe enneigé et morne, une lumière s’allume, au petit matin. Cette luminosité qui fend les ténèbres n’est qu’une illusion. Un homme reçoit un coup de fil de la maternité, sa femme va accoucher, mais jamais il ne touchera le bonheur du doigt, implacablement Bykov va condamner son personnage et tous ceux qui l’entourent.
Dans ce bourg qui semble éloigné de tout, règne une atmosphère mortifère. Chaque personnage que l’on croise a le regard un peu hagard, résigné, comme si le moindre mouvement était une torture, comme si leurs actes n’importaient peu ou plus, que tout était réglé d’avance. Ce commandant de police incarné par le charismatique Denis Shevod qui, par inadvertance, commet l’irréparable, incarne cette idée selon laquelle les dés sont jetés. Peu importe nos états d’âme, quand la ligne est franchie, impossible de faire demi-tour.
Au milieu de cette lourdeur des corps et des âmes, il y a cette police qui fait un peu ce qu’elle veut. Compromettant les gens pour couvrir leurs méfaits, torturant sans vergogne. The Major est un film mafieux, dans lequel la pieuvre est l’institution censée protéger les gens du crime et de la violence. Le commissariat ressemble à un bunker, sale et froid. À l’entrée, des chiens dressés pour tuer, des hommes en treillis et mitraillette. Le maître des lieux, n’est pas présent, il préfère donner des ordres de chez lui. Dans sa caractérisation, on pourrait y voir une sorte de mélange entre Don Corléone et le père de Mads Mikkelsen dans Pusher II de Nicolas Winding Refn. Grand-père qui, sous ses sourires pleins de bonhomie, cache un monstre sans pitié. Bykov mêle donc le film mafieux scorsesien, le polar tragique, et la douloureuse peinture sociale. L’influence du cinéma américain des 70’s est prégnante. Notamment Lumet et son Serpico. On y retrouve un personnage principal usé, tourmenté par des dilemmes moraux difficiles et une lutte contre la corruption un peu vaine.
Bykov se joue du manque de moyen avec talent, laisse sa caméra s’exprimer malgré un aspect théâtral parfois un peu trop poussé. Le cinéaste retranscrit à merveille les états d’âme des personnages, en faisant virevolter sa caméra, en jouant sur les flous. Il crée une ambiance presque irrespirable avec trois fois rien. Malgré ce savoir-faire, The Major ne tourne pas à la démonstration technique et Bykov sait s’effacer derrière son intrigue et ses personnages qui existent presque tous écrasés qu’ils sont par les événements.
Le long métrage reste avant tout un sombre constat. De sa Russie, Bykov ne filme que la misère, la grisaille, la corruption. Il est d’ailleurs assez incroyable que le film n’ait pas eu de problème avec la censure, tant son portrait est sans concession. Mais comme le dit le réalisateur lui-même, la censure est inutile quand le gouvernement fait en sorte que personne n’écoute.
Dans son discours en interview, on ressent la même douleur sourde, la même résignation que dans son film. On y perçoit aussi la marque d’un homme engagé et talentueux qui, s’il continue de montrer un tel talent derrière la caméra, va surement attirer l’attention du tout puissant Hollywood. Espérons si tel était le cas que le diamant ne soit trop poli.
Jérémy Coifman
The Major de Yury Bykov. Russie. 2013. En salles le 06/11/2013.