Après deux films présentés l’année dernière (Inconnu, Présumé Français et Le Marché de L’Amour), le réalisateur Philippe Rostan revient à Vesoul avec Le Lotus dans tous ses états, superbe déclaration d’amour à un pays, le Vietnam, dont il est originaire. Par Jérémy Coifman.
Philippe Rostan retourne au Vietnam une fois de plus. Il y retrouve tout de suite ses marques, ses odeurs, ses sensations. Le Lotus dans tous ses états commence dans l’intime. Rostan raconte les quelques bribes de son enfance passée ici au Vietnam avant son départ en 1975. On y voit des champs de lotus à perte de vue, on en sent presque le parfum. Le lotus est d’abord une madeleine de Proust. Rostan se souvient des boissons qu’il buvait en sortant de l’école. La voix-off du réalisateur est monocorde, mais c’est par l’image qu’il parvient à rendre palpable sa nostalgie, son plaisir d’être là, sa mélancolie aussi.
Puis comme le lotus qui éclot peu à peu, le spectre du documentaire s’élargit. On y voit une ferme de lotus, des travailleurs, des familles entières vivant de la culture et de la vente de la plante et de ses fleurs. On s’aperçoit que le lotus est au centre de beaucoup de choses et qu’il revêt une importance toute particulière pour le peuple vietnamien.
Le lotus est bien présenté sous toutes ses formes. Le film-fleur s’ouvre. On parle de thé, de médicament. On parle aussi de son importance politique et spirituelle. Surtout, c’est une superbe métaphore d’un pays en pleine éclosion. Plusieurs fois, les intervenants répéteront que le lotus naît dans la boue, mais qu’il n’en prend pas l’odeur. Pour un pays à l’histoire si compliquée et douloureuse que le Vietnam, on ne pouvait choisir plus belle métaphore.
Au fil du temps et des rencontres, Philippe Rostan retrouve des thèmes qui lui sont chers : la guerre, la quête d’identité, la transformation d’un pays qui ne prend plus le temps. Ce qui est fabuleux dans les films de Philippe Rostan, ce sont ses rencontres. Il arrive, avec simplicité et finesse, à dresser des portraits aussi saisissants qu’émouvants. Nous ne passons pas plus de trois ou quatre minutes avec chaque intervenant (sauf exceptions). Pourtant, de par son montage précis et sa propension à faire se livrer les gens, on obtient des petits bouts de vies. La caméra de Rostan n’est jamais voyeuse (comme on le soulignait déjà dans Inconnu, présumé français), mais elle capte des regards, des petits rictus ou les rides du temps qui passe.
Le film-fleur continue son éclosion, et le ton se fait plus mélancolique et inquiet. Comme pour Le Marché de l’amour, Rostan pointe du doigt l’émergence d’un pays plus que rapide, l’influence de l’Occident sur cette société vietnamienne, la difficulté pour lui de reconnaître le pays qu’il connait depuis sa tendre enfance. Comme l’est le Vietnam, il est divisé entre modernité et tradition, l’envie de voir son pays de naissance grandir et la peur de voir son âme s’éteindre. C’est là toute la beauté de ce Lotus dans tous ses états. On ressent l’urgence d’un pays en développement, l’effervescence ambiante. Mais au détour d’un salon de thé ou d’une balade en barque, on y retrouve une quiétude toute orientale. En fond sonore, le bruit des bombes pour ne pas oublier la boue dans laquelle le pays-fleur est né et s’est construit. On pense à L’odeur de la papaye verte de Tran Anh-Hung tant le portrait est sensuel.
Rostan continue son exploration de la société vietnamienne avec brio. Poursuivant une œuvre de plus en plus cohérente, de plus en plus belle, toujours touchante.
Jérémy Coifman.
Verdict :
Le Lotus dans tous ses états est visible au FICA de Vesoul du 5 au 12 Février. Pour toutes informations, voir le programme et les horaires ici.