Troisième film de fiction présenté au Festival Shadows du cinéma indépendant chinois, Sentimental Animal est de loin le plus atypique. Au menu : scènes de réalisme cru, austérité janséniste, éclats symboliques et mise en scène expérimentale. Fascinant. Déroutant. Agaçant. Barbant. C’est selon. Par Marc L’Helgoualc’h.
On ne peut pas vraiment résumer Sentimental Animal. Filmé en noir et blanc (pour des raisons budgétaires), il débute par des scènes a priori indépendantes les unes des autres avant de faire sens au bout d’une demi-heure. Dans une ambiance de film d’auteur danois quasi-muet. Le temps pour le spectateur de se laisser prendre au jeu ou d’abandonner. Voici tout de même en une phrase la trame principale du film : à l’approche du nouvel an, des employés d’un étang piscicole fêtent l’anniversaire du propriétaire, Wu Ye, un ancien militaire à moitié aphasique. Un repas aux allures de Cène.
Wu Quan teste immédiatement la sensibilité du spectateur dans la scène d’ouverture : l’abattage et le dépeçage d’un âne dans un style documentaire à la Jean Rouch. Coups de masse sur la tête de l’âne. Éventrement de la bête. Déversement des boyaux en gros plan. Les scènes de mort d’animal sont rares au cinéma. On en trouve dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Silip d‘Elwood Perez, Benny’s Video de Michael Haneke et Carne de Gaspar Noé. La scène de Sentimental Animal se rapproche plutôt de celle de Silip mise en scène par Gaspar Noé. Un festin nu.
Restons sur les animaux. Ils sont nombreux dans le film : ânes, cochons, canards, poissons… et êtres humains. Les animaux, comme les hommes, sont filmés avant tout comme êtres organiques : de la chair, des entrailles, du sang, de la bave. Une vision clinique. Comme le suggère le titre, les hommes ne seraient-ils que des « animaux sentimentaux » ? Dans un texte écrit pour le Festival Shadows, Wu Quan commente : « J’ai remarqué que lorsque l’homme tente de rentrer en contact avec l’animal, peut-être est-ce lié à l’obstacle du langage, mais la manière de se jauger et d’interagir dévoile une patience emplie de bienveillance, avec de plus tant de tranquillité et d’égalité. Cette observation m’a frappé de plein fouet. C’est la raison pour laquelle nous avons laissé autant que possible la place au naturel lors du tournage, à l’affût de ce qui pourrait en résulter, de là naît ce rapport humain-animal dans l’histoire. ».
Pour son premier film, Wu Quan livre une œuvre quasi-anthropologique. Majoritairement filmé en huis clos dans un entrepôt géant réunissant des étangs de pisciculture, un jardin botanique, une cuisine, des dortoirs et une salle d’opération, Sentimental Animal ressemble à une pièce de théâtre existentialiste dans laquelle l’homme est sondé comme un animal piégé. Ce n’est donc pas étonnant qu’il débute par une scène de dissection digne d’un documentaire animalier. Dans le même principe, rappelons que Gaspar Noé (encore lui !) avait d’abord pensé au titre Vivarium pour le controversé Irréversible, film animalier par excellence. « L’homme est un loup pour l’homme ». Wu Quan écrit : « dans le monde animal, même au sein d’une espèce donnée, c’est bien parce qu’il existe une différence entre les besoins existentiels et le fondement des émotions que différentes communautés se sont créées ». Espoir.
Quelques mots sur l’aspect technique du film : l’homme qui tient la caméra n’est autre que Zhang Yuedong, réalisateur de Mid-afternoon Barks, un film expérimental remarqué au festival de Vancouver en 2007 et déjà projeté au Festival Shadows. Sentimental Animal est le premier film de Wu Quan qui est avant tout un artiste sonore et un musicien d’improvisation (à écouter ici pour les plus aventureux). Pas étonnant d’imaginer des improvisations de Sonic Youth et Jim O’Rourke comme illustration sonore de plusieurs scènes du film.
Marc L’Helgoualc’h
Verdict : Sentimental Animal a de quoi faire réfléchir sur le sens de la vie. Un film susceptible de laisser de nombreux spectateurs derrière lui mais qui a son propre charme. Mais Wu Quan n’est-il pas un poil trop poseur ?
Sentimental Animal de Wu Quan, visible au Festival Dark Shadow